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Bienvenue sur le site de l’association MORIAL

Notre objectif : sauvegarder et transmettre la mémoire culturelle et traditionnelle des Juifs d'Algérie. Vous pouvez nous adresser des témoignages vidéo et audio, des photos, des documents, des souvenirs, des récits, etc...  Notre adresse

 e-mail : morechet@morial.fr -  lescollecteursdememoire@morial.fr

L’ensemble de la base de données que nous constituons sera  régulièrement enrichie par ce travail continu de collecte auquel, nous espérons, vous participerez activement.  L'intégralité du site de Morial sera déposée au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) à Paris, pour une conservation pérenne .

Tlemcen, le kiosque à musique au centre ville
Médéa : rue Gambetta (1945)
Alger : rue d'Isly (1930)
Une oasis à Ouargla (Territoire du Sud algérien)
La Grande Poste d'Alger (Photo J.P. Stora)
Square Bresson
Lycée E.-F. GAUTIER D'ALGER
Service Alger - Bouzareah
Alger : le marché de la place de Chartres
MEDEA - Le Café de la Bourse
Guyotville - La Plage

 

Jacques Zermati fait partie de l'équipe fondatrice d'Alerte aux Réalités Internationales (ARI).

Elle se retrouve en grande partie dans le Club Réalités Internationales de notre association.

Jacques Zermati nous a confié quelques-unes des pages de son "Histoire" qu'il a écrite à l'intention de sa famille et de ses amis les plus proches. Il a commencé sa vie d'homme par une action d'éclat proprement incroyable : la "prise" de la préfecture d'Alger dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942, ce qui a permis aux Américains de débarquer sans encombre sur la terre algérienne et d’amorcer le processus qui allait conduire à la libération de notre pays.

La scène se passe le 6 novembre 1942 à Alger. L’étudiant en droit, Jacques Zermati, est invité à se présenter chez le Docteur Aboulker...

Dix-sept heures, je monte l'escalier du 26 de la rue Michelet, sonne à la porte du professeur Aboulker. On m'introduit dans une pièce où il y a déjà beaucoup de monde. De ci de là, un visage familier émerge dans le brouillard de la fumée des cigarettes. Un Colonel très distingué, aux cheveux blancs, se trouve près de la fenêtre. Il prend la parole, se présente. C'est le Colonel Jousse, major de la place d'Alger. Je suis très surpris de le voir là. Il fait le point, ce n'est pas très réjouissant.

 

«Six cents hommes ont répondu à l'appel au lieu des huit cents sur lesquels nous comptions.»

Il ne sait pas, à ce moment, que nous ne serons que deux cent cinquante à trois cents ce soir .....

Pas de mitraillettes ! Nous ne disposerons que de fusils Lebel datant de la dernière guerre et de cinq cartouches par arme. Six cars au lieu des soixante-dix initialement prévus assureront le transport des volontaires. Il faudra marcher :

Il donne ensuite le mot de passe “Whisky-soda“ et précise le déroulement de l'opération qui commencera à vingt-deux heures trente au garage Lavaysse. Ceux des responsables, chargés d'un point sensible à neutraliser, prendront possession d'un véhicule léger pour les liaisons et le transport des armes qui seront distribuées à ce moment-là..

Il énumère une dernière fois les objectifs et les moyens mis à notre disposition, distribue les ordres de mission ironiquement authentiques qui nous accréditent. Ils portent en effet le cachet de l'état major et sont signés par son chef, le Général Mast. Ils contribueront à semer la pagaille d'autant plus que nous serons en uniforme. Enfin, il montre les brassards que nous devrons porter au bras droit.. Ils sont blancs, avec, en noir, les deux lettres V.P. En clair : Volontaires de Place. Ce sont des civils, en principe triés sur le volet par l'armée, qui ont pour mission de l'aider à accomplir des opérations de maintien de l'ordre en cas de troubles. D'une façon très drôle, c'est nous qui jouerons ce soir les volontaires de place.

Un peu plus tard, nous grimpons l'escalier conduisant au premier appartement où je suis attendu. Je frappe, quelqu'un ouvre et sans poser de question nous conduit dans une pièce où se trouvent sept ou huit jeunes gens.

- Je m'appelle Zermati, je suis votre chef. André, qui m'accompagne, est mon adjoint. Vous avez demandé à faire quelque chose: le jour est arrivé. Les Américains vont débarquer cette nuit, nous allons les aider. Vous êtes libres de venir avec moi ou de ne pas le faire. Vous avez cinq minutes pour prendre votre décision. Je ne vous en voudrai pas si vous dites non mais, dans ce cas. il faudra que vous restiez ici jusqu'à deux heures du matin ou mieux, toute la nuit. Vous me donnerez votre parole d'honneur que vous le ferez.

Nous repartons immédiatement pour aller voir les deux autres groupes dans les deux appartements où ils sont réunis et qui, heureusement, ne sont pas très loin du notre. Pas de problèmes, il n'y a pas une seule défection. Je disposerai donc de vingt-cinq hommes. Le temps passe très vite, plus une minute à perdre pour aller rue Michelet où nous attend Sadia vers vingt-deux heures trente devant le garage Lavaysse.

C'est mon tour, on me donne une voiture légère que Sadia conduira et vingt-cinq Lebels avec leurs cartouches. Ils sont encore tout enduits de graisse; comment tirer avec des armes dans cet état ? En ce qui me concerne, j'ai un revolver à barillet mais... sans cartouche! A part l'effet d'intimidation, il ne pourra servir à grand chose.

Nous sommes partis, roulant à vitesse réduite dans les rues désertes d'Alger et arrivons bientôt au point de rendez-vous, rue Ducos de la Hitte. C'est une petite rue déserte qui longe la Préfecture. Le regroupement s'y effectuera en toute quiétude. Il n'y passe jamais personne.

Silencieux, immobiles dans cette voiture, inquiets, nous attendons. Que va-t-il se passer ?

Ouf ! Les hommes commencent à arriver par petits groupes comme je l'avais demandé.

Whisky ..... Soda...

Tout est en ordre, un pointage rapide, tout le monde est là. La distribution des armes peut commencer. Nos mains sont pleines de graisse, je vois ou plutôt je perçois le même sentiment d'inquiétude que j'ai déjà éprouvé. Il n'est guère possible d'utiliser ces fusils. On essaye de les essuyer tant bien que mal avec des chiffons trouvés dans la voiture mais sans grand succès. Ce n'est pas le moment d'avoir des états d'âme. Il faut faire comme si tout allait bien.
Une heure trente. Après avoir distribué les brassards VP qui vont nous donner l’apparence d'authenticité indispensable au succès de notre action, je demande aux trois chefs de section de détacher chacun quelques hommes pour surveiller les sorties de la Préfecture : boulevard Carnot, sur la façade du côté de l'Aletti et rue du Maréchal Soult. Tous ces hommes devront interdire par tous moyens d’éventuelles tentatives de s’échapper de la préfecture pendant le coup de filet que nous allons lancer.

Je me dirige avec le reste de la troupe vers la porte de la rue de Constantine. Selon nos informations dont nous disposons, la préfecture est gardée par un détachement de supplétifs algériens dont nous devons, en principe, assurer la relève. C'est tout au moins l'histoire que je raconterai à leur chef. Avec comme preuve à l’appui mon ordre de mission. La porte est fermée. On sonne, on frappe ... pas de réponse. On frappe encore plus fort ... toujours pas de réponse. Tout a été prévu sauf cela. Que faire ?

Deux agents de police qui font probablement une ronde ont entendu le tapage et s’approchent de nous. Pas question de prendre le moindre risque. Nous les entourons de façon à pouvoir, si nécessaire, les neutraliser. En fait, mon uniforme, l’ordre de mission et les brassards V.P. ont leur effet.

Ils nous proposent tout bonnement leur assistance ! Ce sont eux maintenant qui frappent à la porte. Des pas résonnent, une clef tourne dans la serrure, la porte s'ouvre. C'est un homme tout ensommeillé qui demande ce que nous voulons. Les agents s'en vont, nous entrons, je ferme la porte derrière moi mais je prends le soin de garder la clef. Contrairement à ce que je pensais, il n'y a pas de supplétifs.

Sur ma demande, le concierge nous conduit au standard téléphonique où, curieusement, il n'y a personne. Sadia se chargera de mettre en marche.

Je connais bien la disposition des lieux accessibles au public mais je n’ai aucune idée de l’endroit où logent le Préfet et d’éventuels collaborateurs. Il faut donc que le concierge nous renseigne et nous conduise là où il faut. Profitant d'une minute d'inattention, il essaye de nous fausser compagnie. Pourquoi ? Je n'en sais rien, il a probablement senti que tout cela n'était pas très clair. On le rattrape immédiatement, je lui explique alors que, s'il recommence on le tuera comme un chien. La leçon a porté : il file, doux.

Je grimpe avec lui les escaliers, André et quelques hommes m'accompagnent, Une porte à l'étage, c'est là. Elle n'est pas fermée à clef et s’ouvre. Un couloir, j'allume la lumière, ouvre une porte au hasard : c'est la chambre du Préfet.

Le bruit l'a réveillé. La surprise de voir, dans sa chambre, des hommes armés se lit sur son visage. Il tente de se précipiter sur le poste de téléphone se trouvant sur une table de chevet près de lui, probablement relié au réseau des lignes directes qui permet, en particulier, de joindre le commissariat central. Je l'arrête net en lui demandant de ne pas faire l'idiot, lui donne l'ordre de se lever et de s'habiller immédiatement. Il se lève en chemise de nuit. Quelle drôlerie ... en d’autres circonstances. Sa casquette se trouve sur une table ; j'ai beaucoup de mal à résister au plaisir de la mettre sur ma tête car, après tout, pour le moment, le Préfet ... C'est moi !

- J'espère que vous êtes un gentleman et que vous allez vous tourner quand ma femme se lèvera ?

- Monsieur le Préfet, ce n'est pas la première fois que je vois une femme dans cette tenue. Je me contenterai moralement de fermer les yeux !

La Préfète se lève, passe une robe de chambre. L'honneur est sauf. Elle s'habille ainsi que son mari, rapidement. Je leur demande de me suivre dans le grand salon où nous voulons rassembler nos futurs prisonniers. Je continue, avec le concierge qui est devenu très coopératif, la visite de la préfecture après avoir laissé mes "hôtes" sous bonne garde. J'arrête successivement le chef de cabinet et sa femme puis, le directeur du cabinet. Toutes les portes s'ouvrent sans difficulté. Décidément, la confiance règne ici !

J'allume une lumière, pénètre dans une chambre à coucher, où quelqu'un se réveille assez difficilement, se frotte les yeux, réalise que quelque chose d'étrange lui arrive :

- Tiens, qu'est-ce que tu fais chez moi ?...

C'est un camarade de Sciences-Po, perdu de vue depuis quelques années et que je reconnais maintenant.

- Je suis venu t'arrêter. Habille toi et suis-moi !

- Tu ne voudrais pas une tasse de thé ?

- C'est une bonne idée, tout à l'heure, merci.

C'est évident que ce n'est pas le moment. Il s'habille et nous suit comme les autres, sans difficulté. Tout ce petit monde est maintenant assis bien sagement dans le salon, sans distinction de grade car nous avons également arrêté plusieurs autres collaborateurs subalternes du préfet, logés dans les lieux.
C'est le moment de faire rentrer à l'intérieur de la préfecture tous les hommes laissés dehors pour surveiller les issues. Nous devons aussi informer notre P.C. qui se trouve au commissariat central, du succès de notre opération. Sadia va s'en charger. Après quelques minutes d’un silence un peu pesant, l'atmosphère se détend à vue d'oeil. La préfète a proposé de faire du thé et du café pour tout le monde. C'est une excellente idée. Quelques minutes plus tard, une tasse à la main, la conversation devient générale. On parle de tout, surtout de rien !

Le préfet désire me parler en privé, pourquoi pas ?

- Je ne sais pas, Monsieur, qui vous êtes, qui sont vos chefs, ce que vous voulez mais, dès que l'ordre sera rétabli, je vous ferai fusiller !

- Calmez-vous Monsieur le Préfet! Pour le moment, c'est moi qui vous tiens sous le feu de mon revolver. Demain, on verra.

Cet homme est manifestement très nerveux. Je donne l'ordre de le surveiller de près. A part lui, tout le monde est maintenant détendu. Dieu merci, il ne sait pas que j'ai un revolver sans cartouche !

