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Par Bernard REBOUH Z"L

 En cette nuit du 8 novembre 1942, âgé de 4 ans et demi, j’ai pour la première fois pris conscience que c’était la guerre.

Trop jeune je n’ai pas connu les mesures discriminatoires vis-à-vis des juifs, comme, pour un enfant le renvoi des élèves juifs des écoles publiques.

J’habitais un petit immeuble de 3 étages au 19 Avenue du Frais Vallon, qui après la guerre est devenue Avenue du Général Verneau.

Il était situé à l’angle de cette avenue et de la rue Suffren, exactement en haut des escaliers qui terminaient cette rue.

Un peu plus bas, du même coté de l’avenue se trouvait le cinéma Plazza, et un peu plus bas l’usine Bastos, fabrique de cigarettes. Ces précisions n’ont d’intérêt que pour ceux qui se souviennent du quartier de Bab - El- Oued.

Dans la nuit du 8 novembre il y a eu une alerte insolite : l’Algérie était soumise au régime de Vichy et connaissait la même "tranquillité" que la zone non occupée de la France métropolitaine.

Cette alerte inattendue a réveillé, bien entendu, tout le monde et dans de telles circonstances l’inquiétude est source de multiples questions auxquelles on cherche avec angoisse des réponses.

Je suppose que la radio ne devait diffuser aucun communiqué et tout naturellement les voisins ont ouvert leurs portes pour entrer en contact les uns avec les autres.

Tous ressentaient le besoin de se mettre en sécurité et surtout de ne pas rester dans les appartements.

L’immeuble n’avait pas de cave et les voisins se sont rassemblés dans la hall d’entrée. Chacun apportait sa chaise pour se préparer à une longue veille.

Il y avait 13 appartements et la loge du concierge. Sur le total il y avait 5 familles juives, mais dans le hall, malgré les lois en vigueur, juifs et non juifs étaient mêlés. Il est utile de souligner qu’il n’y avait pas à Alger de quartier juif, ni même de quartier à majorité juive. Le mélange était total.

Mais que faire toute une nuit, ensemble, sinon d’imaginer ce qui se passait.

Je me souviens vaguement des sujets abordés : une attaque aérienne semblait improbable. De qui viendrait t’elle ?

L’idée d’un débarquement a été évoquée. Mais là encore quel pays l’aurait tentée ?

Les Allemands étaient loin de la Méditerranée. Les Italiens alors ? Mais ils étaient d’accord avec le régime de Vichy.

Il ne restait que les Américains ou les Anglais ! Mais d’où viendraient-ils ? Personne n’avait assez d’information sur leur position géographique pour penser que cette hypothèse était possible.

Les Juifs, je l’ai su plus tard, s’inquiétaient d’une éventuelle opération allemande ou italienne.

Mes parents m’ont raconté, plus tard, que le concierge, sympathisant actif de Vichy est parti discrètement pour se renseigner.

De retour, au petit matin, il ne portait pas la francisque, décoration décernée par le gouvernement de Vichy. Je ne sais pas s’il a donné des informations ou s’il est resté muet à ce sujet.

Au lever du jour, je me souviens parfaitement, avoir vu un tank américain descendre rapidement l’avenue. J’étais sur le pas de la porte de l’immeuble et c’était la première fois que je voyais un tank engagé dans une opération.

Chacun a repris sa chaise et est remonté dans son appartement. Je suppose que du côté juif, l’espoir est revenu.

Ce bref récit n’a rien d’historique et comme beaucoup je n’ai appris que des années plus tard ce qui c’était vraiment passé. Comment l’opération TORCH a été longuement préparée par des résistants, en majorité Juifs, les discrètes séances de préparation avec le consul américain Murphy et la manière dont les différentes sections ont réussi à maîtriser les centres de communication et les centre administratifs, militaires et policiers, avec quelques pertes humaines, mais avec un succès remarquable.

Mes parents, eux-mêmes, ignoraient tout de cette opération, bien que deux de mes oncles aient été actifs dans  cette organisation : M. Fernand AICH et M. Gil TUBIANA.

Le premier,  M. Fernand AICH, a été assassiné le 16 août 1956 par le FLN, et le second, M. Gil TUBIANA, s’est engagé dans l’armée anglaise et sa voiture, une traction avant a été réquisitionnée, et a été utilisée pendant toute la durée de la guerre. A sa démobilisation, la voiture a été récupérée par la famille et c’est mon père qui en a pris possession avec l’accord de la famille. Elle avait été achetée par mon Grand Père maternel, M. Sylvain TUBIANA, citroëniste inconditionnel. Mon père a ensuite été aussi un citroëniste tout aussi inconditionnel.

 

Dans cette glorieuse opération de débarquement on voit apparaître un lieu qui paraît prédestiné :

Le débarquement français de 1830, et celui des Américains et Anglais en 1942 se sont déroulés sur le même site : la plage de SIDI  FERRUCH, à 30 Kilomètres à l’ouest d’Alger.

REMARQUE : Ce bref récit n’a bien entendu rien d’historique ; j’ai simplement relaté les souvenirs très limités d’un enfant sur cet évènement capital.

 

                                 Marseille le 25 Juin 2012 – 5 Tamouz 5772

 

                     Bernard REBOUH

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Commentaires (3)
 

1. JAIS Mer 24 Oct 2012

Je suis Paul JAIS
le fils de Maurice et Yvette JAIS
Ma grand mère Irma Tubiana.
Si mes souvenirs sont bons je pense que nos familles doivent être proches
Auriez vous l'amabilité de me joindre.
Paul

 

2. Paule Atlan Sam 13 Oct 2012

Mon père a été assassiné 15 jours après Fernand Aïch, ami à lui et comme lui commerçant de la Basse Casbah et ancien Résistant. Tous deux parce que juifs et anciens Résistants. Il faudrait relier ces témoignages divers autour du 8 novembre et de l'Opération Torch pour pouvoir tout lire à la suite.

 

3. gozlan lucien Mer 03 Oct 2012

Merci monsieur REBOUH pour votre témoignage personnel pour la matinée du 8 novembre 1942 à votre domicile à la rue General Verneau à Bab el Oued à Alger.