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Dans le cadre du cycle de conférences proposé par l’association Morial,  Henri Touitou, auteur et artiste peintre, a parlé de la ville de son enfance Biskra.

L’origine des juifs d’Algérie est peu connue, elle se confond avec celle de tous les juifs d’Afrique du Nord, mais cette présence est incontestable, selon les historiens, dès avant la conquête Romaine.

Par la suite, du fait de l’immigration juive suite à l’emprise arabe sur la région on trouvera des juifs partout en Algérie, surtout dans les grandes villes, certes, mais aussi jusqu’à l’extrême sud-est, comme à Biskra et jusque dans les régions Sahariennes.

Biskra est une commune située au pied des Aurès et des monts Zab, d’où son surnom de reine des Zibans. Les Zibans étant une région à cheval sur l’atlas saharien et le Sahara. Biskra, à 400 km au sud-est d’Alger, en est la ville principale.


Dans cette région où vivaient peu d’Européens s’est instaurée une sorte de « proximité familiale » dû sans doute à l’origine berbère des deux communautés.


La majorité de la population juive de Biskra et de ses environs venaient, non pas d’Espagne après l’expulsion des juifs en 1492 mais selon le chercheur et historien  Jacob Oliel, directement de Palestine après la destruction du premier temple et surtout du second. C’est le début de l’errance.

 

Les tribus perdues d’Israël se seraient installées parmi les Berbères qui peuplaient l’Afrique du Nord. Berbères qui auraient été judaïsées, je parle au conditionnel, dans la mesure où n’existent que peu de traces de cette possible réalité.

Bon nombre ont essaimé dans les régions sahariennes avant de s’installer dans tous le pays et en particulier à Biskra et dans les communes limitrophes.

A Biskra, la vie pour la communauté y était paisible et le judaïsme pratiqué plutôt traditionnaliste marqué par les fêtes que l’on célébrait si je puis dire, à ciel ouvert.

La création de l’Etat d’Israël a provoqué une rupture entre les deux  communautés, rupture déjà exacerbée par la publication du décret Crémieux.

Puis est venue la guerre de libération et la aussi chacun a choisi son camp.

Maurice Laban, juif né à Biskra en 1914 et membre du P.C  Algérien avait très vite opté, milité et combattu pour l’indépendance de l’Algérie. Il a été tué par l’armée Française en 1956. Une rue à son nom a été baptisée et inaugurée en 2000 à Biskra en présence de sa femme.

Les fêtes et autres évènements d’ordre religieux se déroulaient au sein d’une synagogue reconstruite dans les années 50 et détruite entièrement après l’indépendance de l’Algérie. C’est aujourd’hui la chambre de commerce de la ville.

Je me souviens surtout de Kippour qui voyait affluer dans cette synagogue, devenue soudain trop petite, la quasi-totalité de la communauté juive de la ville.

Je me souviens que l’on se moquait gentiment de ces juifs que l’on appelait "les Juifs de kippour", ceux que l’on ne voyait jamais habituellement aux offices, même pour chabbat.

Il s’agissait surtout des familles aisées de la ville. Nous ns connaissions, certes, mais sans vraiment se fréquenter, nous étions conscients tout de même d’appartenir à la même communauté.

Depuis, je suis moi-même devenu un de ces juifs, c’est ainsi.

Mais se retrouver tous ainsi rassemblés, même pour une journée, participait de notre éducation, surtout à l’instant émouvant de la prière des Cohanim, "birkat a cohanim" avec le seul Cohen de la communauté, avant l’arrivée plus tardive d’une autre famille Cohen venue de Tunisie.

Enfants petits et grands, tous comme abrités, recouverts du talith de nos pères écoutions cette prière austère, émouvante, là, silencieux dans l’impatience du choffar.

Kippour c’était aussi le rituel de l’abattage des poulets, un par personne, je m’en souviens, et le rabbin qui allait de maison en maison pour satisfaire à cette pratique, souvent dans la rue, d’ailleurs. Parfois aussi dans la cour du talmud thora.

Ensuite les porter chez le boulanger, dans un grand plateau, afin de les rôtir dans un four à la mesure de la chose.

C’était aussi cela la transmission des valeurs, des rites et coutumes.

La vie se déroulait ainsi dans une relative quiétude.

Nous étions plus ou moins pratiquants mais il est vrai que souvent le Chamache était chargé de rameuter les hommes surtout pour l’office de Chakhrit afin de constituer un miniane. Pour les offices du soir aussi il va sans dire.

Et pour nous, les enfants, il n’était pas question de manquer le talmud thora du jeudi. Le rabbin venait chercher à domicile. Nous attendions avec impatience la célébration de notre bar-mitsva afin d’être libérés de ce qui était pour nous, une corvée.

Mais l’arrivée d’un nouveau rabbin, un autre Cohen donc, allait nous faire changer d’avis. Il venait de Djerba, je crois. A la fois érudit et jovial.

Très respecté par la communauté il a su donner un nouveau souffle aux fidèles désormais plus nombreux pour écouter ses sermons toujours plein de bon sens. C’est grâce à lui, à son implication que ma génération a su vraiment prier et lire la paracha , bli-nikoud, sans points à l’instant béni de notre Bar-Mitsva.