Le préfet manifeste à nouveau son désir d'en savoir plus sur les raisons de sa "séquestration". Il éprouve le besoin de me dire qui il est:

- Je suis un fidèle partisan du Maréchal ; j'admire le président Laval. Ils font tous les deux la seule politique possible en ce moment. Je suis un ancien combattant de la grande guerre ; je n'aime pas les Allemands. Je me battrai contre eux dès que j'en recevrai l'ordre. Si votre opération échoue, je vous demande de ne pas faire couler le sang.

Que répondre ? Rien, bien entendu. Il vaut mieux écouter et rendre compte de tout cela plus tard au P.C.

Trois heures du matin, les premiers coups de canon retentissent. Le préfet me regarde, étonné. Le moment est venu de lui dire ce qui se passe:

- Monsieur le préfet, vous m'avez demandé à plusieurs reprises pourquoi j'étais là et qui étaient mes chefs. J'ai l'honneur de vous dire que les Américains débarquent !

Cet homme est frappé de stupeur. Visiblement il ignore tout. Je me rends compte, à ce moment, que malgré les Renseignements Généraux et la Surveillance du Territoire, la surprise est totale. Le secret a été bien préservé, c'est incroyable !...

Des coups de canon retentissent plus près. Je demande au Préfet s'il veut m'accompagner sur la terrasse d'où l'on domine toute la rade. Il me suit. Un nuage de fumée artificielle recouvre la passe. Deux destroyers alliés se sont frayés un passage ; l'un d'eux est à quai et débarque des hommes. Ils sont pris sous les projecteurs de l'amirauté et tirent avec tous leurs canons, probablement pour rester à l’abri du nuage de fumée qu’ils produisent. Le spectacle est extraordinaire, il faut cependant redescendre car j'ai d'autres chats à fouetter.

Sadia me demande de le rejoindre en bas. Un homme seul qui prétend être Breuleux, le chef de la légion des combattants en Algérie, s'est présenté il y a quelques minutes. Alerté par le bruit des canons et ignorant manifestement ce qui se passait, il est venu se mettre à la disposition du Préfet.

La prise est intéressante. Cet homme est notre ennemi. Sadia va immédiatement alerter le commissariat central pour annoncer la bonne nouvelle.

Breuleux a vite compris qu'il s'était jeté dans la gueule du loup. Il n'en mène pas large et se demande s’il ne va pas y laisser la vie. Il est pitoyable. C'est tout juste s'il ne se met pas à genoux pour demander pardon.

Décidément, il y a foule à la porte. Cette fois, c'est quelqu'un qui a le mot de passe. Nous ouvrons, l'homme se présente, c'est le colonel Tubert avec des hommes du mouvement Combat qui vient se mettre à ma disposition. Ce n'est pas nécessaire, il vaut donc mieux qu'il regagne le commissariat central où il trouvera un emploi plus utile.

Le Préfet désire encore me parler. Plus question “de me faire exécuter“. Il voudrait seulement être mis en rapport avec les nouvelles "autorités". La question du ravitaillement de la ville d'Alger semble être au centre de ses soucis. Sadia se charge de transmettre ce message au commissariat central. La réponse est immédiate.

- On a pris bonne note mais dis-lui qu'il nous emmerde. On n'a pas besoin de lui.

La nuit s'écoule sans autre incident. On nous apporte régulièrement thé et café. Tout le monde est assis bien sagement dans le salon sous bonne garde.

Le jour se lève mais toujours pas l’ombre d’un Américain. Que se passe-t-il ? Le commissariat central est toujours aussi évasif et rassurant. Ils vont être bientôt là, ils vont arriver ....

Des coups de feux sporadiques claquent, dans le lointain le canon. Je décide de partir avec Sadia au P.C. et passe le commandement à André. La ville est calme, il n'y a pas un chat dans les rues désertes. Au commissariat central règne une agitation fébrile. Le téléphone sonne constamment. Je comprends très rapidement que le réseau de communication secret a dû être "'piraté". Les communications destinées à l'état major de l'armée y aboutissement maintenant. Comme le réseau public a été coupé, les différents chefs de corps ou de grandes unités sont complètement isolés. Ils entendent le canon, demandent désespérément des ordres. Ceux qu’ils reçoivent sont parfaitement fantaisistes et ont pour objet d’expédier leurs troupes dans tous les sens. La pagaille est incroyable, mais c'est bien ce qui est recherché.

Je n'aime pas beaucoup cette histoire d'Américains et les réponses données par le P.C sont trop floues. Je décide donc de repartir vers la préfecture en profitant de l'occasion pour faire un petit tour de voiture dans Alger. Sept heures, la grande poste est encerclée par des automitrailleuses qui nous tirent dessus. Les balles sifflent. Sadia appuie sur l'accélérateur. Nous n'avons pas été touchés.

Dix heures, toujours pas d’Américains. Par contre, on vient de m'informer que la préfecture est cernée par les gardes mobiles. Chacun prend son poste de combat,et j’en informe tout de suite le P.C.

Ne te casse pas la tête, on arrive !

Les gardes mobiles veulent nous parler. L'un d'eux s'avance, c'est un officier. André va à sa rencontre, mais c’est pour s’entendre dire que le colonel veut parler à "celui qui commande". Pourquoi pas ! On va gagner un temps précieux en discutant. C'est donc à moi de jouer. Le Colonel fait quelques pas. Je vais à sa rencontre, il me salue réglementairement et me demande de déposer les armes et de nous rendre sans combat. Si nous obtempérons, il nous garantit à tous la vie sauve. Je proteste énergiquement, lui montre mon ordre de mission, mon uniforme. Le colonel est manifestement ébranlé. La discussion devient de plus en plus confuse ; il est évident qu'il sait fort bien que le Préfet est entre nos mains et il hésite à employer les grands moyens, en clair à donner l'assaut.

Tout à coup cinq voitures arrivent à toute allure et s'arrêtent non loin de nous. Je reconnais le neveu du professeur Aboulker qui s'extrait de la première d’entre elles. Il porte ostensiblement la seule mitraillette Sten que nous possédons. Une vingtaine de V.P. armés l'accompagnent et s'approchent. sans le moindre signe de vouloir se rendre !. La discussion reprend. Le colonel est invité à se rendre au commissariat central pour constater par lui-même que nous agissons bien dans le cadre d’une mission qui nous a été confiée par l'état-major de l'armée. Contre toute attente l'officier accepte de s’y rendre et de rencontrer l'adjoint du colonel Jousse, le capitaine Zurcher, qu'il connaît bien. Il repart donc en voiture et .une demi-heure après, de retour, il accepte très sagement que nous évacuions la préfecture en emportant nos armes,

Onze heures du matin, plus rien à faire, un temps précieux a été gagné. En bon ordre, avec nos armes, nous partons. Pendant tout ce temps, jusqu'à la dernière minute, le Préfet et ses collaborateurs sont restés sous bonne garde sans comprendre le moins du monde ce qui leur arrivait.
Les hommes se dispersent comme ils sont venus. Je pars au commissariat central avec Sadia pour y déposer nos armes. André, quant à lui, rentre directement chez lui ...

C’est vers treize heures que, Sadia me ramène chez ma logeuse avant de repartir avec la voiture pour la remettre devant le garage Lavaysse où nous l'avions prise la veille au soir. Il rentrera ensuite chez lui comme il pourra ...

Toujours pas d'Américains en vue ?... Avons-nous gagné ?

Oui, puisque, comme on le saura plus tard, ils ont pu finalement débarquer sans coup férir et occuper Alger le soir même.

Non, parce que, gaullistes, nous avons en fait ouvert la voie à une démarque de Vichy, d'abord avec Darlan puis avec Giraud, tout cela avec la bénédiction des Américains pour lesquels nous avons tiré les marrons du feu, Le préfet Temple est à nouveau tout puissant dans sa préfecture.

Quelle merveilleuse nuit des DUPES !

Mais, ce soir vers vingt heures, j'aurai vu pour la première fois dans la rue des Américains, assis dans de drôles de petites voitures carrées, un drapeau flottant sur leurs véhicules. Ils étaient manifestement sur le qui-vive dans cette rue déserte, prêts à tirer. Ils ne savaient sûrement pas qu'il n'y avait aucune chance que cela se produise et que nous y étions pour quelque chose.


  

Témoignage de Madame Dany SIKSIK


Témoignage de Madame Dany SIKSIK sur son père Léon SIKSIK.

Né le 14 janvier 1921, décédé le 29 avril 1983 .

            Léon SIKSIK

 

C’est par un hasard incroyable, que mon parent et cousin germain Richard ZEKRI, qui habitait au 3 avenue de la Bouzaréah à Alger avant l’indépendance de l’Algérie, m’apprend que mon père, Monsieur Leon SIKSIK qui habitait à la rue Bab-el-Oued a Alger, a participé à une action de résistance pendant la guerre 39-45 a Alger dont j'ignorais personnellement l’existence jusqu’ à ce jour.

Oui, j’avais des souvenirs très lointains, dans les échos des conversations qui se faisaient dans mon enfance, de la guerre en France et aussi de la population juive à Alger, sans pour autant me souvenir que mon père y avait participé.

Quel étonnement d'entendre, de la bouche de mon cousin Richard, que mon père a pris les armes pour participer a une action dangereuse pour sa propre vie contre des militaires qui étaient stationnés dans leur caserne a Alger !

Quel étonnement d’entendre que mon père a fait prisonnier avec seulement une poignée de résistants toute une armée aux ordres de l’Etat Français de Pétain associée aux armées allemandes qui faisaient subir aux juifs en France et en Europe des atrocités inimaginables !

Quel étonnement d apprendre que mon père avec tous ses camarades résistants avait neutralisé tous les postes de commandements civils et militaires, les commissariats, les administrations civiles, les centres téléphoniques de tout Alger, la Préfecture, les Hauts commandements militaires, le Gouvernement général, le commissariat central du boulevard Baudin, des hauts fonctionnaires pétainistes comme on les appelait, des militaires de hauts rangs, des commandants et même des généraux, le général JUIN, commandant tout l’ état- major militaire de l’Algérie et l’amiral DARLAN, dauphin du Maréchal PETAIN !

Je n'arrive pas à comprendre, ni même à imaginer dans quelle situation dangereuse, mon père s'est trouve impliqué a son âge, dans une action aussi héroïque. Et surtout pourquoi je n en ai jamais rien su ?

Dans le récit que mon cousin Richard me fait, son père Jules ZEKRI, a été récupérer mon père à la célèbre prison de Barberousse à Alger, ce récit étant confirmé par ma tante Juliette la sœur de mon père.

Qu’est-ce qui pouvait bien y avoir de mal dans cette action que mon père a vécu alors qu’il devait être tout jeune ?

Comment eest-il possible que cette incroyable histoire ait été méconnue pendant toute ma jeunesse a Alger ?

J’apprends avec honneur qu’il était dans le groupe de résistants, les armes a la main, dont la mission était de neutraliser le XIX ème corps stationné en pleine ville d’Alger aux environs de la place Bugeaud avec une soixantaine de ses camarades.
J’apprends qu’une fois leur action terminée et les généraux libérés après des négociations par leur chef de groupe, ils étaient menaces d’être tous fusillés.

J’apprends que c'est grâce à son action et à celle de tous ses camarades que les Américains et les Anglais ont pu mettre pied sur le sol d'Alger sans trop de résistance par toute l’armée pétainiste qui pouvait être évaluée à plus de 30.000 soldats et supplétifs.

C’est pour toutes ces informations méconnues jusqu’à ces jours-ci, que je ressens aujourd’hui une grande fierté, beaucoup d’émotions et de respect pour ce père que je découvre, qui a participe dans le secret à la victoire des Armées Alliées contre la barbarie nazie des Allemands de l’époque.

Sans cette action victorieuse, toute la communauté juive d’Algérie qui avait été soumise à un nouveau statut de juif indigène, avec des lois raciales anti-juives, aurait peut-être subi les mêmes atrocités que les juifs en Métropole

Que son nom soit respecte et béni a jamais.

Merci Lucien GOZLAN pour avoir raconte la véritable histoire du 8 novembre 1942 et du débarquement des Américains a Alger.

