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Tlemcen, le kiosque à musique au centre ville
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Alger : rue d'Isly (1930)
Une oasis à Ouargla (Territoire du Sud algérien)
La Grande Poste d'Alger (Photo J.P. Stora)
Square Bresson
Lycée E.-F. GAUTIER D'ALGER
Service Alger - Bouzareah
Alger : le marché de la place de Chartres
MEDEA - Le Café de la Bourse
Guyotville - La Plage

 

Aujourd’hui il n’y a plus de juifs en Algérie. Ils étaient si nombreux dans les temps anciens !

Première partie : Les judéo-berbères en Afrique du  Nord

Voici, à travers l’histoire de la KAHENA, le parcours de ces judéo-berbères qui vivaient au VIIème siècle dans cette région du monde, qui s’appelait alors la Numidie.

Une partie des Berbères professait le judaïsme, religion qu’ils avaient reçue de leurs puissants voisins, les Israélites de la Syrie.

 

Parmi les berbères juifs, on distinguait les DJERAOUA, tribu qui habitait l’Aurès et à laquelle appartenait la KAHENA, femme qui fut tuée par les arabes, à l’époque des premières invasions.

Les autres tribus juives étaient les NEFOUSSA, berbères de l’Ifriqiya, les FENDELOUA, les MEDIOUNA, les BEHLOULA, les RHIATA et les FAZAS, berbères du MAGHREB EL AQSA.

 Parmi leurs chefs les plus puissants, on remarqua surtout la Kahéna, reine du Mont Aurès, et dont le vrai nom était Dahia, fille de Tabet, fils de Nicin. Sa famille faisait partie des Djéraoua, tribu qui fournissait des rois et des chefs à tous les berbères descendus d’El-Abter. 

C’est ce que dit Ibn Khaldoun, auteur arabe du XIVème siècle, dans son histoire des berbères.

Lorsque l’on étudie d’autres textes plus anciens d’auteurs, bien souvent arabes, on retrouve régulièrement la trace de cette femme juive qui, au VIIème siècle, tenta de s’opposer à l’avancée de l’Islam en Afrique.

De nombreuses familles juives d’Algérie, encore au début du  XXème siècle, parlait avec nostalgie de cette "Judith" éclairée qui ne put résister aux conquérants arabes. Certes le temps passant, les juifs n’étant plus présents en Algérie, la Kahéna n’est connue que de façon anecdotique par le monde hébraïque. Seuls les berbères, surtout ceux des Aurès, la vénèrent aujourd’hui et lui rendent régulièrement hommage. D’ailleurs de nombreuses filles, dans ces milieux, portent le prénom de « Kahina ».

Ainsi cette Kahéna (ou Kahina) est l’ancêtre plutôt éponyme de cette tribu juive, disons judéo-berbère, qui au VIIème siècle, dans les Aurès (mais pas que là), s’opposa à Hassan, le chef des croyants, venu d’Arabie pour apporter la Bonne Parole.

Pour comprendre cette histoire, il faut se rappeler de la situation de la Numidie (Algérie) avant l’arrivée des arabes au VIIè siècle et de l’implication des populations juives dans cette région du monde. Il faut donc  faire un saut important dans le passé et remonter de nombreux siècles en arrière, au temps des phéniciens.

Sémites, occupant initialement, le territoire de Tyr (en gros le Liban d’aujourd’hui), les phéniciens créèrent de multiples comptoirs en Afrique du nord à partir du XIème siècle avant J.C. Durant 9 siècles, ils modelèrent l’Afrique  à leur image, se mêlant progressivement aux populations locales qui adoptèrent leurs us et coutumes. Ils créèrent ainsi Carthage qui rayonna sur tout le bassin méditerranéen.

Les populations juives de Judée d’abord réticentes à l’égard de ces cousins qui pratiquaient le sacrifice humain, les regardèrent par la suite d’un œil plutôt bienveillant et compatissant, lorsqu’ils prirent les armes contre les romains. C’étaient des gens très respectables qui pratiquaient la circoncision, ne mangeaient pas de porc, et leur langue, le punique, était proche de l’hébreu.

Le tournant de l’histoire eut lieu en 146 av J.C. lorsque les phéniciens furent battus par les romains qui devinrent les maitres du pays. Mais 9 siècles de présence phénicienne avaient façonné définitivement une population, en Afrique du nord, très sémitisée, mélange hétérogène de phéniciens et d’autochtones à l’origine difficilement déterminable.

