"Les Juifs d’Afrique du Nord face à l’Allemagne nazie" est un livre paru aux Éditions Perrin, en avril 2018, à Paris. Sous la direction de Dan Michman et Haïm Saadoun. 

Le titre de cet ensemble d’articles scientifiques a de quoi surprendre un lectorat avisé de la Chose historique en AFN.

La chose est encore plus surprenante lorsqu’on scrute de plus près cette publication.  Ce colloque- puisqu’il s’agit d’un colloque- s’est bien tenu- à l’Institut Ben Zvi à Jérusalem en 2008. J’ai eu l’honneur d’y participer à l’invitation de Haïm Saadoun que je remercie vivement à travers ces lignes.

Ma communication portait sur : « Le camp d’internement pour soldats juifs d’Algérie, Bedeau, sud oranais 1941-1943 ». (Voir mon livre : « Quand Vichy internait ses soldats juifs d’Algérie, Bedeau, sud oranais, 1941-1943 » éditions l’Harmattan, Paris, 2006)

J’en profite pour rappeler que l’intitulé de ce colloque ne faisait pas apparaître l’expression : « face à l’Allemagne nazie ».

Faut-il rappeler que cette publication est destinée à un public français ou à tout le moins francophone et par conséquent on aurait pu soigner un peu plus le maniement de la langue française. C’est mon point de vue. La connaissance de cette page d’Histoire à laquelle je participe modestement depuis bientôt 40 ans mérite une plus grande attention !

J’en arrive aux contenus scientifiques de ces articles. Je n’ai pas la prétention de résumer, ici,  les aspects des 14 articles.

Je m’arrêterai, ici ou là, sur certains points. À commencer par l’avant-propos.

Je lis : « En effet les nazis ont occupé une partie de cette région  (l’AFN), le reste étant aux mains des Alliés. »

Pourquoi ne pas citer d’emblée la Tunisie et ses juifs occupés ?

Qu’a-t-on fait de l’existence du régime de Vichy dans les trois entités : Algérie, Maroc et Tunisie ?

Le premier article : « Le sort des juifs d’Afrique du Nord pendant la seconde Guerre mondiale fait-il partie de la Shoah » de Dan Michman.

Rappelons, ici, que Michel Abitbol a publié en 1983 :

« L’histoire des Juifs d’AFN sous Vichy » (éditions Maisonneuve et Larose). Réédité en 2008.

L’article de Dan Michman fait la genèse du mot Shoah, son histoire, décrit sa géographie et établit « un périmètre chronologique ». Qu’est-ce à dire ?

P.18, je cite Dan Michman : « Ajoutons à cela le fait que de nombreux écrivains originaires de ces mêmes pays reconnaissaient que le sort des juifs d’AFN pendant la Seconde Guerre mondiale, bien que sous le régime allemand, différait de celui des Juifs d’Europe. »

Qui sont ces nombreux écrivains ? Des noms ? Étaient-ils juifs ? D’où Dan Michman tire-t-il sa formulation « bien que sous le régime allemand » ?

À l’exception, encore une fois du cas de la Tunisie pendant six mois (Je recommande à tous les lecteurs de se reporter aux livres réédités par Claude Nataf sur cette période.), il ne peut pas être question pour le reste du Maghreb d’une occupation allemande. C’est à dessein que j’emploie ce terme de Maghreb. En effet depuis les années 1910, l’Allemagne a tenté de prendre pied au Maghreb en essayant de circonvenir massivement le monde musulman. Les espions allemands, les radios allemandes ont tout fait pour y parvenir mais sans un succès éclatant, au bout du compte. Mais point de « régime allemand ». 

L’article nous a paru confus dans sa rédaction. L’imprécision court tout du  long. À lui seul cet article est la première partie.

Un mot sur l’article d’Emmanuel  Debono : « Les dynamiques de l’antisémitisme au Maghreb à la veille de la Seconde Guerre mondiale ». En courts chapitres synthétiques et précis, Emmanuel Debono aborde par exemple « L’enjeu privilégié de l’antisémitisme musulman » ou « Les carences des autorités françaises ». Emmanuel Debono met en avant un certain nombre de personnalités juives qui surent se porter au-devant du combat. Je songe à Maître Alfred Ghighi, natif de ma bonne ville de Mostaganem. Il serait temps de lui « tirer le portrait » et de lui rendre hommage pour tous ses combats.

- « L’Afrique du Nord dans la stratégie du Troisième Reich », cet article de Chantal Metzger fait le point sur le rôle des services de renseignements allemands en terre maghrébine. Avec un grand luxe de détails, Chantal Metzger raconte en page 61, les relais des services spéciaux allemands sur le terrain auprès des populations musulmanes. Le cinéma pourrait y trouver matière à fiction !

- Dans « L’accomplissement  d’un long cheminement antisémite : l’abolition du décret Crémieux  et la réaction  de la population algérienne », les rappels de notre jeune confrère Felippo Petrucci s’imposent ; la longue durée, pour un tel sujet, est de mise, un continuum en quelque sorte. Et les terres oranaises, oraniennes ont été un terreau extra- ordinaire de cet antisémitisme au long cours.

- « Images de la guerre 1939-1945 dans la littérature judéo-maghrébine d’expression française », dans son article, Guy Dugas, en fin connaisseur de cette littérature qu’il met au jour depuis plusieurs décennies, nous donne à nous délecter des poèmes d’Isaac Knafo dans « L’humour est enfant de poème » ou  dans « Les Hitlériques ». Comment expliquer la clairvoyance du poète quant aux événements à venir, depuis Mogador au Maroc ?

- « L’élaboration du souvenir de la Seconde Guerre mondiale en Afrique du Nord. Première période-  expressions littéraires et historiographiques », l’article de Haïm Saadoun clôt cette longue série. Dans son article fort documenté, les noms des historiens et des écrivains ne manquent pas. Je songe aux travaux de Michel Ansky et à Albert Memmi, notre romancier presque centenaire.

Cher Haïm Saadoun, il serait bon d’en savoir un peu plus sur les propos et la personnalité d’André Philipp. Un point d’histoire, le CDJC a été créé à Grenoble et non à Paris.

En conclusion, l’Histoire des Juifs d’Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale est de mieux en mieux connue. Cette publication y participe. Il reste, et nous l’espérons, que d’autres colloques soient organisés tant en Israël que dans le reste du monde. Nous espérons que cette Histoire soit mieux enseignée en Israël tant dans le Secondaire qu’à l’Université.

Nous souhaitons que les publications à venir, sur ce thème, soient entourées de plus de précautions. L’histoire des Juifs d’AFN durant la Seconde Guerre mondiale le mérite amplement.

Norbert Bel Ange le 31 juillet 2018