 

Dany SIKSIK. 26 Février 2013

 


Commentaires (3)


1. gozlan lucien Ven 18 Oct 2013

Merci a monsieur SIKSIK Henri, cousin germain de monsieur Leon SIKSIK.
Et oui, c etait donc la Salle Geo Gras, le point de rendez vous du plus important groupe de resistants du 8 novembre 1942. C est donc la que c est forme la jeunesse juive d Alger en groupes d auto-defense pour apprendre a s opposer par la force et par la violence sur toutes les repressions anti-juives du gouvernement petainiste.
Monsieur SIKSIK, vous etes le premier a nous parler de la salle Geo GRAS. c etait donc a la rue JUBA, aux environs de toute cette basse casbah, la place de chartres, la rue du Divan, la Place du Gouvernement, la rue de Chartres avec son marche dont la grande majorite des marchands dans le textile ou dans l habillement etaient tous juifs. et puis il y avait l artere principale qui reliait la place du gouvernement au square Bresson, cette rue vivante avec des arcades des deux cotes de la rue qui protegeaient les passants de la chaleur et une suite de magasins de pret a porter pour homme comme egalement pour femme, et puis le magasin de l oncle de ma maman, "Chez Gepol", un grand magasin de chaussures, il y avait aussi les 100 mille chaussures et egalement les 100 mille chemises dont le proprietaire etait Andre TEMINE, le meme qui avec monsieur Emile ATLAN et Charles BOUCHARA rejoint par la suite par Jean GOZLAN (un homonyme) etaient les fondateurs et les
precurseurs de la defence juive d Alger. Et puis le 11 Rue Bab Azoun, le lieux de rendez vous au soir du samedi 7 novembre 1942, tous les resistants de la salle Geo Gras, avaient rendez vous dans les deux appartements du 3 eme et 4 eme etage de cette maison, le 3eme etage, c etait celui de monsieur Emile ATLAN et de son epouse Florence, seule femme de la resistance juive, c est eux qui ont dissimule, achete de leur propes finances, caches dans leur propre maison toutes ces armes qui allaient servir et remis aux resistants du groupe Geo Gras le samedi soir, au 4 eme etage c etait les ABOULKER, le docteur Raphael et son frere Stephane, les deux principaux contacts avec leur parent Jose ABOULKER entre le groupe Geo GRAS et le groupe d Henri d ASTIER de La VIGERIE.
Merci monsieur SIKSIK pour votre temoignage suivant.

En 1943, j’étais âgé de 13 ans. Je venais d’être exclu du collège, de même que mes trois frère et sœurs, conformément aux lois de Vichy. Mon père et mes frères ainés se trouvaient également réduits au chômage.
C’est dire, que dans mon esprit, nos soucis familiaux se concentraient essentiellement sur nos besoins de subsistances.
Nous habitions au n°4 de la rue Vialar, au 4° étage, dont les balcons donnaient directement sur les fenêtres de la salle Géo Gras, située rue Juba, au 3° étage.
Désœuvré, j’ai pu observer l’activité qui y régnait, les allées et venues de gens sans aucune retenue. J’ai entendu des discours et des chants...Et lorsque je demandais autour de moi ce qu’il se passait en face, la réponse systématique était:” cela ne te regarde pas.Occupe toi plutôt de l’ opportunité de te faire inscrire à l’Alliance Israélite ,rue Bab-el-Oued, ou des cours seront dispensés par des professeurs eux-mêmes licenciés.”

Ce n’est qu’après le débarquement que j’ai compris. Et avec l’âge, je me demande encore comment cette activité, évidente pour tout le quartier, n’a jamais fait l’objet de contrôles de la police, pourtant si méfiante à l’encontre des juifs.
J’ai appris également que des membres de la famille, frères, cousins, ont fréquenté cette salle.Mais tous ne sont plus là.
Seul, Jacques Blay, mon beau-frère, pourrait vous en dire plus. Mais il habite Melbourne et nos relations téléphoniques sont difficiles étant donné son handicap auditif.
Je lui ai demandé de faire le récit, aussi détaillé que possible, de l’opération TORCH, telle qu’il la vécue.
Je souhaite que ses souvenirs soient encore assez précis pour être relatés.
SIKSIK Henri


2. gozlan lucien Dim 17 Mars 2013

Dany bonjour,
Merci d avoir placer la photo de ton papa, et bien tu vois comme c est un cadeau du ciel.??????? Tout le monde va connaitre sa veritable histoire et les risques incroyables qu il a pris en participant a cette resistance heroique au peril de sa propre vie. Il avait seulement 21 ans le 8 novembre 1942.
Jean CIOSI, toujours vivant et engage dans la mission sur le palais d hiver a cote de la place du gouvernement, emprisonne le jour meme a la prison de Barberousse et menace d etre fusille par le General JUIN avait 16 ans, le 8 novembre 1942.
Merci encore Dany pour ton temoignage.....Lucien.


3. gozlan lucien Jeu 28 Fév 2013

Dany, merci d avoir place ce beau temoignage sur l action heroique de ton pere.
Quand j allais chez ta grand mere a la rue Bab el Oued avec Richard, ton cousin germain, j ai de vague souvenir de toute cette famille SIKSIK et c est ce prenom de Leon qui m est venu a l idee de contacter Richard et d apprendre que le frere de sa mere Juliette etait bien de sa famille, ton pere Leon SIKSIK.
Comme j ai ete etonne par la suite, d entendre Richard me declarer qu il n etait meme pas au courant lui aussi de cette histoire de resistance, un haut fait historique et exemplaire dans la resistance contre le pouvoir petainiste collaborationiste des barbaries nazies allemandes et anti-juives bien sur.
Ma mere me racontait que pendant la guerre, les gens leur disaient "sale juif" et ils n avaient meme pas le droit d aller porter plainte a la police, le commissariat etait parti prenante pour ces agressions contre nous les juifs.
Ils etaient devenus des JUIFS INDIGENES, des moins que rien puisque plus de nationalite donc plus de droit de respect a la dignite des droits de l homme, c etait devenu un cauchemar pour toutes ces familles juives apatrides avec des restrictions avilissantes, plus le droit d aller sur une terrasse de cafe, les enfants etaient renvoyes des ecoles de la republique, les medecins, les pharmaciens, les avocats et autres professions liberales n avaient plus le droit d exercer leur metier, et alors comment nourir leur famille c etait surtout pas le probleme de tous ces anti-juifs qui ne convoitaient qu une seule chose: voler ou profiter du bien des juifs.
Dany, c est vraiment un miracle qu ils ont reussi l impossible et tu dois etre fiere tout comme je le suis personnellement de tous ces petits jeunes, ils avaient 20 ans, avec des armes derisoires, ils ont reussi a neutraliser une ville entiere pour que les Armees Alliees arrivent presque les mains dans les poches pour faire signer a l Armiral DARLAN et au general JUIN un ordre d arreter les combats de resistance, plus de 15 heures apres le debarquement des Allies a Sidi ferruch et aux alentours d Alger.
Nous nous devons, toute la communaute juive d Algerie, de leur rendre un HOMMAGE SOLENNEL afin que leur memoire soit benie a jamais. 

Je suis née en Mars 1943, native d'Alger, mes parents habitaient la rue Bab el Oued. Mon père Jacob Seror,dit Jacquot, avait un étalage au marché de Chartres, ma mère, un magasin de bonneterie du cote de la rue de la Lyre.

Vues générales de la Pointe-PescadeDans les récits écrits sur Morial en France et Moriel en Israël, j'aimerais apporter mon témoignage sur cette nuit du 7/8novembre 1942 a Alger.

Mes parents avaient une villa à la Pointe Pescade avant ma naissance et j'ai souvenir des histoires que ma mère m' avait racontées alors qu’ils étaient dans cette résidence secondaire, pendant la guerre en 1942.
C'est la nuit du 7 au 8 novembre, ma mère est enceinte de moi de cinq mois .Ils sont réveillés par les chiens qui aboient et des bruits suspects dans leur terrain qui est une grande propriété . Je dois ajouter que mes parents à cette époque n'avaient pas assez d'argent pour acheter comme d'autres membres de ma famille, une résidence secondaire sur la plage ou dans le village. Ils donc ont achètes cette villa sur la montagne (colline) de la Pointe Pescade.( petit village a 5 ou 6 km d'Alger). D'après ce que je sais ils voulaient fuir les bombardements d'Alger
Avant d entrer dans ce petit village au bord de la mer, il y a sur la droite le Casino de la Corniche où un parent de mon père trouvera la mort dans un attentat terroriste, le chef d’orchestre Lucien SEROR, sous le nom plus connu de Lucky STARWAY.

La Pointe Pescade, c' est un petit port côtier, c’est aussi une plage ou les adolescents vont se baigner pendant les beaux jours de l'été. C’est la première grande plage après Saint Eugene.

Il y a le Casino de la corniche a droite.A gauche c’est la carrière des ciments LAFARGE où mon père avec d'autres militaires font partie de la défense passive. La villa de mes parents est tout en haut de la colline sur la gauche de la descente qui aboutit à la place du village.

 

 

L'entrée Casino de la Corniche

Dans la nuit du 7/8 novembre, alors que mes parents dorment, ils sont réveillés par des bruits inhabituels a l'extérieur. Mon père est intrigué, il sort de la maison, ma mère le suit et tremble.
A leur grande surprise, le terrain est envahi de soldats, ils sont très nombreux, peut être une centaine, leurs visages tout barbouillés de noir, ils discutent entre eux, aperçoivent mon père, ainsi que notre voisin, lui aussi à l'extérieur de son habitation. Mon père comprend ce qu’ ils lui demandent dans un mauvais français, avec un très fort accent américain. Immédiatement mon père leur parle en Anglo Americain car, ancien camelot, il maitrise parfaitement ce langage.

Notre voisin, non juif et pétainiste, demande à mon père de leur indiquer une fausse route. Les soldats américains veulent savoir comment se rendre par les collines au Fort l'Empereur. Le voisin ne comprend pas l’anglais, aussi mon père les renseignera sans que notre voisin puisse se douter que les renseignements demandés par les soldats américains soient exacts et vérifiables par lui.

Voila la petite participation de mon père a cette opération "TORCH"

 

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A la place de Chartres mon père est une personne connue. il y est né et Il connait tout le monde et tout le monde le connait. La basse casbah, c'est le quartier de tous les juifs d'Alger.
Il sera égorgé en juin 1961 sur les escaliers qui relient le Bazar Manthout a la place de de Chartres par un terroriste arabe.

Lorsque celui ci fut arrêté quelques mois après, à la question "Pourquoi Monsieur Seror ?", il répondit "C'etait un juif très respecté et connu de la communauté juive et en le tuant, nous savions que tous les juifs partiraient de ce quartier.".
Très peu de temps après, tous les commerçants et habitants juifs de ce quartier se sont retirés de tous ces endroits à forte population musulmane.

Ils étaient en danger de mort, il n 'avait plus aucun juif dans le marche de Chartres.

Le Place de Chartres et Le marché de Chartres

 

Portraits de Monsieur Jacob SEROR, le père de Michelle SEROR

J'ai une petite anecdote sur mon père "mon héros"
En 1943, mon père a dû rejoindre son régiment le 3ème Zouave et partir en Métropole, quelque part en France, je crois dans les Ardennes. Alors que son groupe bivouaque, mon père pris soudain d'une envie naturelle s'est éloigné de son groupe.

Soudain, de grands cris le firent se relever , regarder et constater que les allemands étaient en train de faire prisonniers tous les soldats. Il est resté dans son abri involontaire pendant quelques heures. Ensuite, il a chargé dans une carriole trouvée sur place toutes les armes qu'il a pu et a marché a travers champs pendant quelques kilomètres jusqu'a rencontrer un autre régiment Français à qui il a remis son butin. J'ai en ma possession un inventaire fait par l'officier qui a reçu les armes.

Je ne crois pas à ma connaissance que mon père ai été médaillé pour ce fait de guerre.

photo-famille-seror

 

L'orchestre de Lucky Starway (Lucien Seror) et L'attentat du Casino de La Corniche

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Commentaires 


1. gozlan lucien Mer 08 Mai 2013

Michelle SEROR, merci pour ce temoignage tellement incroyable. Peu de temoignages pour authentifier le debarquement des Americains a la Pointe Pescade, 4 ou 5 km du centre d Alger. Les Allies ont preferre contourner la ville alors que les resistants avaient reussi a neutraliser Alger dans sa totalite et offert a l armee Americaine la ville sur un plateau d argent.
S ils avaient respecte leur plan conclut a l entrevue de Cherchell dans la nuit du 23 au 24 octobre 1942, le Capitaine Pillafort et le Lieutenant Jean Dreyfus ne seraient pas tombes sous les balles de l Armee d Afrique.
Merci egalement pour ces belles photos du bord de mer ainsi que celles du marche de chartres.
Une pensee pour la memoire de votre papa assassine lachement par un terroriste sur les marches qui conduisaient de la rue bab azoun a la place du marche de Chartres. 