Au début de l’ère chrétienne (et même avant) les juifs durent quittent la Judée, ils se réfugièrent tout naturellement dans cette région du monde pas trop éloignée de la Judée et où vivaient de lointains cousins.

De fait les judéens furent bien accueillis. Ils se retrouvèrent parmi les populations locales, comme un poisson dans l’eau, ils avaient en commun un fond sémitique important, ils détestaient, comme les autochtones, les romains, et les sacrifices humains avaient été interdits depuis plus d’un siècle.

La plupart des textes des auteurs anciens montrent l’importance numérique des juifs à ce moment là. Etaient-ils plus nombreux que les populations locales? C’est possible. Voici ce qu’en dit Saint Jérôme : "les colonies juives forment une chaîne ininterrompue depuis la Mauritanie jusqu’aux indes."

En attendant, comme le disent là aussi bon nombre d’auteurs anciens, le judaïsme exerçait auprès des populations locales une grande force d’attraction, le christianisme n’en étant qu’à ses balbutiements. Et puis tous avaient en commun le même ennemi, Rome.

Ainsi au début de l’ère chrétienne dans les zones contrôlées par Rome, se trouvaient une population soumise, sédentarisée, pratiquant la culture et le commerce, influencée davantage par le judaïsme que par le christianisme, comme le déploreront les pères de l’église, Saint Augustin en tête. De très nombreux textes l’attestent comme ceux de Saint Augustin, de Tertullien et de Saint Cyprien. (Exemple : Tertullien, dans son traité contre les juifs : « les habitants de la province d’Afrique observent le shabbat, les jours de fête ainsi que les lois alimentaires des juifs ».

TOUT A COTE DE CETTE POPULATION SOUS INFLUENCE ROMAINE, il en existait une autre aussi importante et peut-être même plus, en dehors des limes romains, au sud, en Cyrénaïque, d’influence grecque.

En effet en 320 avant J.C. Ptolémée SOTER, le grec, le successeur d’Alexandre le grand, déporta de Jérusalem vers l’Egypte puis la cyrénaïque plus de 100000 juifs. Ces derniers se multiplièrent formant la majorité de la population, ils créèrent même un Temple à LEONTOPOLIS qui concurrença celui de Jérusalem. Il y avait de très nombreux adeptes qui pratiquaient un syncrétisme juif.

En 115 les juifs de Cyrénaïque se révoltent contre Rome, ils sont battus et doivent fuir dans l’arrière pays, aux confins des steppes présahariennes. Ces tribus, mélange de juifs et païens, turbulentes et nomades, pratiquaient les razzias, elles venaient de découvrir le chameau et elles allaient donner le gros des troupes judéo-berbères qui s’opposèrent plus tard aux arabes avec la Kahéna à leur tête.

Ainsi à la fin de l’empire Romain avant l’arrivée des Vandales, dans  cette Afrique du Nord, deux mondes cohabitent :

1) celui des villes et des campagnes, calme et plus ou moins paisible, sous influence romaine où le judaïsme arrive encore à rivaliser avec le christianisme

2) et celui du Sud, monde violent, mouvant, en dehors des limes romains, où un judaïsme primitif, échappant à l’évolution de celui des villes, tente de subsister tant bien que mal.

Et dans ces deux mondes, les textes de nombreux auteurs latins montrent l’importance numérique des juifs et des prosélytes.

Ce rappel historique est essentiel, car à la fin de l’empire romain, les sources deviennent rares et l’histoire plus difficile à appréhender et pourtant les acteurs sont toujours les mêmes. Ce n’est que bien plus tard, que les auteurs arabes reprendront leurs descriptions des évènements avec d’autre mots, d’autres concepts, mais les peuples n’ont pas changé. Ainsi devant ce vide d’écriture, certains se sont engouffrés pour minimiser ou nier la présence juive en Afrique du Nord dans ces temps anciens. Et il faut se porter en faux contre ces affirmations

Tout bascula donc au VIème siècle à l’arrivée des Vandales, qui sonna le glas de l’Empire romain. L’ordre ancien n’existait plus, il ne restait plus rien de ce que Rome avait bâti. Les berbères qu’ils soient païens, chrétiens ou juifs étaient libres. Les tribus du sud remontèrent vers le nord, profitant du chameau, nouvellement introduit dans la région, pour asseoir leur force. L’une des plus puissantes d’entre elles, celle des DJERAOUA, s’installa dans les Aurès. Cette tribu était juive ou tout au moins imprégnée de nombreux éléments juifs.

