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De Simon DARMON         

Parallèle à la rue Bab Azoun est la rue de Chartres dont on a depuis peu changé arbitrairement le nom.

Chassés de la première par la cherté des loyers dans les maisons à arcades, les petits boutiquiers indigènes se réfugièrent dans la nouvelle rue qui devint, au dire d'un contemporain, une voie plus animée que les rues St Denis et St Martin à Paris. Sauf les voitures.

A l'angle des rues de Chartres et du Lézard, écrivait Feydeau en 1860, "l'affluence de la foule des Maures qui descend de la haute ville se mêle aux Juifs qui stationnent aux environs du bazar… "
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Le marché de Chartres et ses alentours ont conservé le matin quelque chose de cette animation pittoresque. Ce marché est un carré ouvert où les amoncellements des légumes et des fruits sont une joie pour l'œil.

On y trouve selon les saisons, les dattes enrobées dans leur sucre naturel, les muscats blonds ou roses aux grains lourds, les fruits de France et les oranges, les mandarines, les clémentines d'Algérie, tout, depuis l'humble figue de Barbarie que le marchand présente ouverte dans son enveloppe à piquants, jusqu'à l'énorme melon jaune et la pastèque à l'écorce lisse d'un vert rutilant, à la pulpe d'un rose (rouge) charnel rehaussé du noir de ses graines, dont une tranche suffit pour manger, se rafraîchir et même, en utilisant l'écorce ruisselante ; pour se laver les mains. Le tout pour deux sous, jadis.

C'est un tumulte continuel de cris, d'interjections, d'appels, de conversations, de discussions en arabe, en sabir, en français et même en juif qu'échangent les revendeurs mahonnais ou maures, les ménagères, les petits porteurs indigènes et les flâneurs. Le tout flanqué d'une sorte de braderie de cotonnades et de vêtements d'occasion, d'un éventaire de brocanteurs, genre « monter ménage », sans oublier l'étalage à même le sol du bouquiniste kabyle qui dispense une littérature d'une étonnante variété.

Pour désencombrer les rues Bab Azoun et de Chartres, on en perça une troisième, parallèle, la rue de la Lyre. Ses arcades dévalent du marché du même nom droit sur la cathédrale et ses immeubles ne semblent pas avoir été blanchis depuis leur construction. On la considère comme étant le (ou un des) quartier(s) juif(s) d'Alger et le centre du commerce israélite dans cette ville.

Avant 1914, on pouvait encore y rencontrer quelques vieux messieurs vêtus du costume musulman ou d'une lévite, coiffés du turban ou de la calotte de feutre, la barbe longue et les cheveux en cadenette ; d'autres portant la redingote européenne, un haut de forme le samedi ou un chapeau melon. Les femmes âgées se vêtaient d'amples robes de brocart et de soie à plastron brodé d'or avec par-dessus un châle des Indes hérité des aïeules, les cheveux strictement cachés par un mouchoir sombre à longues franges. Les garçonnets arboraient des costumes de velours à broderies, les fillettes des vestes bleu phosphore, des culottes safran, vert ou rose.

A la veille de la Deuxième Guerre Mondiale, ce pittoresque ne court plus la rue de la Lyre et les Israélites élégantes lancent à Alger la mode de Paris.

Les magasins tenus par des Juifs ou des Arabes, vendent toujours des parfums d'Orient, des babouches, des chéchias, des tissus laine et soie pour robes et haïks, généralement d'importation européenne, mais en fait le commerce juif se tient dans les magasins les plus modernes des rues d'Isly et Michelet.

Quant à la bourgeoisie israélite elle habite depuis un demi-siècle les villas de Saint-Eugène, ou les maisons des nouveaux quartiers d'El Biar, Kouba, Belcourt.