 
 

Témoignages de Felix TILLY et de Pierre CHESNAIS sur :L'action du groupe des Bretons à Alger Groupe B4 Chef de Groupe Felix TILLY

Rapportés par le Dr A.VOUR’CH
Le 8 novembre 1942 - Le débarquement allié en Afrique du Nord fut un événement considérable ; il a suscité de nombreuses publications ; un historien, Gabriel Esquer en a donné un récit très objectif : " 8 novembre 1942, jour premier de la Libération".
Dans cette nuit historique la Bretagne ne pouvait qu'être présente.
On a expliqué la prépondérance des Bretons dans les Forces Françaises Libres par une facilité plus grande d'évasion que nos côtes bretonnes offraient à la jeunesse généreuse. En France on est rationaliste. Il nous est peut-être permis d'insinuer que l'explication, pour certains, vaudrait justification de leur propre carence. En réalité, il n'était pas plus commode de s'échapper de nos estuaires que des autres côtes de France. J'ai connu maints départs manqués. De guerre lasse nos jeunes hommes s'en allaient vers l'Afrique du Nord, avec l'espoir de rejoindre par là la France Libre. Hélas. Et c'est ainsi qu'ils furent présents et acteurs du 8 novembre 1942.
À Alger le secret avait été bien gardé ; les dispositions prises se révélèrent excellentes : deux morts seulement à déplorer de part et d'autre. Il n'en fut pas de même, hélas, à Oran ni à Casablanca.
Sur ce débarquement j'apporte deux récits parcellaires et encore inédits. Ils sont dus à deux Bretons. Tilly, du Guerlesquin (Finistère) et Pierre Chesnais, de Saint-Malo, qui les ont rédigés peu de mois après l'événement. L'historien soucieux d'exactitude remarquera, une fois de plus, que le même fait, narré par deux témoins, par deux acteurs, est rapporté, avec des différences.
Docteur A. Vour'ch


Relation de Félix Tilly
Depuis déjà longtemps Tilly était en relation avec Pilafort étant bien entendu que son adhésion serait complète lorsque surgirait le jour de l'action.
C'est le 6 novembre au soir que le capitaine Pilafort tenta d'avoir Tilly qui, absent de la ville, ne put le joindre que le 7 à 9 heures du matin. La révélation lui fut faite de l'arrivée des Alliés dans la nuit prochaine ; il lui appartenait de rassembler les hommes sur lesquels il pouvait compter. Il lui fut prescrit de reprendre contact à 17 heures pour fournir le résultat de ses démarches et obtenir de nouveaux ordres.
Tilly employa sa journée à alerter chacun des adhérents de son groupe.
Il avait en outre jeté son dévolu sur deux camions et une voiture de tourisme, que l'on devait saisir sans aviser le propriétaire.
Rendez-vous était fixé pour chacun à 22 heures au bas de la Rampe Chassériau. Lorsqu'il retrouva Pilafort à 17 heures, il apprit que son groupe avait pour mission d'occuper le poste de radio-Alger, le central protégé et le central télégraphique (1).

Les armes nécessaires étaient entreposées au garage Lavaysse, rue Michelet, où il les prendrait à 23 heures. Il dîna chez lui avec Chesnais. Ils attendirent les chauffeurs qui devaient prendre les camions. À 21 h 30 ils pénétrèrent dans l'établissement privé où se trouvaient ces camions. À 22 heures tout était rassemblé à pied d'oeuvre, au bas de la Rampe Chassériau : soit deux camions, une voiture de tourisme, environ 55 hommes dont 13 Bretons.
Tilly part dans la voiture légère pour prendre livraison des armes promises. Celles-ci perçues au garage Lavaysse, il revient à la Rampe Chassériau. Mais, au vu des armes, la plupart des 55 hommes réunis là, des Algériens surtout, prirent peur et s'en allèrent. Entre minuit et demi et 1 heure, le cortège s'ébranla, réduit à la voiture de tourisme occupée par Tilly et Chesnay et à un seul camion ; par suite de la défaillance d'un grand nombre, le deuxième camion devenait inutile. Et l'on se dirigea vers le gouvernement général.

L'arrêt se fit devant le poste de radio-Alger. Supposant que la porte était fermée à clé, Tilly dit à Chesnay de briser les verres à coups de crosses. Par l'ouverture ainsi produite, il pénètre revolver au poing, mais en enjambant, son vêtement accroche à un angle du verre très épais et il culbute. Dans la chute, le coup part et la balle s'écrase contre la première marche en face. Gourlan (2) ouvre alors la porte ; elle n'était nullement fermée à clé, ni verrouillée à l'intérieur. L'incident tumultueux aurait donc pu être évité.
Et ce coup de revolver dans la nuit eut pour conséquence de faire peur à quelques-uns des conspirateurs dont le courage avait tenu jusque-là et qui s'égaillèrent. Si bien que, la porte étant ouverte, il n'y avait plus grand monde pour entrer. Le camion était parti et, avec lui, les armes, les approvisionnements et le ravitaillement que Mme Tilly avait préparé en prévision d'un séjour plus ou moins prolongé dans l'établissement, c'est-à-dire un poulet, du pain, quelques litres de vin. Le vin était indiqué à cause des jeunes amis Bretons sur lesquels on savait pouvoir sûrement compter. De fait, sur les 15 fidèles il y avait 13 Bretons, un Algérien, chauffeur de Tilly et un Parisien. Et Tilly précise que parmi les défaillants, on ne comptait pas un seul Breton.
La petite troupe ayant pénétré, dans la maison, y trouva des plâtriers qui travaillaient malgré l'heure. Ceux-ci, devant une telle intrusion levèrent les bras. « N'ayez pas peur, nous sommes des gaullistes, on ne vous fera aucun mal ». On les considéra comme prisonniers et on les enferma dans le studio de radio-Alger. Et, tout de suite, on s'occupa du poste, on supprima tous les contacts. Puis on grimpe au premier étage et on essaie de pénétrer au central protégé. Il est fermé à clé ; impossible d'ouvrir. On monte au central téléphonique, encore plus haut. Là, l'homme de service était dans une cabine de verre : au spectacle de ces hommes armés, revolver au poing, faisant irruption chez lui, il a le réflexe de téléphoner. On ne lui en donne pas le loisir et on le déclare prisonnier. Puis on coupe tous les fils téléphoniques au couteau. Le téléphoniste est conduit, lui aussi, à la prison improvisée, c'est-à-dire au studio. Toutes précautions étant prises, poste de garde près des prisonniers du studio, aux escaliers, à toutes les issues, on attend le débarquement. Et, vers 3 heures du matin, on entend un premier coup de canon, écouté avec satisfaction.

Vers 4 heures du matin un ordre arrive de faire diffuser par le poste de radio le message du général Giraud. Mais tout était démoli ; contacts, fils. La réparation du matériel demanda du temps. Vers 7 heures du matin, tout était réparé, grâce surtout à Brisson, lequel avait en la matière quelques notions, quelques connaissances techniques. Sous menace du revolver on obligea l'employé de service à enregistrer sur disque le message, qui était dicté par Brisson. On prescrivit à l'employé de répartir les émissions selon un rythme simple : deux marches militaires, puis le message. Cet employé de la radio était au fond très sympathique aux agresseurs ; l'argument du revolver ne lui était pas indispensable. Au point que, beaucoup plus tard, ayant rencontré Tilly et l'ayant reconnu, il lui dit : « C'est vous qui m'avez arrêté et forcé à enregistrer le message Giraud ; j'ai conservé le disque et je vous le confie ». Ce disque est ainsi en la possession de Tilly ; et par là il est facile de vérifier qu'il a été établi par Brisson et non par un autre (ainsi que cela a été écrit en diverses publications).
Donc les émissions furent produites avec l'alternance indiquée jusqu'au moment où l'ordre parvint, du 26, rue Michelet, c'est-à-dire du P.C. de se retirer. D'ailleurs aussitôt on vit gardes mobiles, cinquième chasseurs et chars s'apprêter à prendre la position de force. Ceci se passait vers 11 heures.
Chacun se retira, mais après s'être donné rendez-vous pour 19 heures, au café du Grillon, rue Charras. Hélas, une bombe alliée tomba vers 18 h 15 sur la maison de Tilly, démolissant tout, tuant une personne amie et blessant Mme Tilly. C'était la dernière bombe lancée, et, à ce moment même l'armistice se signait entre les Alliés et les opposants français.

À noter qu'aucun des membres agissants du groupe qui prit possession du gouvernement général n'avait d'arrière-pensée politique. Ils agissaient en gaullistes : c'est tout. Chez eux la question ne se posait pas de travailler pour le roi, pour le communisme, pour aucun parti. En aidant les Alliés, ils agissaient simplement en Français.

Rapport de l'aspirant de marine Chesnay sur l'action du groupe B 4 dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942
Vendredi 6 novembre. - J'effectue ma dernière liaison entre R.Aboulker (rue Bab-Azoun), le capitaine Pilafort (rue de l'Industrie) et Tilly (café de la station).
"Préviens Tilly que les Bretons n'ont qu'à préparer leurs fesses, ça urge"(Pilafort dixit).
Samedi 7 - 10 heures : j'ai vu Tilly. Il est prévenu que l'opération a lieu le soir. Il en est heureux, car elle constituera pour lui comme pour nous, notre première revanche.
Détail embarrassant : Tilly ne possède pas la liste des hommes de son groupe. L'un de ses camarades, qui n'est pas pour le moment à Alger, a les adresses sur lui. On peut craindre par conséquent l'impossibilité de prévenir tout le monde au dernier moment. Il faut se débrouiller malgré tout. Tilly me charge de rassembler mes camarades. De son côté il fera le nécessaire pour trouver de nouvelles recrues. Je possède quelques camarades à bord d'un pétrolier au mouillage dans le port.
J'ai la certitude qu'ils me suivront car ils m'ont assuré plusieurs fois de leur concours si besoin s'en faisait sentir. Pas de chance, le pétrolier a appareillé le matin pour un autre port d'Afrique du Nord.
Sur le Ville d'Oran, où je pensais trouver des sympathies politiques, chacun se découvre tout à coup des crises de paludisme où de simples coliques à la pensée de prendre une part effective à l'affaire. Malgré tout on m'assure d'un certain appui moral qui ne coûte cher à personne.

Sur le Marigot, Piriou (3) me confirme la confiance que j'avais placée en lui, Bures et Lucas, élèves officiers qui ont déjà goûté les douceurs de « Barberousse » dans une petite histoire où j'étais moi-même mêlé, marchent évidemment avec nous. Malheureusement ils sont incorporés déjà dans le groupe Pauphilet qui s'occupera le soir de la « Villa des Oliviers ».
Sur l'Athos II les officiers ont tellement soigné leur propagande vichyste que mes tentatives sont vouées à l'insuccès.
J'aiguille alors mes recherches du côté de l'Association des étudiants réfugiés bretons, où je compte de nombreux camarades. Gourlan, étudiant en lettres, vieux Gaulliste du début, est depuis longtemps d'accord avec moi. Il y en a d'autres : Guermeur (4), étudiant en médecine, Espinay (5), étudiant en droit, Le Meur (6), Chemineau et Neveux, un camarade de Gourlan. Il leur donne rendez-vous à 22 heures, au bas de la Rampe Chassériau à l'Agha.
12 heures : je déjeune chez Tilly qui préfère annoncer la nouvelle à sa femme en ma présence. Une réflexion de Tilly donne l'esprit exact dans lequel nous marchions à l'époque : « Demain nous aurons 12 balles dans la peau ou nous serons décorés par le général de Gaulle ».