Lorsqu’un siècle plus tard les Vandales furent chassés par les Byzantins (grecs chrétiens), le monde qui allait bientôt accueillir les Arabes était déjà modelé. Les Byzantins chassèrent dans les montagnes les juifs des villes. Le brassage s’accéléra entre juifs et berbères et beaucoup de berbères judaïsèrent. Il se forma ainsi des tribus judéo berbère un peu partout en Afrique du Nord.

Les Byzantins se cantonnèrent à Carthage et ses environs, laissant le reste du pays aux mains des berbères. Deux tribus émergèrent, celle des Aouréba, chrétienne, liée aux Byzantins de Carthage et celle des Djéraoua, dont Tabet, le chef se trouvait être le père de Dahia ou Dihia, qui deviendra la Kahéna.

Ecoutez, écoutez bien : "Au commencement était Abraham. Au toit immobile il préféra la tente que l’on plante le soir et que l’on arrache le lendemain. Il erra dans la région de Canaan, la parcourant du nord au sud, et se fixa dans ce beau pays qui prit plus tard le nom de Judée. Ce fut là que Dieu lui parla : “ Ta descendance sera aussi nombreuse que les étoiles qui scintillent dans le ciel. ” Ainsi naquirent les fils d’Abraham. L’un d’eux, Isaac, donna naissance à Jacob, qui donna naissance au peuple d’Israël, qui engendra des prophètes et des rois : Saül, le sage parmi les sages, David, le vaillant guerrier qui conquit la Ville sainte, Salomon, le bâtisseur de temples. Hélas, les complots de palais, les compromissions, le manque de discipline et d’unité emportèrent les fils d’Abraham dans la tourmente. Ils capitulèrent, à l’époque d’Hérode, devant ceux que la Bible nomme les Édomites, et que nous appelons les Romains. Jérusalem tomba.

Certains rejoignirent les multiples colonies d’Hébreux dispersées dans le monde. Saadia, qui venait de Judée, s’installa en Cyrénaïque, là où règne aujourd’hui l’islam. Son fils Guerra, notre père à tous, se révolta contre les Romains. La riposte fut terrible. Guerra dut fuir dans le désert avec ses coreligionnaires qui avaient échappé aux massacres, et avec les tribus païennes qui, elles aussi, avaient souffert des Édomites. Ils mirent en commun leurs maigres ressources. Commença alors une longue errance dans ces régions pauvres et hostiles pour ce peuple aux origines mêlées qui allait constituer la puissante tribu des Djéraoua.

Des siècles durant, ils vécurent aux frontières du désert. Rois de la steppe, mangeurs de vent, nos ancêtres, vivant de pillages et de razzias, délaissèrent peu à peu les Écritures saintes, qu’ils finirent par oublier. Lorsqu’on les voyait arriver, on disait : “ Voilà les étrangers, voilà les djéraoua ”, ce mot, en hébreu comme en punique, signifiant “ celui qui vient d’ailleurs ”.

Pendant ce temps, les Romains régnaient en maîtres dans les villes et les montagnes. Ils avançaient en ordre sous le commandement d’un chef suprême, tandis que les bérénes, à commencer par les Ouaréba, se querellaient clan contre clan, incapables de s’unir pour faire face à l’occupant. Bien vite, nos frères se retrouvèrent asservis par les Édomites. Pour leurs nouveaux maîtres, ils construisirent des routes, édifièrent des forteresses, des thermes, des cirques, des maisons.

Ainsi vit-on s’élever des villes prospères telles que Mascula, Bagaï, Timgad. Les Romains ne furent pas ingrats : pour manifester leur reconnaissance aux Berbères, ils leur offrirent un arbre. “ Cet arbre est un olivier, leur dirent-ils. Désormais, qu’il soit le symbole de la paix. ” Alors nos ancêtres plantèrent des milliers d’oliviers. Ils fabriquèrent d’énormes pressoirs qui jalonnent encore notre royaume. Tout cela pour le seul profit de l’occupant.