Lors de ces célébrations l’on regagnait la maison pour le repas traditionnel, en marchant dans la rue, en cortège, le rabbin en tète toujours revêtu de son talith et chantant à tue-tête, mais en mesure, le plus souvent en arabe avec quelques mots d’hébreux ici ou là.
Nous gardions nous aussi nos taliths jusqu’à la maison et cela ne posait aucuns problèmes. C’était comme quelque chose d’évident, de naturel.

Tout comme la célébration des autres fêtes qui ne posaient aucuns problèmes quand que nous débordions dans les rues et sur les trottoirs.

Comme à Chavouaot par exemple lorsque selon une tradition sépharade apparemment, l’n s’aspergeait d’eau à qui mieux mieux dans une véritable bonne humeur.

Ou aussi à Pourim n’hésitant pas à faire une bruit d’enfer avec nos pistolets à bouchons afin de chasser Haman.

Sans oublier, toujours à pourim, ces aller-retours, d’une maison à l’autre, une assiette de gâteaux dans chaque main pour l’offrande aux voisins et amis.

Le plus souvent, ces gâteaux étaient cuits dans le four du boulanger au coin de la rue. Ce boulanger chez qui nous portions aussi de grands plateaux chargés du pain du chabat afin de le cuire. Ce que nous appelions « le pain juif ». Ce boulanger s’était fait et habitué au calendrier juif avec naturel et une disponibilité sans failles. Il faisait tout comme nous partie intégrante de la ville.

La communauté, intégrée au point de tenir la maison close de la ville, "le point bleu". Je me souviens encore du nom de la propriétaire, Mme. Sadoun.

La plupart des orfèvres, bijoutiers étaient juifs et n’avaient pour clients quasiment que la communauté arabe. Les juifs étaient aussi dans les services, l’artisanat et comme il se doit, dans toutes les professions médicales et relevant du droit. Une sorte d’évidence et de passage obligé.

Le Casino de la ville avec ses salles de jeux et sa salle de cinéma appartenant aussi à une famille juive : les Ayoun.

Les palmeraies et  le commerce de dates étaient quasiment aux mains des familles Touitou.

Abraham-Msélati Touitou fut le premier adjoint du premier maire de Biskra : Jules Bechu.

Un peu plus tard dans les années 60 mon oncle Gaston Meyer a été lui aussi le premier adjoint du dernier maire de la ville : M. Cazenave.

La communauté juive de Biskra, comme dans  toutes les autres villes d’Algérie et de France, a bien évidemment été affectée par les de Vichy portant sur le statut des juifs.

En 1940, les palmeraies des familles Touitou ont été mises sous séquestres avec l’abrogation du décret Crémieux. Idem pour le casino de la famille Ayoun.

Jacques Isaac Barkats engagé dans l’aviation a été radié des cadres le privant ainsi, parait-il d’une belle carrière.

Pour la scolarisation des enfants le relais fut pris avec succès par l’alliance Israélite universelle.

Tout rentrera, dans l’ordre en 43 avec le rétablissement des juifs dans leurs fondamentaux. Ce ne fut pas facile m’a-t-on raconté. Ce fut aussi le signal de départ pour Israël pour quelques familles juives de Biskra.

Je revois et j’entends encore les envoyés de l’Agence juive parlant avec enthousiasme d’Israël en promettant mont et merveilles…

Les premiers départs eurent lieu déjà en 48/49. Mais le gros de la communauté resta jusqu’en 1962.

Cette guerre fera d’autres victimes comme par exemple cette famille Touitou, désolé encore nous, onze enfants et leurs parents, tous nés à Biskra ou dans les environs, qui avaient choisi de quitter l’Algérie pour la France en espérant un meilleur destin et qui furent déportés en 42 depuis Saint-Fons, dans la banlieue Lyonnaise.

Deux  enfants en réchappèrent : Joseph et Henri. Ils sont retournés à Biskra pour vivre une autre vie, se marier, fonder une famille. Joseph nous a quitté il y trois ans,  quand à Henri, ironie du destin et des choses cruelles de la vie, après avoir échappé à une mort annoncée dans les camps a été abattu devant sa porte, à Biskra, par un Algérien.

Je me souviens de son enterrement et je revois même sa tombe à Biskra. Ici repose Henri Touitou, la première fois ce fut un choc. Mon nom inscrit sur une pierre tombale.

Nul n’a jamais bien compris les raisons de ce geste dans la mesure où nous n’avions aucuns problèmes majeurs avec la communauté musulmane et que les Touitou étaient plutôt bien considérés. Je m’en suis rendu lors de mon retour à Biskra il y a 3 ans. Ce cimetière a été, après notre départ en 1962, complètement saccagé.

Il y aurait encore tant de choses à raconter sur nos joies mais aussi sur les brûlures de notre histoire.

Dans leur grande majorité les Juifs de Biskra, après l’exil de 62, se sont installés dans le sud de la France, peu ont fait leur alya. Ils étaient français et ont donc choisi la France.

Voilà donc ce que je pouvais vous dire sur notre vie à Biskra.

Voilà ce dont je me souviens.