Dans notre esprit, il ne pouvait y avoir de débarquement allié sans le Grand Charles et le général Giraud ne pouvait être pour nous que sous ses ordres. C'était peut-être idiot, mais nous le pensions.
Dans la soirée, Tilly, Bufort et moi allons « emprunter » un camion à gazogène aux environs d'Alger. Nous avions négligé de prévenir le propriétaire qui est le patron de Tilly.
21 h 30 : panne de gazogène sur la route.
22 h 30 : nous arrivons finalement au lieu de rendez-vous, Rampe Chassériau. Nous y trouvons une quarantaine d'hommes parmi lesquels je reconnais mes camarades. Déjà l'arrivée du camion provoqua un certain remous chez ceux qui, jusqu'au bout, espéraient qu'il ne viendrait pas
: « colique », quelques-uns prennent congé de nous.
23 heures : nous avons laissé Bufort au garage Lavaysse. Il nous revient bientôt dans une voiture légère. Il est accompagné de Brisson, un camarade de la Faculté de chimie (étudiant réfugié).
Chacun reçoit son fusil et nous embarquons dans le camion. Nous sommes une trentaine.
Nous arrivons au gouvernement général. Malgré les précautions de chacun, le débarquement du camion s'effectue dans un grand bruit de ferraille. Tilly ne semble guère être au courant de la topographie des lieux, et nous nous tâtons le pouls pour choisir une porte plutôt qu'une autre. Le sort tombe sur une porte dont la partie supérieure est vitrée, Chemineau démolit la vitre à coups de crosse. Tilly passe au travers, trébuche et s'étale dans le vestibule. Son 92 qu'il tenait à la main part tout seul. Nous le suivons l'un après l'autre, en essayant de ne pas nous éborgner avec les engins encombrants que nous avons dans les mains. Neveux réussit tout de même à récolter un coup de crosse dans les gencives. Arrivés au haut du premier escalier nous sommes tous étonnés de nous retrouver si peu. Il y a là : Tilly, Brisson, Bufort, Guermeur, Gourlan, Le Meur, Piriou, Espinay, Chemineau, Neveux, un Monsieur « X » et moi. Le petit épisode de la porte d'entrée et le coup de feu inattendu ont provoqué la défection de 18 « durs à cuire » dont nous retrouvons les armes dans la rue.
Il y a beaucoup de portes, couloirs, escaliers au gouvernement général
.

Au hasard, nous pénétrons dans les bureaux, nous arrêtons ceux qui s'y trouvent et les entassons dans une salle sous la garde de Neveux. L'un des appréhendés, terrorisé à souhait, se fait un plaisir de nous servir de guide. Il nous conduit au central téléphonique où Brisson s'installe confortablement et commence à filtrer soigneusement les communications. Toute la nuit il répondra par des explications de la plus pure fantaisie aux coups de téléphone angoissés qui lui parviendront du 5e chasseurs, de l'amirauté ou d'ailleurs.
Nous continuons notre tour du propriétaire, récupérons les veilleurs, gardiens ou fonctionnaires un peu dans tous les coins.
À 1 h 30, nous sommes maîtres de la place. Un détail qui a sa valeur :Mme Tilly avait eu la gentillesse de nous préparer un poulet froid et quelques bouteilles (pour arroser la prise de possession).Malheureusement le chauffeur du camion qui nous avait amenés a pris le large en emportant poulet et bouteilles...
2 heures : Monsieur « X », qui ne nous donne pas l'effet d'être très à l'aise, propose ses services pour aller chez lui nous procurer du ravitaillement. Nous accepterons, sachant fort bien qu'il cherche une façon élégante de s'éclipser.
3 heures : nous restons 11 du groupe B. 4. Nous avons récupéré une cinquantaine de fusils un peu partout et nous les avons alignés le long des couloirs. Les cartouches sont entassées dans la salle d'émission radiophonique. Nos prisonniers ont accepté leur sort avec toute la philosophie nécessaire. La plupart dorment en long et en travers. Les autres se taisent, à part le concierge à qui nous parvenons difficilement à interdire l'usage de la parole.
C'est l'heure à laquelle nous parviennent les premiers coups de canon.
Ils nous confirment le débarquement au sujet duquel beaucoup d'entre nous restaient sceptiques. Un 75 du fort l'Empereur claque au-dessus de nos têtes. Bufort est mal à l'aise. Il manifeste le désir d'aller rassurer sa femme à Belcourt. Nous ne le retenons pas. Nous ne sommes plus que dix. Nous recevons la visite de Raphaël Aboulker. Tous les objectifs sont atteints, paraît-il. Par ailleurs le débarquement s'effectue d'une façon satisfaisante.

4 heures : on nous fait parvenir un message du général Giraud. Il nous faut le faire passer à la radio. Malheureusement il nous manque « la manière de se servir de cette radio ». Un ou deux spécialistes des émissions arrivent à point à la porte d'entrée. Devant leur insistance à voir ce qui se passe à l'intérieur, nous les introduisons sous bonne garde. Bon gré, mal gré, ils vont remédier à notre incompétence technique.
Je crachote dans le micro et compte péniblement jusqu'à 33 pendant la mise au point. Brisson qui a une voix agréable, qui ne porte pas la moustache, mais la barbe, est le plus apte à représenter le général Giraud. Sa voix est enregistrée sur disque et c'est ce disque que nous ferons passer toutes les demi-heures entre quelques airs de marches militaires. Il est amusant de remarquer que le premier disque qui nous tombe sous la main (le seul parmi ceux que nous avons trouvés ayant un caractère militaire) est une marche italienne. Peu de gens s'en sont rendu compte. Plus tard, après avoir appréhendé un monsieur du gouvernement général qui précisément possédait la clé du coffre à disques, nous avons pu découvrir la marche Lorraine, le chant du Départ, etc.
6 heures : Guermeur a été rappelé en renfort à un autre point de la ville. Nous sommes neuf désormais : trois qui s'occupent de la radio, un qui s'occupe du central téléphonique, deux qui gardent les prisonniers dont le nombre s'accroît de plus en plus, trois qui contrôlent les entrées. Nous commençons à nous sentir en nombre insuffisant. Il y a des attroupements dans la rue. De nombreuses personnes, fonctionnaires du gouvernement général, membres de la sécurité militaire, officiers de toutes les armes, essaient de passer la porte que nous gardons. Les uns insistent et vont partager le sort de ceux que nous gardons déjà. Les autres exigent des explications et sont aiguillés, par nos soins vers le commissariat du Xe arrondissement où Raphaël et ses amis leur font subir un sort analogue.
Nous sommes obligés de faire très attention car les fusils alignés un peu partout dans les couloirs pourraient fort bien servir contre nous si les gens que nous arrêtons avaient seulement un brin de culot.
D'autant plus que parmi eux il y en a qui portent l'insigne de S.O.L.

Vers 7 heures, nous entendons une pétarade à proximité. C'était, je suppose, les automitrailleuses du 5e chasseurs qui tiraient sur la poste. Nous manquons de liaisons. Nous ignorons d'une façon totale ce qui se passe ailleurs, tant au point de vue du débarquement, au sujet duquel nous parviennent les bruits les plus divers, qu'au point de vue de nos camarades des autres groupes, dont nous ne connaissons pas la situation exacte.
8 heures : M. Saintblanca et Raphaël Aboulker arrivent plutôt congestionnés : « les automitrailleuses du 5e chasseurs tirent sur la poste ». « Dreyfus a été tué, ne restez pas là, vous allez vous faire coincer inutilement ». Considérant que le poste de radio garde malgré tout une certaine importance et qu'il faut que le message de Giraud soit entendu le plus longtemps possible, nous restons sur nos positions. (Notons que Fanfan Aboulker, au commissariat du Xe arrondissement, avait l'air d'être beaucoup moins impressionné que son frère et qu'il était partisan de tenir encore).
9 heures : Raphaël Aboulker revient à la charge avec Saintblanca : « les automitrailleuses montent par ici. Vous ne pouvez pas résister.
Les autres sont arrêtés, il n'y a plus personne rue Michelet ».
Raphaël Aboulker étant dans le secret des dieux et nous par contre ne l'étant pas, nous jugeons inutile de faire des martyrs et d'être plus royalistes que le roi. Nous avons d'ailleurs été encouragés par cette réflexion plutôt curieuse de Raphaël : « Vous les p'tits gars qui êtes en civil vous ne craignez rien, rentrez chez vous tranquillement.
Quant à moi qui suis un militaire, je pars en voiture avec Tilly. »
Nous quittons le gouvernement général après avoir conseillé à l'un de ceux qui étaient arrêtés de continuer à passer le disque régulièrement et avoir dit que nous reviendrons plus tard pour voir s'il l'avait fait. C'est pourquoi après notre départ le message du général Giraud a été entendu encore pendant un certain temps.

Une heure plus tard, rue Charras, je rencontre Saintblanca et Tilly et ni l'un ni l'autre n'avaient l'air de savoir que nous avions encore des camarades au commissariat central. Il a fallu attendre quelques jours pour que j'apprenne qu'ils avaient tenu jusqu'à 4 heures.
Mes camarades seront d'accord avec moi pour confirmer ce rapport.
Signé : Chesnais
Aspirant de marine, à bord de l'aviso Commandant Dominé des F.N.F.L.
Les historiens ou chroniqueurs du 8 novembre 1942, « Jour Premier de la Libération », ainsi que le qualifie Gabriel Esquer, indiquent que l'occupation du gouvernement général d'Alger fut le fait du « groupe des Bretons ».
En réalité les jeunes Bretons d'Alger se trouvaient répartis en d'autres actions de cette nuit mémorable.
Initialement d'ailleurs le groupe des assaillants de cet établissement, le plus important de la ville, n'avait rien de spécifiquement breton. Il ne prit ce caractère que progressivement.
Quelques jours plus tard, je demandais à Tilly, le chef de l'équipe :
- parmi ceux qui furent fidèles, y avait-il des Bretons ?
- tous sauf un qui était de Paris ;
- parmi ceux qui eurent peur, combien de Bretons ?
- aucun.

Docteur A. Vour'ch

Extrait de la Revue de la France Libre, n° 89, juin 1956.

 

Témoignage de Jean Roshem
Témoignage de Monsieur Jean ROSHEM, du groupe du Capitaine Pillafort sur la neutralisation du 19ème corps d'armée, Place Bugeaud à Alger.
Nous avons reçu ce document original qui date de 1944,signé de l'auteur , grace à l'aimable concours de Madame TAOUS

 


Commentaires (4)

1. gozlan lucien Dim 28 Juil 2013
Pour faire suite a mon commentaire, il serait bon que les enfants ou meme petits enfants en ligne directe de tous ces heros resistants dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942 a Alger juifs et non juis, tous unis dans un meme ideal de liberte republicaine et qui ont aide les allies a entrer dans la ville presque les mains dans les poches placent les souvenirs de leurs peres ou parents.
Il serait bon que des temoignages de ces personnes dont les noms sont connus dans la communaute juive d Alger ainsi qu une suite de noms etablie par monsieur Henri d Astier de La Vigerie.
Voici quelques noms choisis au hasard ....ABOULKER, TEMIME, JAIS, GOZLAN, SEBAOUN, ALBOU, AYACHE, BOUCHARA, BENHAMOU, BELLELOUM, BELADINA, SERFATI, BELAICH, CHEMLA, CHICHE, GHENASSIA, FELUS, FREDJ, JAIS, FITOUSSI, LOUFRANI, FAIVRE, HABIBOU, KARSENTY, COHEN ADAD, MESGUICH, MORALI, OUALIDSULTAN, SONIGO, TIMSIT, BESAID, TIBIKA, TAOUSS, ZARRAFFA, et d autres noms de la liste de monsieur d Astier de La Vigerie, LE MEUR, ARBAUD, BRISSON, BONNIER DE LA CHAPELLE, BURES, CHEMINEAU, CHESNAIS, ESCANA, ESPINAY, GINESTET, SVILINSKY, ESCOUTE, THUBER, GENDRON, et beaucoup d autres noms encore, afin que tous ces resistants heros d un Haut fait de Resistance dans la Resistance Francaise pendant la 2eme guerre mondiale ne soient plus LES OUBLIES DU 8 NOVEMBRE 1942 A ALGER.

2. gozlan lucien Dim 28 Juil 2013
Dans ce temoignage de monsieur Jean Roshem qui nous a ete remis par la fille de mauriceTAOUSS, il est mentionne quelques noms de tous ces resistants qui ont participe a neutraliser tous les postes de commandements civiles et militaires pour aider les allies a debarquer a Alger, presque les mains dans les poches.
Le temoignage de monsieur Roshem date du 7 novembre 1944 soit 2 annees plus tard se termine par des questions en attente de reponses..????
Oui monsieur Roshem, les Allies ont trahis les engagements conclus avec les resistants a la reunion de Cherchell.
Oui monsieur Roshem, les resistants juifs se sont sentis Outres et Dupes et par le pouvoir antijuif des vichyssois et des Allies americains et anglais.
Oui monsieur Roshem, les resistants juifs ont frole le peloton d execution apres le 8 novembre 1942 car ils se sont retrouves pieds et poings lies face aux autorites petainistes toujours en place au soir du 8 novembre 1942.
A un lachage de tracts sur un defile des troupes alliees et de l armee d Afrique a la rue d isly le 3 decembre 1942 , des resistants gaullistes sont arretes, certains resteront une dizaine de jours en prison, monsieur Emile ATLAN, les freres HABIBOU, et d autres chefs de la salle Geo Gras passeront en correctionnelle et seront dans le couloir de la mort avec pres de 25 resistants avec eux.
Il avait ete convenu avec l approbation du general Eisenhower et des pouvoirs du haut commandement en Afrique du Nord dont l Amiral DARLAN s etait autoproclame Chef, que tout acte de rebellion devait etre considere comme un acte seditieux et sanctionne par un tribunal militaire.
Monsieur Emile ATLAN et 27 de ses compagnons de resistance, places dans les couloirs de la mort, ont echappe a la peine capitale grace a l intervention d une compagnie canadienne qui est intervenue lors de l audience et sous la menace de leurs armes ont fait liberer les soi-disants conjures pour les deporter dans un camp de travail pres de la frontiere Tunisienne.