Puis, venus du nord, déferlèrent les hordes des Vandales dévastant le pays, pillant, violant, tuant, tant et si bien qu’ils chassèrent les Romains. Des villes comme Bagaï et Mascula furent brûlées ; nous ne connaissons qu’un pâle reflet de ce qu’elles furent jadis. Mais pour les Djéraoua, ce fut le début de la délivrance. Libérés du joug de l’Édomite, plus rien ne les contraignait à demeurer dans les terres arides du Sud. Prêtant main-forte à l’envahisseur, ils quittèrent les steppes désertiques et remontèrent vers le nord, jusqu’au massif des Aurès.

Ceux qui l’habitaient alors travaillaient la terre et le bois. C’étaient des sédentaires, des bérénes. Nos ancêtres les attaquèrent pour occuper la place. Vaincus, les bérénes partirent. Certains s’arrêtèrent sur les contreforts du massif où ils se remirent à semer et à labourer. Aujourd’hui ils sont nos amis et partagent notre croyance en Yahvé. À compter de ce temps, les Djéraoua devinrent les maîtres de la montagne.

Hélas ! Les Vandales sont à l’image des sauterelles dévorant une région, puis une autre, brûlant tout sur leur passage. Les chrétiens de Constantinople, informés de ces dévastations, s’inquiétèrent pour les comptoirs qu’ils possédaient en Afrique. Ils s’allièrent alors aux bérénes et aux botr pour combattre l’intrus, chassant les Vandales qui quittèrent le pays en l’an 533 pour ne jamais revenir. Les Byzantins, pour remercier les tribus berbères de leur aide, nommèrent Orthaïas, l’ancêtre de Koceila, roi du Hodna, et Afred, l’ancêtre de Tabet, roi des Aurès.

Nos pères devinrent donc les maîtres de l’Aurès oriental sous la protection bienveillante des Byzantins. Mais alors que le lait et le miel coulaient en abondance dans la région, que les grenadiers fleurissaient, que la paix semblait bien établie, Constantinople, oubliant sa promesse, se mit à persécuter les juifs des villes qu’ils contrôlaient. Nombreux furent alors ceux qui vinrent nous rejoindre dans nos montagnes. D’autres émigrèrent en Ibérie, d’autres encore gagnèrent le pays qu’on appelle Sous, au bord de l’océan Vert, près de la ville de Maroc la Rouge. Isolés dans les montagnes, les Djéraoua ne furent pas inquiétés. Mais ils gardaient un œil méfiant sur les Byzantins. Et c’est ainsi qu’aujourd’hui, même si nos relations avec les Grecs se sont améliorées, nombre d’entre nous continuent de leur refuser leur confiance. »

Voila donc l’histoire des DJERAOUA. La Kahéna, leur souveraine, s’appelait en fait Dahia.

"Dahia, fille de Tabet, fils de Nicin, fils de Baoura, fils de Meskeri, fils d’Afred, fils d’Ousila, fils de Guerra"

Lorsque l’on sait qu’en hébreu  Guer  est celui qui adhère au judaïsme, que le nom de la tribu Djéraoua, peut aussi se prononcer Gueraoua, avec le mot guer, il est évident qu’il s’agissait là d’une tribu mixte judéo-berbère. Autre élément significatif, les tribus juives d’Arabie que combattit le Prophète étaient appelées : « Kahina », il était donc logique, en arrivant en Afrique que les soldats du Prophète aient appelé la tribu des Djéraoua, tribu Kahina. Ce n’est que plus tard, par extrapolation, qu’on donna le nom de Kahina à Dahia, la fille de Tabet, lorsqu’elle régna sur les Djéraoua. Enfin Tabet, père de la Kahéna, se trouve être le fils de « Nicin », qui n’est autre que le nom typiquement hébraïque mais déformé de Nessim

Quand Dahia prit-elle le pouvoir ? On ne le sait pas exactement, écoutons, là aussi, ce qu’en dit Ibn Khaldoun : Dotée d’une grande beauté, elle était recherchée en mariage par les chefs les plus puissants. Elle repoussa les offres d’un jeune homme que son caractère cruel et ses habitudes de débauche rendaient particulièrement odieux. Son père, chef suprême de la tribu étant mort, ce fut ce prétendant évincé qui fut appelé à lui succéder. Il fit peser sur ses sujets la plus insupportable tyrannie. La Kahéna forma le projet de délivrer son peuple du monstre qui l’opprimait. Elle annonça son mariage avec lui… Et le soir de ses noces, elle lui plongea un poignard dans le sein. La libératrice fut immédiatement proclamée chef par ses compatriotes reconnaissants.

