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Tlemcen, le kiosque à musique au centre ville
Médéa : rue Gambetta (1945)
Alger : rue d'Isly (1930)
Une oasis à Ouargla (Territoire du Sud algérien)
La Grande Poste d'Alger (Photo J.P. Stora)
Square Bresson
Lycée E.-F. GAUTIER D'ALGER
Service Alger - Bouzareah
Alger : le marché de la place de Chartres
MEDEA - Le Café de la Bourse
Guyotville - La Plage

 

CHASSES D’ESPAGNE, DE NOMBREUX JUIFS ERRENT SUR LES ROUTES DU PORTUGAL

Le long convoi de juifs qui avait traversé la frontière s’était arrêté quelques jours en pleine campagne avant de repartir pour Lisbonne. C’était le soulagement parmi les exilés.

Quelques-uns chassèrent, d’autres cueillirent des baies ou pêchèrent dans les étangs. L’espoir renaissait, même si l’on pensait bien souvent à ceux qui étaient restés en Espagne.

Les plus éprouvés s’étaient regroupés. Ils parlaient peu, évoquaient le passé, imploraient le Seigneur. Près d’eux se trouvaient les charrettes des malades et des blessés, dont le voyage avait bien souvent aggravé l’état. C’était pitié que d’entendre leurs plaintes ; on venait les réconforter en leur parlant de la terre nouvelle, de la paix retrouvée.

Le convoi resta trois jours dans cette clairière près de la rivière avant de reprendre la route. La plupart des immigrants ne connaissaient pas le Portugal. Comment seraient-ils accueillis ? On leur avait dit que les Portugais étaient paisibles, qu’il ne leur serait fait aucun mal. Mais toutes les épreuves subies les avaient rendus méfiants.

Bientôt le premier village apparut. Les femmes serrèrent leurs enfants contre elles, les suppliant de ne pas faire de bruit, les hommes avancèrent la tête basse, dans l’espoir de passer inaperçus… L’accueil fut loin d’être hostile. On regarda avec curiosité ces arrivants silencieux, des enfants agitèrent les bras, coururent derrière les chariots. Les exilés alors se détendirent. Ils saluèrent les badauds avec le sourire. Ce qu’on leur avait dit était vrai : ce peuple n’était ni méprisant ni agressif. Peu à peu, le convoi pressa l’allure sous les chants des jeunes filles. Il leur tardait d’arriver.

Quelques jours plus tard, alors qu’ils n’étaient qu’à quelques lieues de Lisbonne, une quinzaine de coreligionnaires vinrent à leur rencontre : «  Vous êtes au moins le dixième convoi à arriver ici. Il y en a eu aussi sur Braga, Porto, Coimbra, Leiria et même Faro. Nous sommes éparpillés dans tout le pays. Nous sommes là pour vous guider. Les autorités ont accepté que vous vous installiez à l’ouest de la ville. Nous sommes très nombreux et le quartier juif trop petit pour tous nous accueillir. Nos frères portugais sont remarquables, leurs femmes et leurs filles très dévouées, elles ont apporté un grand réconfort à nos malades et à nos enfants. »

Les premiers jours se passèrent bien. Le temps était beau et les réserves de nourriture encore suffisantes. Les chariots servirent d’infirmerie et de dortoirs aux enfants et aux vieillards. Les autres trouvèrent des abris de fortune : ici quelques planches de bois entre deux arbres, là de la mousse, ailleurs une couverture tendue par des piquets. La plupart auraient aimé trouver rapidement du travail, même pour une bouchée de pain, mais il n’y en avait pas.

Le Portugal était trop petit pour absorber autant de monde ; le roi Joao II n’autorisa les immigrés à séjourner que huit mois sur son territoire. Il établit de plus un droit d’entrée qui s’élevait à huit cruzados par personne. Ce fut l’étonnement et la consternation parmi les proscrits qui s’attendaient à rester définitivement dans ce pays. La plupart ne prêtèrent aucune attention à cette date limite, persuadés que leur détresse finirait par émouvoir le roi et qu’il reviendrait sur sa décision.

La première intervention de Joao II fut d’abord rassurante : c’est en des termes pleins de compassion qu’il s’adressa aux commandants des bateaux chargés de transporter les juifs : «  Je vous confie des hommes et des femmes qui ont beaucoup souffert. Je vous demande de les traiter avec bienveillance et de les déposer dans le pays de leur choix. En bons chrétiens que vous êtes et suivant la promesse que vous m’avez faite, le prix du voyage sera très raisonnable. Vous êtes le dernier espoir de ces malheureux. »

Rendus confiants par de tels propos, deux mille cinq cents juifs s’embarquèrent bientôt sur une dizaine de navires pour l’Afrique.