3. Paule Atlan Sam 27 Juil 2013
Ce témoignage est très émouvant, il nous fait vivre en direct cette nuit du 7 au 8 novembre que mes parents nous ont raconté mille fois mais il y a si longtemps...C'est formidable de l'avoir publié. Je retrouve leurs amis, Roger Jaïs, André Temime, Raphaêl Aboulker.
Je rejoins le commentaire de mon frère sur le 11 rue Bab-Azoun où nous habitions, dans le même immeuble que la famille Aboulker. Beaucoup d'armes provenaient du magasin tenu par ma mère rue de Chartres et fermé avec les lois raciales.
Mais ce sont des détails, le plus important est de lire ce témoignage.

4. Pierre ATLAN Ven 26 Juil 2013
Je viens de lire le témoignage de Jean Roshem... tres intéressant sauf qu'il y a des erreurs : 11 Rue Bab Azoun, dans l’appartement ou il est venu ce n’était pas chez André Temine, qui avait son Magasin mais Chez W+Emile et Florence Atlan, le revolver qu'il a reçu provenait du magasin d'armes de mes parents, c'était un 7,65.

Bien Amicalement

Pierre Marc Atlan
 

En cette nuit du 8 novembre 1942, âgé de 4 ans et demi, j’ai pour la première fois pris conscience que c’était la guerre.
Trop jeune je n’ai pas connu les mesures discriminatoires vis-à-vis des juifs, comme, pour un enfant le renvoi des élèves juifs des écoles publiques.
J’habitais un petit immeuble de 3 étages au 19 Avenue du Frais Vallon, qui après la guerre est devenue Avenue du Général Verneau.
Il était situé à l’angle de cette avenue et de la rue Suffren, exactement en haut des escaliers qui terminaient cette rue. Un peu plus bas, du même coté de l’avenue se trouvait le cinéma Plazza, et un peu plus bas l’usine Bastos, fabrique de cigarettes. Ces précisions n’ont d’intérêt que pour ceux qui se souviennent du quartier de Bab - El – Oued.
Dans la nuit du 8 novembre il y a eu une alerte insolite : l’Algérie était soumise au régime de Vichy et connaissait la même « tranquillité » que la zone non occupée de la France métropolitaine.
Cette alerte inattendue a réveillé, bien entendu, tout le monde et dans de telles circonstances l’inquiétude est source de multiples questions auxquelles on cherche avec angoisse des réponses.
Je suppose que la radio ne devait diffuser aucun communiqué et tout naturellement les voisins ont ouvert leurs portes pour entrer en contact les uns avec les autres.
Tous ressentaient le besoin de se mettre en sécurité et surtout de ne pas rester dans les appartements.
L’immeuble n’avait pas de cave et les voisins se sont rassemblés dans la hall d’entrée. Chacun apportait sa chaise pour se préparer à une longue veille.
Il y avait 13 appartements et la loge du concierge. Sur le total il y avait 5 familles juives, mais dans le hall, malgré les lois en vigueur, juifs et non juifs étaient mêlés. Il est utile de souligner qu’il n’y avait pas à Alger de quartier juif, ni même de quartier à majorité juive. Le mélange était total.
Mais que faire toute une nuit, ensemble, sinon d’imaginer ce qui se passait.
Je me souviens vaguement des sujets abordés : une attaque aérienne semblait improbable. De qui viendrait t’elle ?
L’idée d’un débarquement a été évoquée. Mais là encore quel pays l’aurait tentée ?
Les Allemands étaient loin de la Méditerranée. Les Italiens alors ? Mais ils étaient d’accord avec le régime de Vichy.
Il ne restait que les Américains ou les Anglais ! Mais d’où viendraient-ils ? Personne n’avait assez d’information sur leur position géographique pour penser que cette hypothèse était possible.
Les juifs, je l’ai su plus tard, s’inquiétaient d’une éventuelle opération allemande ou italienne.
Mes parents m’ont raconté, plus tard, que le concierge, sympathisant actif de Vichy est parti discrètement pour se renseigner.
De retour, au petit matin, il ne portait la francisque, décoration décernée par le gouvernement de Vichy. Je ne sais pas s’il a donné des informations ou s’il est resté muet à ce sujet.
A lever du jour, je me souviens parfaitement, avoir vu un tank américain descendre rapidement l’avenue. J’étais sur le pas de la porte de l’immeuble et c’était la première fois que je voyais un tank engagé dans une opération.
Chacun a repris sa chaise et est remonté dans son appartement. Je suppose que du coté juif, l’espoir est revenu.
Ce bref récit n’a rien d’historique et comme beaucoup je n’ai appris que des années plus tard ce qui c’était vraiment passé. Comment l’opération TORCH a été longuement préparée par des résistants, en majorité Juifs, les discrètes séances de préparation avec le consul américain Murphy et la manière dont les différentes sections ont réussi à maitriser les centres de communication et les centre administratifs, militaires et policiers, avec quelques pertes humaines, mais avec un succès remarquable.
Mes parents, eux-mêmes, ignoraient tout de cette opération, bien que deux de mes oncles aient été actifs dans cette organisation : M. Fernand AICH et M. Gil TUBIANA.
Le premier, M. Fernand AICH, a été assassiné en juillet ou août 1956 par le FLN, et le second, M. Gil TUBIANA, s’est engagé dans l’armée anglaise et sa voiture, une traction avant a été réquisitionnée, et a été utilisée pendant toute la durée de la guerre. A sa démobilisation, la voiture a été récupérée par la famille et c’est mon père qui en a pris possession avec l’accord de la famille. Elle avait été achetée par mon Grand Père maternel, M. Sylvain TUBIANA, citroëniste inconditionnel. Mon père a ensuite été aussi un citroëniste tout aussi inconditionnel.
Dans cette glorieuse opération de débarquement on voit apparaître un lieu qui paraît prédestiné :
Le débarquement français de 1830, et celui des Américains et Anglais en 1942 se sont déroulés sur le même site : la plage de SIDI FERRUCH, à 30 Kilomètres à l’ouest d’Alger.
REMARQUE : Ce bref récit n’a bien entendu rien d’historique ; j’ai simplement relaté les souvenirs très limités d’un enfant sur cet évènement capital.

 Marseille le 25 Juin 2012 – 5 Tamouz 5772

     Bernard REBOUH

 

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       Commentaires (3)

1. JAIS Mer 24 Oct 2012
Je suis Paul JAIS
le fils de Maurice et Yvette JAIS
Ma grand mère Irma Tubiana.
Si mes souvenirs sont bons je pense que nos familles être proches
Auriez vous l'amabilité de me joindre.
Paul

2. Paule Atlan Sam 13 Oct 2012
Mon père a été assassiné 15 jours après Fernand Aïch, ami à lui et comme lui commerçant de la Basse Casbah et ancien Résistant. Tous deux parce que juifs et anciens Résistants.Il faudrait relier ces témoignages divers autour du 8 novembre et de l'Opération Torch pour pouvoir tout lire à la suite.

3. Gozlan lucien Mer 03 Oct 2012
Merci monsieur REBOUH pour votre temoignage personnel pour la matinee du 8 novembre 1942 a votre domicile a la rue General Verneau a Bab el Oued a Alger.

 

Le 11 août 2013 Monsieur Bernard Pauphilet, dernier Président de l’association "Libération Française du 8 novembre1942", adressait à Monsieur Lucien Gozlan une lettre dont nous mettons la copie ci-dessous.

Quelques jours plus tard Monsieur Bernard Pauphilet recevait à son domicile, rue Championnet à Paris, Messieurs Lucien Gozlan et Didier Nebot, Président de l’association MORIAL.

Il leur confia ses archives sur l’opération TORCH que Monsieur Lucien Gozlan détient toujours, en vue d’un projet de constitution d’une surface dans un musée de la résistance française.

Il indiqua à Messieurs Gozlan et Nebot que du fait de son attachement à un certain nombre de juifs ayant participé à l’opération TORCH, beaucoup de personnes s’imaginait qu’il était juif, ce qui ne le gênait absolument pas

 

 

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Compte rendu sur l'activité de Bernard PAUPHILET dans la préparation et l'exécution du débarquement ainsi que dans les évènements postérieurs, jusqu'à la date de l'exécution de l'Amiral DARLAN.
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(Rédigé en 1945 à l’Ecole Normale Supérieure, 45 rue d'Ulm)
 C'est vers le mois de juin 1941 que j'entrai dans l'organisation grâce à Mario FAIVRE qui me présenta au Capitaine PILLAFORT.
Des explications d'abord assez vagues qui me furent données au début, il ressortait que ce groupement clandestin était destiné principalement à neutraliser, par la force, les différentes commissions d'armistice se trouvant en Algérie.
 Cette action devait avoir lieu conjointement avec des opérations militaires, venant de l'extérieur, mais dont ni la nationalité ni les buts politiques ne m'étaient encore précisément définis.
 Quelques mois après, en Octobre, je fis la connaissance du Colonel LELONG avec lequel je parlais des questions intéressant le résistance en Algérie. Je m'aperçus qu'il semblait être parfaitement au courant des diverses organisations. D'ailleurs, uelques jours après, nous prenions rendez-vous pour dîner ensemble, et je fus extrêmement surpris de retrouver là PILLAFORT
 .La méfiance bien naturelle, que j'avais pu éprouver au début, se dissipa complètement lorsque je me rendis compte de la consistance et du sérieux de ce groupement.
 Il fut alors entendu que je grouperais autour de moi un certain nombre d'amis et de camarades destinés à former une sorte de milice secrète. A partir de ce moment là, mes rencontres avec PILLAFORT s'espacèrent puisque de toutes façons j'avais avec lui des moyens de contact nombreux en cas de besoin.

 Comme je connais assez peu de monde à Alger et que, d'autre part, les jeunes algérois ne semblaient pas décidés à entreprendre quoique ce soit d'un peu risqué, puisque au demeurant la plupart étaient satisfaits de l'état de choses actuelles, je n'arrivais à constituer qu'un groupe assez peu important d'une dizaine de camarades environ.
 Vers le mois de février 1942, je reçu d'une manière tout à fait irrégulière et sans en connaître la provenance, un certain nombre de tracts tapés à la machine avec mission de les recopier et de les diffuser.
 Ce fut vers la mois de juin 1942 que grâce à un camarade de l'école d'élèves officiers de la Marine Marchande, je pus recevoir plus régulièrement les numéros clandestins de Combat.
 Ce même camarade m'emmena un jour voir quelqu'un dont il ne m'avait pas dit le nom et je fus assez étonné de rencontrer Monsieur CAPITANT avec lequel j'étais en train de faire une thèse.
 Dans les mois qui suivirent, je restai en contacts étroits avec Monsieur CAPITANT puisque ces réunions ne pouvaient rien avoir de suspect. Je ne connaissais pas encore sa position réelle dans le mouvement de Combat; mais c'est par son intermédiaire que je recevais des exemplaires de "Combat" à diffuser. Grâce à l'organisation de ce groupement, qui devenait de Jusqu'à l'époque où je fus mis en rapport avec CAPITANT, j'avais pour but de chercher à partir pour rejoindre les Forces Françaises Libres. Malheureusement cette évasion semblait fort compliquée et surtout mal organisée.
 Vers le mois d'août, je fis la connaissance, avec PILLAFORT, de MARNAT puis d'Henri d'ASTIER. Leur ayant parlé de Combat, je m'apercus qu'ils n'étaient pas du tout au courant de ce qui s'y passait et surtout qu'ils ne s'occupaient absolument pas de la diffusion de ce journal clandestin.