C’est donc au cœur du massif des Aurès, dans le Sud de l’Algérie actuelle, qu’au VIIème siècle vivait la puissante tribu berbère des Djéraoua, de religion juive, dont la Kahéna était la reine, comme le dit Ibn Khaldoun.

Enfant, elle fut délaissée par Tabet son père, chef de la tribu. Elle n’était qu’une femme, «  un de ces êtres futiles, capables uniquement de remplir les chaudrons et d’aller chercher de l’eau au puits. » Malheureuse de cette indifférence, elle réagit en décidant d’être le fils que son père n’avait pas eu.

Son caractère se forgea, se durcit, elle ne se plaisait qu’en compagnie d’une ribambelle de garçons, fascinés par son autorité. Elle disait souvent : «  Je ne serai jamais sous le corps d’un homme comme un fétu de paille. Je serai comme le soc de la charrue qui écrase les pierres. »

Elle dut subir la loi du clan et épouser Moudèh le riche marchand, cet homme laid, gras et cupide. Moudeh est le nom que j’ai choisi dans mon roman, car en fait on ignore son vrai nom.

Tabet mourut et Moudèh lui succéda. Il se montra cruel et tyrannique. Mais sous la pression de son peuple, Dahia tua le tyran. Acclamée par les siens, elle devint leur souveraine sous le nom de la Kahéna, la prophétesse. D’une beauté remarquable et dotée de pouvoirs étranges, elle prédisait l’avenir et guérissait les malades. Crainte et respectée, elle jouissait parmi les siens d’une autorité indiscutée, car elle rendait la justice avec équité, tout en se montrant impitoyable.

Une ère de paix et de prospérité s’installa dans la région. Sage et juste, la Kahéna poursuivit l’œuvre de son père, régnant sur ses sujets avec fermeté, observant la loi de Moïse, même si une partie de son peuple adorait toujours les Dieux des anciens phéniciens. Elle entretint de bonnes relations avec les grecs de Carthage et les autres tribus berbères de la région, qu’elles sont chrétiennes ou païennes.

 

Deuxième partie : La guerre contre les arabes

Mais dans les palais de la lointaine Arabie, les descendants de Mahomet avaient décidé de porter la parole du Prophète à travers le monde. Ils envahirent l’Egypte, s’installèrent en Libye. La conquête de l’Afrique du Nord pouvait commencer.

Là, ils éliminèrent les Aouréba, tribu berbère plus ou moins christianisée alliée des byzantins, puis les byzantins, ces grecs qui étaient à Carthage. Carthage fut détruite, mais pour que la victoire soit totale, il fallait battre les tribus berbères de l’intérieur du pays, c'est-à-dire les Djéraoua.

La Kahéna, qui jusque là avait vu les arabes d’un œil indifférent, réalisa alors que sa liberté était menacée. Elle envoya des émissaires à toutes les tribus berbères leur demandant de s’unir sous sa bannière pour arrêter l’envahisseur. Tous répondirent à son appel. La Kahéna, à leur tête, les peuplades de l’Ifriqiya, de la Numidie et de la Mauritanie, toutes croyances confondues (juives, chrétiennes ou païennes) infligèrent aux arabes une grande défaite. Ce fut la bataille de la Meskiana.

La Meskianaétait un paisible cours d’eau en été, un torrent tumultueux et impraticable l’hiver. Ce fut là, au printemps de 696, que les troupes arabes rencontrèrent celles de la Kahéna.

La veille du grand jour, les éclaireurs d’Hassan el-Ghassani, accompagnés de Simon le Berbère, étaient partis en reconnaissance dans la colline du Roncier, le mont inhospitalier et broussailleux qui surplombait la vallée de la rivière où devait se produire l’affrontement. Ils croisèrent des lézards, des chacals, quelques rares oiseaux, mais ne décelèrent aucune trace de forces ennemies. Ils avaient repéré celles-ci, en contrebas, dans la vallée. De toute évidence, les Berbères ne croyaient pas à une incursion arabe dans la montagne. De retour à Kairouan, ils avaient fait leur rapport.

