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Par Adrien BERBRUGGER

Ce livre broché de 108 pages est paru le 1er août 2015 chez l’éditeur : Hachette Livre BNF. La date de l'édition originale est d

e 1836.

A propos de la Gazette du dimanche 3 décembre 2017 : "6 décembre 1835 : Le martyr des Juifs lors de la prise de Mascara (Algérie)", le professeur Paul Fenton a attiré notre attention sur le récit très émouvant relatif à ces évènements écrit par Adrien Berbrugger, Relation de l’expédition de Mascara, Paris, 1836 (réimpression Paris, 2015), dont il a extrait les passages suivants :

La nuit commençait à se fermer, la pluie qui tombait abondamment, la boue des rues sales et étroites qu’il fallut d’abord traverser, contribuaient encore à rendre plus poignant le triste spectacle qui se manifestait graduellement aux regards.

Une ville à peu près déserte et le petit nombre de figures humaines qu’on y apercevait ressemblant plutôt à des spectres qu’à des hommes; des femmes, pâles, échevelées, à peine couvertes par quelques haillons, portant encore la trace de la brutalité des Arabes.

Ces malheureux nous saluaient avec autant de joie que leur souffrance leur permettait d’en éprouver, et paraissaient nous regarder comme leurs libérateurs.

Là nous apprîmes qu’en effet les soldats d’Abd el-Kader, en revenant du combat de la Habrah, avaient passé par Mascara, avaient obligé la population maure d’évacuer et avaient pillé tout le monde indistinctement; mais les Juifs avaient eu plus particulièrement à souffrir; une soixantaine avait été tués, un grand nombre de femmes et enfants emmenés.

En cherchant des logements pour M. le maréchal gouverneur, on entra dans une maison où se trouvaient deux femmes couvertes de blessures, gisant à côté d’une troisième qui était morte.

Et on apprit par ceux qui les entouraient que les victimes des scènes de carnage qui venaient avoir lieu dans Mascara étaient encore, les morts sans sépulture et les blessés sans secours.[...]

Dans cette ville infortunée où le feu consumait un assez grand nombre de maisons, il ne restait plus que sept à huit cents juifs, tremblants et consternés, qui offraient un spectacle de misère et de douleur que l’imagination a peine de concevoir (pp. 70-71).

Lorsqu’on vit les principaux d’entre les juifs venir supplier qu’on les emmenât avec l’armée (..) le maréchal forma le projet de transporter le beylik de la province d’0ran à Mostaghanem, place fortifiée, où l’on pourrait donner aux juifs de Mascara des maisons aujourd’hui inhabitées. (...) (pp.77-78). 

Arrivés au sommet de la colline qui domine Mascara, on fit une halte; et c’est alors que l’on eut un terrible spectacle, celui de cette ville enflammée de tous côtés (….). Mais ce qui ajoutait 
à ce que ce tableau présentait de lugubre, c’était l’émigration des juifs.

Qu’on se figure des femmes pieds nus portant leurs enfants sur leurs épaules, des vieillards se traînant à peine; car c’était là ce qui composait cette caravane en grande partie, marchant péniblement sur une route détrempée par la pluie qui avait tombé les jours précédents, et qui recommençait à tomber encore.

Et quand on pensait que ces malheureux devaient franchir ainsi la distance qui nous séparait de Mostaganem, et courir les chances que trois bivouacs et de quatre jours de marche, on se sentait pénétrés de tristesse.

Les plus riches d’entre eux avaient loué à des prix exorbitants quelques uns des chameaux qui ne se trouvaient pas chargés, et y avaient placés tout ce qu’il leur avait été possible d’emporter de Mascara (…)(pp. 79-80).

Quand on fut arrivé au sommet de l’Atlas (…), un tableau de misère et de souffrance que les hommes les plus fermes ne pouvaient contempler sans émotion, se déroula alors à nos yeux. La malheureuse population juive, qui avait déjà eu tant de peine à franchir la veille la distance 
courte et facile qui sépare Mascara de El-Bordj, s’engageait dans l’affreux chemin dont il vient d’être parlé, dans le moment où les éléments semblaient conjurés contre nous. (…)

Incapables de résister à une si cruelle épreuve, les juifs  déjà épuisés par la marche la veille et par une nuit passée au bivouac par une pluie battante, tombaient à tout moment, et ne se relevaient que pour tomber de nouveau.

Des chameaux, ne pouvant se soutenir dans cette terre glissante, roulaient dans les précipices qui bordent l’étroit sentier, et parfois écrasaient dans leur chute des femmes et des enfants placés sur leur dos. 0n a vu dans cet affreux moment des êtres humains si profondément ensevelis dans la boue, qu’il était impossible de reconnaître autrement que par le 
mouvement de la vase où ils s’agitaient, la place où ils venaient de tomber.

Les sentiments les plus puissants et les plus sacrés semblaient totalement éteints par l’excès du danger et de la misère chez ces malheureux qui oubliaient tout ce qu’ils avaient de plus cher pour ne penser qu’à leur conservation personnelle.

Des pères voyaient d’un œil sec leur famille s’engloutir devant eux, et sans chercher à la secourir, ne s’occupaient que d’éviter de partager son sort.

Il faut renoncer à peindre cette scène de désolation; mais on pourra en concevoir toute l’étendue et la force, en sachant que dans une armée où se trouvaient nombre d’hommes que trente années de service et plus avaient bien familiarisés avec les misères humaines, il ne s’en trouva pas un qui ne convînt qu’il n’avait jamais vu rien de semblable. (…)

Nos soldats se tirèrent généralement bien de ce passage difficile; bien plus, ils vinrent en aide aux Israélites. L’arrière-garde, composée de Zouaves et de chasseurs à cheval, sauva un grande quantité des ces infortunés.

Aussi humains que braves, les soldats du commandant Lamoricière relevaient ceux qui tombaient, chargeaient les enfants sur leur sac alourdi par le poids de cent cinquante cartouches, et tout cela sans  cesser de repousser à coups de fusil les Arabes qui cherchaient à 
s’emparer des traînards.

Les chasseurs portaient en croupe ou entre leurs bras de pauvres créatures que leurs parents avaient abandonnées; et à la première halte, c’était un spectacle touchant que de voir ces braves soldats réchauffant à leurs feux les petits êtres qu’ils venaient de sauver, puis les enveloppant de leurs manteaux pour leur procurer un moment de repos et de sommeil (pp. 84-86).

Adrien Berbrugger

L'auteur fait le récit très touchant des malheurs que les Juifs eurent à subir lors de la prise de Mascara, la place forte d’Abd el-Kader, en décembre 1835.

Il s’agit de la reproduction fidèle d’une œuvre publiée avant 1920 et fait partie d une collection de livres réimprimés par Hachette Livre, dans le cadre d’un partenariat avec la Bibliothèque nationale de France, offrant l’opportunité d accéder à des ouvrages anciens et souvent rares issus des fonds patrimoniaux de la BnF.

Archéologue et philologue, A. Berbrugger (1801-1869) était le secrétaire du Maréchal Bertrand Clauzel et en 1837, il fut même envoyé au camp d’Abdel Kader qu’il décrira dans son livre Voyage au camp d’Abd el-Kader.

Il fera toute sa carrière en Algérie où il fonda la bibliothèque d’Alger.