Au mois de septembre 1942, je partis en France à titre tout à fait privé, mais cependant, à Paris, j'entrai en rapport avec certaines personnes, touchant de près les 13 organisations de résistance, qui me donnèrent quelques adresses, notamment à Marseille; je pensais, là encore, trouver un moyen de partir, mais quelques temps auparavant un convoi assez important de polonais ayant été arrêté au moment où il allait s'embarquer, il aurait été préférable d'attendre; malheureusement, je n'en avais pas la possibilité.
 De ce voyage en France, je retirai l'impression que l'organisation y était beaucoup mieux faite, que les liaisons avec l'extérieur y étaient mieux assurées et que, par conséquent, il y avait un énorme travail à faire en Afrique du Nord. Mais le seul élément qui rendait la chose compliquée était le manque d'hommes décidés.
De retour ici le 2 octobre, je revois PILLAFORT qui, au moment de mon départ au mois d'août, m'avait promis que s'il n'y avait rien, nous partirions vers le 15 octobre. Ayant revu d'ASTIER, je lui posai la question de savoir exactement dans quel sens et avec quel chef nous travaillions, étant donné que j'avais retiré de mon voyage en France la conviction que, dans la métropole, toute la résistance sous quelque forme que ce soit, se faisait sous le nom de de GAULLE. Assez inquiet de ce manque de direction précise, j'en parlai à CAPITANT qui constata alors avec moi qu'il y avait deux organisations totalement différentes et bien difficile à faire fusionner.
 Cependant, CAPITANT s'y emploie de son mieux et je m'offre à le seconder dans
cette tâche d'union. En fait, le groupe d'ASTIER veut faire venir en Afrique du Nord quelqu'un, qui n'est pas de GAULLE, mais dont la personnalité n'est pas encore fixée; il semble même que tout le monde ne soit pas d'accord sur la personne à choisir.
C'est à ce moment seulement que CAPITANT, se rendant compte du quasi monopole des organisations actives qu'avait le groupe d'ASTIER, me demande de constituer des troupes de choc. Je lui fais alors remarquer que la chose était très difficile étant donné que presque toutes les bonnes volontés sont déjà employées ailleurs; il faudrait, pour faire quelque chose, s'adresser à des gens moins sûrs et par conséquent courir des risques énormes. J'avais même essayé d'amener avec moi une fraction des compagnons de France, avec l'aide de SABATIER à cette époque chef du groupe de Bab-el-oued. Ce fut d'ailleurs une tentative sans succès, à quelques rares exceptions près.

Au point de vue politique, les tendances nettement monarchiques du groupe d'ASTIER ne semblent pas effrayer CAPITANT qui se fie aux accords d'union qu'il a pu avoir avec d'Astier directement.
Les réunions sont maintenant plus fréquentes car on sent l'imminence d'une opération dont la nature n'est pas encore fixée, on parle même d'une offensive allemande.
En définitive, je pouvais, aux environs du 5 novembre, compter sur un minimum de 10 à 12 camarades absolument sûrs, ayant tous une formation militaire et pour la plupart officiers de réserve.
Ce fut le 5 novembre que dans un rendez-vous au 26 de la rue Michelet, auquel assistait Henri d'ASTIER, la date du débarquement fut fixée pour le samedi suivant; je vais à ce moment trouver CAPITANT pour lui faire part de l'imminence du débarquement. Il ne semblait d'ailleurs pas tenu au courant de ce qui se passait dans le groupe, alors que depuis quelque temps les groupes d'ASTIER et COMBAT avaient fusionné et devaient se faire part de leurs projets et échanger leurs renseignements. A cette date là, j'étais encore incapable de préciser à CAPITANT la personnalité qui était attendue; nous savions simplement que ce débarquement devait se faire en grosse majorité sous la direction américaine. Je demande à CAPITANT si, malgré des différences aussi prononcées dans le but militaire et politique de ces organisations, je peux cependant apporter ma collaboration et celle de mes amis à cette opération. C'est avec son accord préalable que je pris part aux évènements qui suivirent.
Le lendemain, 6 novembre, au 26 rue Michelet, on me demande si je ne connais pas un radio; je leur présente mon camarade BRISSON qui est resté là-bas ensuite du 7 à midi jusqu'au 9.

Dans la journée du 7, les réunions furent fréquentes; d'abord à 11 heures avec d'ASTIER, MARNAT, ENSELME, BRINGARD, ESQUERRE, et le Colonel JOUSSE. C'est à ce moment là qu'on me fixe d'une manière précise la mission que j'aurai à remplir, c'est à dire que j'étais chargé du groupe d'El-Biar dans son ensemble. Vers deux heures et demie je vais au domicile du Capitaine BOUIN pour lui indiquer que sa mission serait à El-Biar et lui annonce mon intention d'aller faire une reconnaissance précise des lieux. BOUIN me déclare être fatigué et ne m'accompagne pas. La mission d'El-Biar devait auparavant être confiée au Capitaine BOUIN mais d'ASTIER, au dernier moment, a préféré m'en donner la responsabilité entière, le Capitaine BOUIN étant chargé d'un contrôle d'ensemble, assez imprécis d'ailleurs.
Je monte donc à El-Biar avec SABATIER et un autre camarade du nom de MASSOULARD, SABATIER se charge de la reconnaissance de la villa "Air Supérieur" tandis que moi-même je vais faire une reconnaissance détaillée des abords de la villa "des Oliviers". Je me rends compte qu'il est assez facile, en passant par le derrière de la villa, de pénétrer et de monter, sans être vu, jusqu'au bâtiment.
De leur côté, SABATIER et ARGUILLIERE n'ayant pu pénétrer dans la villa "Air Supérieur", n'avaient pu obtenir de renseignements très précis sur l'organisation des lieux. Mais, d'autre part, il y avait dans notre programme de reconnaissance, une certaine villa occupée par les commissions d'armistice où se trouvait un poste émetteur de radio. Cette villa avait retenu toute notre attention, mais son accès était très difficile et il aurait fallu pour la prendre de vive force, des effectifs plus nombreux et mieux dirigés. Cependant, j'envisageais la chose comme possible puisqu'on nous avait promis une centaine de recrues pour notre mission.

A dix-sept heures trente, nouvelle réunion au 26; je rends compte de ma reconnaissance; ma mission est précisée et mon ordre de mission me sera remis le soir même. La question des armes est toujours angoissante car jusqu'à présent on n'a rien reçu, même pas le nombre de spécimens qui auraient pu servir à faire notre instruction.
A 21 heures, nouvelle réunion au même endroit où se trouve un nombre de personnes absolument anormal et bien propre à attirer l'attention de la police, si, heureusement, les agents prévenus n'étaient en train de garder la porte de l'immeuble.
La réunion des chefs de groupe uniquement se transporte alors au 30 de la rue Michelet pour recevoir les ordres de mission et les brassards V.P. on ne nous a toujours pas distribué d'armes ce qui commence à devenir bien étrange.
Enfin, il paraît que nous allons les trouver dans les voitures au moment du départ. Le
Colonel JOUSSE, après avoir donné des conseils sur la manière de procéder, nous remet les ordres de mission ainsi établis :
19ème Région
Division Territoriale d'Alger

Place d'Alger
N° 808 Alger le 7 novembre 1942
Ordre de mission
En application du Plan de Protection de la Place d'Alger, le groupe de volontaires E.1. assurera la garde de la villa "des Oliviers" résidence du Général Commandant en Chef des Force en A.F.N.
Il relèvera le poste de garde dont la personnel rejoindra immédiatement son corps.
Le Général Commandant d'Armes délégué
de la place d'Alger
P.O le Major de Garnison
(Signé JOUSSE)
A 22 heures, j'avais rendez-vous en face de la brasserie Victor Hugo avec le Lieutenant DARIDAN qui, je l'ai appris plus tard, est du 2ème bureau et chargé spécialement de surveiller PILLAFORT et l'organisation.
C'est en grande part grâce à lui que les choses ont pu se passer aussi simplement.
Le Lieutenant DARIDAN m'emmène au garage MILLET où il me fait donner une voiture qui était ordinairement à l'usage des commissions d'Armistice et qui, par conséquent, avait le gros avantage de fonctionner à l'essence.
A 22 heures 15, je vais prendre SABATIER chez lui, je passe au garage LAVEYSSE pour lui donner quelques armes, en fait trois revolvers, et nous montons ensemble à El-Biar, il est à ce moment environ 22 heures 45. A El-Biar deux points de rassemblement avaient été fixés; à chacun d'eux devaient se trouver environ 50 hommes que m'avait promis ATIAS qui s'était chargé du recrutement et de la propagande dans cette partie de l'agglomération algéroise.
L'un des points de rendez-vous était un tunnel sous le boulevard Galliéni et l'autre se trouvait à El-Biar même.

Au premier de ces points, je déposai SABATIER qui devait y attendre l'arrivée de son groupe; en fait trois ou quatre hommes étaient déjà là.
Au deuxième point se trouvaient uniquement deux hommes, les autres ayant disparu, soit par peur, soit pour toute autre raison encore inconnue de moi.
Je renvoie de deuxième groupe pour rejoindre le premier, espérant cependant que d'autres reviendraient plus tard.
Noun nous efforcions de garder le silence absolu, il était bien évident que, de la rue, on pouvait avoir le sentiment qu'il se passait quelque chose d'anormal.
Enfin, vers 23 heures 45, on commence à nous distribuer des armes, mais ce ne sont pas hélas des mitraillettes et armes américaines perfectionnées dont on nous avait parlé depuis longtemps; ce sont, au contraire, de vieux fusils 1889-1900; heureusement les cartouches nous sont données à profusion.
Vers 0 heures 15, les voitures commencent à partir chargées d'armes; je suis dans l'une avec mes deux fidèles acolytes BURES et LUCAS. Dans l'autre, destinée à SABATIER, monte le Capitaine BOUIN. Chacune des voitures porte un petit carré de papier sur le pare-brise indiquant le groupe auquel elle est destinée. E1, E2 sont des voitures qui nous sont affectées;l'armement était prévu pour environ 70 hommes, puisqu'on m'en avait promis 100.

A partir de maintenant, SABATIER et moi agissons séparément, lui au commandement, supérieur de l'Air" et moi à la villa "des Oliviers" avec le groupe E1. Heureusement j'avais emmené avec moi trois de mes camarades et j'en pris deux autres en passant, sur le groupe E2, si bien qu'au total nous étions six à effectuer la mission qui m'était confiée, c’est-à-dire, relever le poste de garde et assurer nous-même la sécurité de la villa des Oliviers. Cet effectif trop faible pour faire impression par sa masse, je décidai donc de ma présenter seul au poste de garde. J'étais en uniforme d'Aspirant du 65ème R.A.A. Devant la porte se trouvait un sénégalais de faction sans arme, ainsi qu'une voiture avec un homme en civil auquel je demandais immédiatement ce qu'il faisait là. Sa seule réponse fut qu'il attendait quelqu'un d'assez important et que je comprendrai plus tard ce dont il s'agissait. Ces explications m'ont paru insuffisantes; je lui demandai de me montrer ses papiers d'où il ressortait qu'il appartenait au 2ème bureau car il avait tous les permis de circuler nécessaires. Cependant, je lui demandai de bien vouloir rester où il se trouvait et de ne pas chercher à s'enfuir. D'ailleurs, il m'a déclaré être au courant de ce que nous venions faire là et qu'il était inutile d'insister.
Je m'adresse alors à la sentinelle et lui demande d'appeler le chef de poste; ce dernier, un sénégalais, arrive dans l'état d'un homme que l'on vient visiblement de sortir du lit. Lui ayant fait confirmer qu'il était bien le chef de poste, je lui déclare qu'à partir de ce moment c'est moi qui commande, qu'il me fasse entrer et me présente ses hommes dans cinq minutes en tenue n°1. J'entre; le chef de poste ayant déclaré qu'il n'avait pas d'arme, je fais une inspection afin de confirmer ses dires qui se révèlent exacts. A ce moment là, je fais entrer mes camarades que je dispose à proximité de la villa de manière à ce qu'ils surveillent l'entrée, les invitant à me prévenir s'il se passait quelque chose d'anormal ou si on leur demandait quoi que ce soit.Ensuite, je replace une des sentinelles à la porte, comme auparavant. L'ensemble de ces manoeuvres a duré environ trois minutes.