« Les Djéraoua ont concentré leurs troupes dans l’étroit couloir où la Meskiana devient franchissable à gué. Ils y ont constitué un véritable barrage humain, rassemblant là tous leurs hommes. Nous n’avons vu aucun vigile, aucun renfort sur les contreforts montagneux dominant la vallée. Leur principal souci semble être de nous interdire l’accès à la rivière.

– Ces Berbères sont donc sans intelligence, constata Hassan, et leur Kahéna est bien présomptueuse. Si elle avait été un fin stratège, elle m’aurait attiré dans le massif escarpé de l’Aurès qu’elle connaît si bien et m’y aurait tendu une embuscade. Son erreur lui coûtera cher. Cette femme n’est pas faite pour la guerre. »

Au matin, Hassan commanda à ses troupes d’avancer. Avant l’assaut, en observant au loin l’armée ennemie massée sur la rive de l’oued, il fut pris d’un doute. Il n’avait jamais vu une telle concentration d’êtres humains sur un si modeste espace. Armés de lances et de flèches, les Berbères avaient placé des centaines de chameaux en demi-cercle et s’étaient abrités entre les jambes des bêtes. Hassan sourit.

Cette tactique primitive était dépassée. Elle s’était révélée efficace dans le passé, lorsque les ancêtres des infidèles combattaient les Vandales ou les Romains : les chevaux des roums, n’ayant jamais vu de chameaux, s’étaient sauvés, effrayés, refusant le combat. Mais les alezans des troupes d’Hassan connaissaient bien l’animal du désert : en Arabie, ils partageaient les mêmes enclos.

D’un signe de tête, l’émir donna l’ordre d’attaquer. Les Arabes se ruèrent sur les chameaux alors que les Berbères, protégés par les pattes et le corps de leurs animaux, décochaient une volée de flèches. Réfugiées à l’arrière, les femmes les alimentaient en munitions tandis que les plus âgées poussaient des youyous frénétiques pour fouetter le courage de leurs hommes.

En retrait sur un promontoire, fier sur son alezan noir, Hassan dominait le théâtre des opérations. Son armée ne ferait qu’une bouchée de ces bergers illuminés qui avaient prétendu tenir tête aux fils d’Allah. Au moment où il quittait son poste d’observation pour aller rejoindre ses hommes, une immense clameur s’éleva, le cernant de toutes parts. Le Ghassani leva les yeux en direction de la colline d’où semblaient provenir les cris. Alors, hébété, stupéfait, il découvrit un incroyable spectacle : des milliers de Berbères surgissaient du maquis, la montagne se mit à trembler sous les pieds de la horde rugissante qui martelaient le sol rocailleux et sablonneux, soulevant une épaisse poussière ocre et sang. Une marée humaine, haineuse et vengeresse, se précipitait sur l’armée arabe. Hassan avait sous-estimé le nombre, la force et le courage de son adversaire. Surtout, il n’avait pas soupçonné la ruse de la Kahéna qui, en une nuit, avait dissimulé ses guerriers dans la montagne, là où nul ne les attendait.

L’émir harangua ses troupes, les exhortant à lutter, au nom d’Allah et pour l’honneur du khalife. Mais déjà ses rangs étaient décimés. Ses soldats, terrorisés, disaient avoir vu, au milieu des assaillants, l’ange exterminateur. Vêtu de noir, monté sur un cheval noir, un sabre dans une main et une épée dans l’autre, il allait de l’un à l’autre, perçant les cœurs et tranchant les têtes. Certains avaient cru apercevoir, sous le turban noir, le visage d’une femme.

Hélas, Hassan comprit que la seule issue était la fuite. Des larmes de rage dans les yeux, il donna le signal de la retraite. Avec ce qu’il restait de son armée, il se replia aux confins de la Tripolitaine, près du territoire de Barka, dans le village de Bachada. Humilié, bafoué par des bergers, il fit le compte de ses hommes. Cette armée qu’il avait crue invincible était presque réduite à néant. Et Khaled, son protégé, celui qu’il aimait comme son propre fils, Khaled ne figurait pas au nombre des survivants.

Quant à Simon le traître, il avait disparu. Alors seulement Hassan comprit qu’il avait été abusé. Sa vengeance serait terrible.

