Imprimer
Affichages : 524

Par Didier NEBOT

Louis Auguste Victor de Ghaisne Comte de Bourmont

Le général de Bourmont, le chef du corps expéditionnaire, se rendit vite compte que, pour les Français, après une victoire militaire aisée en 1830, tout allait devenir beaucoup plus difficile. Que faire de ce pays ? Les Arabes, s’ils se réjouissaient d’être débarrassés des Turcs, ne faisaient pas confiance aux vainqueurs.

Trois ports, Alger, Oran, Bône, étaient pris, mais le reste du pays formait un territoire hostile, sauvage et inconnu. Pas question de négocier avec l’ancienne administration turque.
Comment s’octroyer les bonnes grâces des indigènes et discuter avec des interlocuteurs patentés ?

Les traducteurs, juifs pou la plupart, expliquèrent au général de Bourmont qu’il fallait convoquer Bou Mezrag, le bey de Titteri, qui vivait à Médéa, mais qui était en fait le véritable maître de la province d’Alger. Il suffisait de lui accordez les mêmes prérogatives qu’avant, mais au lieu d’être au service des turcs, il serait  maintenant au service de la France.

Bou Mezrag accepta, il arriva à Alger et signa un pacte avec les français. Mais, de retour à Médéa, il déchira le traité, cracha sur la France et prit les armes contre l’Infidèle. C’est ainsi que peu après, une petite expédition française, toute confiante, partie en reconnaissance jusqu’à Blida, fut attaquée par les soldats de Bou Mezrag. Bourmont, apprenant la nouvelle, fut profondément ulcéré et il comprit que la loi sur ce territoire faisait fi de l’honneur et de la parole donnée. La trahison de Bou Mezrag, les multiples petites escarmouches arabes, l’animosité patente des Algérois semèrent le doute dans le cœur des Occidentaux.

 

Malgré cet échec, le Général de Bourmont chercha à rencontrer un autre dignitaire arabe. Il s’agissait de Sidi Bel Kassem, qui vivait à Blida et qui jouissait d’une influence considérable sur tous les habitants de la Mitijda, aussi bien Arabes que Kabyles. Sa sagesse et son autorité étaient suffisantes pour que son intervention lors de discordes amenât la réconciliation. Ce fut malheureusement impossible, voilà qu’elles furent les paroles de Sidi Bel Kassem : «Depuis que les infidèles ont débarqué sur notre terre, je porte le deuil, je ne me rase plus et je laisse pousser mes cheveux. Ils sont de la vermine, tels des poux sur nos cheveux ! Nous devons les détruire. Depuis leur arrivée à Sidi Ferruch, toutes mes prières, tous mes vœux vont vers Allah le Miséricordieux, pour qu’Il les chasse de notre territoire. S’ils persistent dans leurs erreurs, seule la guerre sainte est envisageable. Et maudits soient les vils musulmans qui préfèreraient la domination de l’étranger à celle du vrai croyant. Pour les traîtres, il n’y aura d’autre avenir que la mort. »

 

De Bourmont comprit qu’il ne pourrait rien en tirait. Un monde séparait l’Orient de son pays. Leurs mentalités, leurs coutumes, leurs idées étaient trop éloignées. Désormais, ils se méfieraient de tous les indigènes.

En écartant les Turcs, les Français, sans s’en rendre compte, avaient redonné aux autochtones leur dignité. Les Arabes, débarrassés du carcan ottoman, n’allaient pas accepter d’être considérés par un royaume catholique comme des indigènes à domestiquer. Et toute la fameuse bonne volonté des Français, épris de justice et d’éducation, n’en était que plus humiliante. Se croyaient-ils dans une cour d’école à parler gentiment à de sots enfants sauvages? Alors qu’ils signaient de beaux traités, on allait leur montrer qui devait apprendre, qui devait s’adapter. La vanité, elle, n’épargnait personne. Les juifs ne se rendaient pas encore compte qu’ils allaient être les grands bénéficiaires de cette conquête, mais il leur fallait attendre encore un peu, quelques toutes petites décennies, pour qu’ils abandonnent leur costume de dhimmi, ces citoyens de seconde zone dans les pays islamiques.