Si ceux qui réagirent immédiatement arrivèrent en Afrique à bon port, les autres vécurent à nouveau un cauchemar. La nature humaine, ouverte à toutes les faiblesses, fit son œuvre : les capitaines de navires comprirent le grand, l’immense profit qu’ils pouvaient tirer de ces êtres perdus. Se doutant qu’ils transportaient avec eux de l’or ou des biens négociables, ils abusèrent de leur situation désespérée. Le respect préconisé par Joao II partit en fumée…

 

Ainsi, à bord de la frégate Dieu le veut, deux jours après le départ, Manuel de Santos, seul maître à bord après Dieu, informa le rabbin Eli ben Zaffran, porte-parole des deux cent cinquante pauvres bougres qu’il transportait, de la décision qu’il venait de prendre : «  Si vous voulez continuer votre route, il faut me payer un supplément. »

«  Mais nous vous avons déjà tout réglé à l’embarquement ! Comment voulez-vous que… ? »

«  J’encours trop de risques avec vous. Vous sentez mauvais, vos enfants sont malades et rien ne me dit que vous n’aurez pas la peste… »

«  Vous n’avez pas le droit, vous aviez promis. »

«  Je n’ai pas le droit ! Eh bien tu vas voir, fils de chien ! »

Il appela deux de ses marins qui saisirent le rabbin et le jetèrent par-dessus bord. La mer était calme, il n’y avait pas de vent, et pendant un long moment chacun entendit les cris du malheureux. Puis ce fut le silence.

Le capitaine s’adressa alors aux proscrits, qui s’étaient blottis à l’avant du bateau : «  Voilà, manants, ma réponse à votre rabbin. Maintenant, payez et je vous mènerai à bon port. »

Une frêle silhouette sortit du rang :

«  Moi je ne peux donner davantage, je n’ai plus rien. »

«  Ah ! Tu n’as plus rien, ricana Santos. Tu as bien une famille quand même. »

«  Oui. »

«  Désigne-la-moi. »

Tout tremblant, il montra du doigt sa femme et sa fille.

Alors le capitaine s’adressa à ses hommes : «  Elles sont à vous, faites-en ce qu’il vous plaira. »

Six forcenés se ruèrent sur les deux juives, tandis que deux autres frappaient le mari qui cherchait à s’interposer. Ils s’acharnèrent sur les deux malheureuses, les abandonnant après avoir assouvi leurs instincts… Les autres passagers, terrorisés, s’étaient bouché les oreilles et avaient fermé les yeux. Santos, l’œil brillant, se campa devant eux et les obligea à l’écouter.

« Celui-ci a réglé son droit de passage. Comme vous le voyez, je ne suis pas difficile, j’accepte l’or et toute autre fortune. Dois-je encore le prouver ? »

Alors, fébrilement, tous mirent en commun le peu qui leur restait et le donnèrent pour avoir la vie sauve. Cela dut suffire puisque Santos ne leur réclama rien d’autre et les transporta jusqu’au Maroc.

Des scènes similaires se déroulèrent sur d’autres navires. Un capitaine, prétextant le manque de vent, fit traîner le voyage en longueur jusqu’à ce que les fugitifs aient épuisé leurs provisions. Puis il leur vendit de la nourriture à prix d’or. Souvent, alors que les bateaux arrivaient en territoire maure, les exilés parqués dans la cale étaient vendus comme esclaves aux riches Arabes ou abandonnés sur les côtes désertes de l’Afrique. Vols, viols, meurtres, tout était bon pour profiter de leur extrême faiblesse…

Au Portugal, ceux qui attendaient la fin des huit mois pour quitter le pays furent informés de ces scènes d’horreur. Ils eurent alors peur de partir. Les rabbins supplièrent le roi de les garder mais le monarque refusa.

A l’expiration du délai, il restait encore plusieurs dizaines de milliers de juifs au Portugal. Fidèle à sa parole JoaoII les vendit comme esclaves aux membres de la noblesse. Il y eut des scènes épouvantables. On sépara les jeunes de trois à dix ans de leurs parents, on les convertit et on les envoya peupler les terres lointaines. On transporta même des enfants sur l’île Saint-Thomas où pullulaient les serpents venimeux. La plupart succombèrent. Des mères se jetèrent dans les flots avec leur progéniture. D’autres immolèrent leurs enfants puis s’éventrèrent. Certains se cachèrent dans les montagnes, d’autres retournèrent en Espagne.

 

 

 Extrait du livre de Didier Nebot : « Les Bûchers d’Isabelle la Catholique »

Parution janvier 2018 - édition ERICKBONNIER

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