Là où des générations d’hommes avaient échoué, une femme avait réussi. La Kahéna fit un prisonnier de marque, Khaled. Il était beau et avait l’âge de ses fils. Il allait devenir son amant, il allait assurer sa perte. La guerre finie, chacun rentra dans son village.

Mais les combattants de l’Islam n’avaient pas désarmé et ils préparaient leur revanche. Informée de cet état de fait, la Kahéna demanda aux berbères de s’unir à nouveau car le combat n’était pas terminé.

Mais on ne l’écouta pas cette fois ci. Sa victoire dérangeait. Elle était devenue trop puissante et la soif d’indépendance des berbères était beaucoup plus forte que leur désir d’union, même face au danger. La Kahéna comprit qu’elle n’avait plus rien à espérer de ces pleutres. Furieuse, elle permit à ses troupes fidèles d’accomplir les pires exactions : Viols, massacres, razzias se succédèrent dans le Maghreb.

Khaled, le prisonnier de la Kahéna, fit parvenir un message à Hassan son chef : « Les berbères sont divisés. Viens ! Le pays est à toi. »

Pour contrer les soldats de l’Islam, la Kahéna incendia le pays. Mais en vain : « Abattez les arbres ! Brûlez les maisons ! Ruinez le pays ! L’Arabe ne doit plus trouver chez nous un seul abri, une seule tente, une seule richesse. »

Les Arabes avançaient inexorablement et toutes les tribus se ralliaient au Croissant, soulagées d’être libérées de la Kahéna et de sa violence. Comprenant que le combat était perdu, la Kahéna

libéra Khaled, dont elle avait compris le double jeu, lui enjoignant de rejoindre les siens. Grande dans la défaite, elle savait aussi pardonner à l’ennemi. Elle se replia dans sa forteresse de Bagaï, dans les Aurès, avec ses fidèles, décidée à mourir plutôt qu’à capituler.

La défaite la fit douter et le désespoir supplanta son courage, quand Dieu lui parla : « Le clan ne doit pas mourir, ta race ne doit pas s’éteindre. Des cendres que tu as semées une nouvelle Afrique renaîtra. Une nation s’élèvera ici et ton peuple en fera partie. »

Alors au delà de leurs imprécations, elle imposa aux siens de se rendre le lendemain et de se convertir à cette nouvelle religion qui représentait l’avenir. A la nuit, elle abandonna la citadelle par une fente de la muraille et disparut. Au petit jour elle se trouva exténuée, à proximité d’un puits des environs, au moment où son ennemi Hassan, le chef arabe, arrivait sur son cheval. Elle le défia une dernière fois, fidèle jusqu’au bout à sa foi et à son amour de la liberté. Voilà ce qu’aurait pu être ses dernières paroles:

« Je t’attendais. Ainsi tu m’as vaincue. Mon Peuple se joindra au tien dans l’empire du Croissant. Mais le jour reviendra où la lutte reprendra violente, sacrilège, fratricide, et la terre d’Afrique rougira du sang de ses fils. Que ma voix se fasse alors entendre, portée par le vent du désert, chantant avec l’eau des sources, murmurant dans chaque grain de sable, dans chaque pierre, afin que le Dieu de clémence et de miséricorde se souvienne de ce peuple maudit et le sauve du néant. »

Puis, consentante, elle offrit son cou au sabre que la main de l’émir avait levé.

Voilà donc l’histoire de cette tribu qui combattit l’arabe et qui ensuite se mêla à l’empire du croissant. Accompagnant, donnant même le gros des troupes aux arabes, minoritaires, pour traverser le détroit de la mer bleu, du coté de ce qui devint Gibraltar, du nom de ce général musulman qui, en 711, les mena dans la péninsule ibérique et qui s’appelait Tarik ibn Ziyad, Djebel Tarik (la montagne de Tarik).

Le travail de chercheur est long, minutieux et difficile. Dans les théories avancées il existe parfois quelques failles qui ne remettent pas en question la véracité des fondements. Malheureusement, comme il est souvent plus aisé de détruire des concepts, des idées, des théories que de les développer, c’est dans ces brèches de l’histoire que s’engouffrent parfois quelques esprits mauvais, pour ne pas dire négationnistes, qui remettent en question les thèses avancées par ceux qui sont en quête de vérité. Ces gens étudient l’histoire de l’instant présent, en ignorant, volontairement ou non, d’où elle est issue. En effet, il est insupportable, aujourd’hui, pour certains d’accepter l’idée qu’une présence juive ait existé dans les temps anciens dans cette région du monde. Et pourtant les auteurs latins sont tous unanimes, les juifs chassés de Judée par les romains au début de l’ère chrétienne étaient très nombreux en Afrique du Nord. Donc ils n’ont pas pu, par un coup de baguette magique, disparaître, comme par enchantement, de cette terre au moment de l’arrivée des arabes au VIIème siècle.

Les textes d’Ibn Khaldoun ou d’autres auteurs arabes sur ces tribus juives, un certain nombre de traditions des populations locales, les traces archéologiques ou la présence de cimetières juifs dans les endroits où résidaient ces tribus juives sont pourtant des éléments probants.

Un exemple significatif : baghaï ( prononcé Barhaï ou même harhaï selon les endroits), fief de la kahéna, sur un plateau montagneux, peut venir de l’hébreu HAR (montagne) et HAÎ (le vie et même qualificatif de Dieu). La montagne sacrée où Moïse reçut la loi s’appelait parfois HARHAÏ. De même « AÏ » était aussi le nom de plusieurs villes de Judée, près de Jéricho, au temps de Josué.

Ainsi, malgré de multiples faisceaux de présomption, l’existence de la Kahéna et de sa tribu est contestée par certains, son rôle minimisé par d’autres, la disant même chrétienne, ce qui est absurde, lorsque l’on étudie en détail cette époque et cette région.

Après l’arrivée des arabes, le judaïsme continua à exister au Maghreb, certes de façon plus pacifique, mais encore en nombre. Ce n’est qu’au XIIème siècle, sous le régime des Almohades, qu’il subit des coups terribles, entrainant massacres et conversions épouvantables. L’ère du Dhimmi commença.

Le judaïsme devint minoritaire et soumis, il fallut attendre l’arrivée des juifs Espagnols au XVème siècle pour lui redonner vie tout en restant sous le joug des lois humiliantes et infamantes dictées par, selon les auteurs, la Charte d’Omar. Ce n’est qu’avec l’arrivée de la France en 1830 que les juifs devinrent des hommes libres : le statut de Dhimmi était enfin supprimé.

De façon plus ou moins anecdotique, lorsqu’on évoque cette condition de Dhimmi auprès de beaucoup d’Algériens d’aujourd’hui, ils la nient. En conclusion voici ce que disait William Shaler, dans son Esquisse de l'Etat d'Alger (traduit par X. Bianchi), un homme neutre, qui n’était autre que le Consul général des Etats-Unis à Alger en 1830:

"Les Juifs ont à souffrir d'une affreuse oppression. Il leur est défendu d'opposer de la résistance quand ils sont maltraités par un Musulman, quelque soit la nature de la violence. Ils n'ont pas le droit de porter une arme quelconque, pas même de canne. Les mercredis et samedis seulement, ils peuvent sortir de la ville sans en demander la permission. Y a-t-il des travaux pénibles et inattendus à exécuter, c'est sur les Juifs qu'ils retombent.

Dans l'été 1815, le pays fut couvert de troupes immenses de sauterelles qui détruisaient la verdure sur leur passage. C'est alors que plusieurs centaines de Juifs reçurent l'ordre de protéger contre elles les jardins du pacha; et nuit et jour, il leur fallut veiller et souffrir aussi longtemps que le pays eut à nourrir ces insectes.

Plusieurs fois quand les janissaires se sont révoltés, les Juifs ont été pillés indistinctement; et ils sont toujours tourmentés par la crainte de voir se renouveler de pareilles scènes. Les enfants même les poursuivent dans les rues, et le cours de leur vie n'est qu'un mélange affreux de bassesse, d'oppression et d'outrages. Je crois qu'aujourd'hui les Juifs d'Alger sont peut-être les restes les plus malheureux d'Israël."

Voici une partie de notre histoire dans cette Afrique du nord des temps passés. Je voudrais rajouter que dans mon livre sur la KAHENA, j’ai imaginé, pour le bon déroulement de l’intrigue, certains passages concernant la vie privée de la Kahéna, car peu de choses sont connues sur ce sujet.

Beaucoup de temps s’est écoulé et je tiens à rendre hommage pour son merveilleux travail sur la Kahéna et les berbères, à ce grand auteur arabe du XIVème, Ibn Khaldoun.

 

DIDIER NEBOT

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