Quelques temps après d'ailleurs , un homme en civil, venant à pied de la villa, se dirige vers la sortie; comme je lui demande son identité, il me déclare être le Colonel CHRETIEN et que sa voiture l'attendait à la porte. Comme j'avais le droit de le laisser passer, il sortit pour renvoyer sa voiture, puis retourna dans la villa.
A ce moment, la voiture de Monsieur MURPHY se présente à la porte; conformément aux ordres, je la laisse passer;puis vient le Général SEVEZ qui demande à entrer, je fais rester sa voiture à la porte et l'accompagne jusqu'à l'entrée de la villa, bien décidé d'ailleurs à ne pas le laisser ressortir s'il en manifestait l'envie, étant donné les instructions que j'avais reçues de ne laisser aller et venir que le Colonel CHRETIEN et le personnel du Consulat américain.
Un homme grand, en uniforme, étant sorti de la villa, s'avançait dans l'allée centrale,n'ayant pas le droit de dépasser la limite fixée par la voiture du Consulat d'Amérique. Cet homme ayant demandé ce que faisait là ce civil qui l'arrêtait, mon camarade m'envoya chercher; le dialogue suivant s'engagea entre lui et moi :
- " Qui êtes-vous? Que faites-vous?
- Je suis l'Aspirant PAUPHILET et j'ai des ordres pour ne laisser entrer ni sortir
personne.

- Je suis le Général JUIN. De qui avez-vous des ordres? "
Après quelques instants de réflexion, je lui répondis :
- "Je n'ai pas à vous en rendre compte, mon Général."

Sur cette réponse, il rentra dans la villa.
Tout est calme jusque vers deux heures du matin environ, heure à laquelle un des gendarmes d'El-Biar m'amène un individu vêtu d'un imperméable civil, sans coiffure, mais dans un costume marin. Cet individu de 50 ans environ, demande à voir l'Amiral DARLAN pour lui transmettre un message de l'Amiral MOREAU. Je lui demande bien entendu quel est ce message, ce qu'il refuse de me dire. L'ayant ensuite questionné sur la façon dont l'Amiral DARLAN pourrait savoir qu'il est porteur d'un message venant de l'Amiral MOREAU. Il me déclare ceci : "je dois dire à l'Amiral DARLAN de la part de l'Amiral MOREAU que la dernière fois qu'il a mangé du couscous avec lui, c'était à Marseille". Sur ce, je le fais rester dans le poste de garde et le confie à un sénégalais qui doit l'empêcher de bouger.
A trois heures du matin environ, Monsieur MURPHY me fait demander pour me transmettre une requête de l'Amiral DARLAN qui désire être transporté chez l'Amiral FENARD pour y finir la nuit. Monsieur MURPHY me propose de faire garder DARLAN là-bas comme il l'était à la villa des Oliviers. Mais n'ayant pas assez d'hommes à ma disposition, je refuse, pensant que l'Amiral pouvait très bien rester là où il était. Néanmoins, je déclare à Monsieur MURPHY que je vais descendre en ville pour demander à Monsieur d'ASTIER son avis sur le transfert et profiter de l'occasion pour lui rendre compte de la situation générale. Comme je sortais de la villa des Oliviers, la voiture du Consulat d'Amérique arrivait ramenant l'Amiral FENARD que l'on avait été chercher pour qu'il fasse pression sur l'Amiral DARLAN. Je continue à descendre jusqu'au 26 de la rue Michelet où je trouve installé un poste de radio, d'ASTIER et quelques autres. Ayant rendu compte de la situation et demandé du renfort, Monsieur RIGAUT décide de m'accompagner à la villa des Oliviers; je remonte donc avec lui; il engage une conversation à laquelle je ne participe pas, avec le Colonel CHRETIEN, puis avec le Général SEVEZ, après quoi il redescend.
Entre 4 et 5 heures du matin, j'eus l'occasion de parler avec l'Amiral FENARD qui était sorti pour se rendre compte de ce qui se passait en rade car on entendait le bruit sourd des canons, de marine, ce qui lui était visiblement désagréable. Il me déclara même qu'il espérait bien que la marine française ne s'amuserait pas à livrer combat car ce serait complètement idiot de, perdre des bateaux et des marins dans ce débarquement qui, par ailleurs, marchait bien. Je lui demandai des nouvelles de l'avance des Alliés il ne semblait pas en savoir beaucoup plus que moi et était très optimiste sur la suite des évènements.

Au cours de cette nuit, j'eus deux fois la visite du Capitaine BOUIN venant me demander si tout allait bien. Je lui demandai simplement des renforts pour le cas où une opposition, venant de l'extérieur ou de l'intérieur, se manifesterait.
Enfin vers 6 heures du matin, je reçus pour la première fois la visite d'un capitaine des gardes mobiles me disant qu'il venait délivrer le Général JUIN. Je manifestai alors la plus grande surprise étant donné que j'étais là moi-même pour assurer la garde du Général; et comme par ces temps troublés, on ne savait pas à qui on avait à faire, je ne le laissai pas entrer; aussi, surpris, il se retira ajoutant que décidément il n'y comprenait rien.
Malheureusement, quelques minutes plus tard, revenait un Commandant de gardes mobiles, accompagné d'officiers, qui me posa les mêmes questions auxquelles je faisait les mêmes réponses. Mais cette fois sans succès puisque je me trouvais rapidement entouré et menacé d'un grand nombre de revolvers qui se dirigeaient fort désagréablement sur ma personne. Répondant à leurs injonctions, je levai les bras et ils me désarmèrent. Je fis signe à Monsieur MURPHY et lui demandai d'intervenir, ou de partir lui-même et en tous cas de prévenir mes camarades. D'ailleurs je ne pense pas qu'il ait pu m'entendre étant donné qu'il n'était pas assez près et qu'on me mit rapidement la main sur la bouche. Heureusement deux de mes camarades seulement furent pris, les autres s'enfuirent par les jardins, sous la direction de MASSOULARD, avec lequel, on s'en souvient, j'avais, la veille, reconnu les différentes voies d'accès.
A ce moment là, nous sommes tous les trois prisonniers, enfermés dans le poste de garde, sous l'oeil ahuri des sénégalais qui ne cherchent même plus à comprendre.

Nous étions là depuis une demi-heure lorsque d'autres camarades arrivèrent sous la conduite du Capitaine BOUIN juste pour se faire faire prisonniers, car ils n'avaient pas été prévenus de ce qui m'arrivait.
Nous étions tous rassemblés dans le poste; un garde mobile nous demanda des renseignements, il avait l'air d'ailleurs plutôt sympathique. Il me déclara, entre autre choses,que c'était dans les casernes que nous aurions dû faire de la propagande, ce qui nous aurait évité de nous trouver en ce moment entre leurs mains; car en fait, ils avaient eux aussi horreur des allemands, mais qu'ayant reçu des ordres, ils les exécutaient.
Dans cet ensemble assez hétéroclite que nous formions, il y avait parmi les hommes
d'âge mûr, certains se démoralisaient presque totalement : l'un deux me fit promettre, s'il y avait un jugement, de déclarer qu'il n'était là qu'en passant, qu'il était venu en curieux, mais n'avait rien à faire avec les évènements auxquels il ne fallait pas le mêler. J'acquiesçai à ses désirs et m'efforçai par ailleurs de maintenir aussi haut que possible le moral général parmi mes camarades tout en semant la confusion dans l'esprit de nos gardiens, m'apitoyant par exemple sur le sort de ce pauvre père de famille qui ruinait ainsi sa carrière et compromettait sa situation par une soumission à des ordres visiblement inspirés par l'Allemagne.

Vers 8 heures du matin, nous fûmes en colonne par trois, transférés au Fort l'Empereur, escortés par les gardes mobiles avec leurs mousquetons chargés. Sur notre passage la population manifestait un étonnement hostile à notre égard, d'aucuns même allaient jusqu'à souhaiter que nous soyons fusillés. Arrivés là-bas, ils m'offrent de me tenir dans une salle à part, avec des officiers Alliés qui avaient déjà été faits prisonniers. Je refusai pour rester avec mes camarades. Nous étions environ une trentaine et je continuai le même travail pour maintenir le moral. Je m'occupai également du ravitaillement dont personne ne semblait se soucier et je mettais à profit les connaissances que j'avais pu garder parmi les sous-officiers du 411 D.A.T. qui avaient été sous mes ordres deux ans auparavant pour me faire introduire à la popote des officiers; je ramenai à mes camarades un nombre impressionnant de sandwiches, que je fis inscrire sur le compte du Commandant du Fort. Je dois reconnaître qu'à quelques exceptions près, personne ne semblait prendre la résistance de l'Armée au sérieux;
A 8 heures 20, on nous fit sortir en nous rendant notre liberté, ce qui occasionna quelques signes d'enthousiasme délirant entre certains alsaciens prisonniers avec moi et d'autres officiers du Fort; échappé de France et réfugié dans l'Armée, l'un deux déboutonna même sa vareuse pour nous montrer une énorme croix de Lorraine qu'il porte attachée autour du cou. Il semblait fort heureux de pouvoir la montrer impunément.

Quelques américains qui se trouvaient aux environs du Fort n'avaient pas compris qu'il fallait cesser le feu, et continuaient à tirailler, quelques fois même dans notre direction, ce qui nous força à nous abriter pendant quelques temps. A ce moment, une voiture arrive, pleine de plénipotentiaires, portant le drapeau blanc, qui vient constater la reddition du Fort.
En redescendant en ville, la surprise fut grande pour beaucoup d'apprendre qu'il n'était pas du tout question de l'arrivée de de GAULLE, mais qu'ils avaient été victimes d'une sorte d'escroquerie morale, car ils pensaient qu'en agissant comme ils l'avaient fait, ils retrouveraient des camarades de la France Libre.
Je passai au 26 de la rue Michelet, prendre des nouvelles des uns et des autres et de ce qui s'était passé dans d'autres sections; j'appris notamment la blessure du Capitaine PILLAFORT, qui devait entraîner sa mort quelques jours après.
L'agitation du débarquement étant passée, et la période de révolte contre les autorités considérée comme close, il fallut se préoccuper de l'avenir de nos hommes et surtout de ne pas décevoir les jeunes qui avaient fait confiance à leurs chefs et espéraient enfin pouvoir proclamer et afficher leurs opinions de toujours. En effet, il faut bien maintenant se rendre compte que cette véritable insurrection avait créé un état d'enthousiasme parmi le peuple où brillait tout à coup le plus pur esprit patriotique.
Aussi, dès le 9 novembre, sans tenir compte du pouvoir aux mains de DARLAN, je me préoccupais de grouper toutes les bonnes volontés, espérant que la présence des anglais nous permettrait de créer une armée nouvelle de volontaires qui se joindrait aux F.F.L. le plus rapidement possible. J'espérais pouvoir former immédiatement une sorte de commando,entraîné par les troupes anglaises similaires se trouvant dans la région, les cadres étant constitués principalement par les chefs de groupe de la nuit du 7 au 8. La formule de commando était évidemment celle qui correspondait le mieux aux circonstances puisqu'il fallait tenir compte premièrement de la fougue impatiente de nos troupes qui répugnaient à s'engager dans l' armée régulière, mal commandée et mal armée, à l'esprit maréchalesque et réfractaire à nos idées; deuxièmement du manque de formation militaire de la plupart et des meilleurs.

Ce deuxième élément aurait été un obstacle pour l'incorporation de nos groupes dans n'importe quelle arme sauf le commando pour lequel tout était à apprendre pour tout le monde; d'autre part, la tactique de ce nouveau corps faisant une large part à l'individualisme et au débrouillage, correspondait bien à l'état d'esprit des partisans.
On s'apercevra beaucoup plus tard, au moment de la constitution et de l'entraînement du "bataillon de choc", que cette idée du petit groupe de combat autonome fut celle que nos instructeurs anglais eurent le plus de peine à faire comprendre aux militaires français.
En vue de la réalisation de ces idées, j'utilisais mon bureau et mon personnel de la
répartition des carburants du 7 rue Charras, et ouvrais un véritable bureau de recrutement officieux. C'est ainsi que, rapidement, j'eus plus de demandes que je ne pouvais retourner, que pour ce faire mettre dehors si leur patron jugeait subversives leurs activités; d'autres avaient abandonné le lycée, l'administration ou leur famille et tous, dans le chaos général, ne connaissaient que la rue Charras. Cette officine avait rapidement une telle renommée que le Consulat des Etats-Unis lui-même, assailli de demandes d'engagements, avait pris l'initiative de me renvoyer les postulants.
Grâce à Monsieur GAVE et aux amis connus auparavant, j'établissais un fichier qui donnait les renseignements habituels : nom, prénom, date de naissance, profession, grade et spécialité militaire, permis de conduire, langues étrangères parlées, etc… Ces fiches devaient servir notamment à retrouver rapidement les amis au cas d'un nouveau "coup dur" dont l'éventualité n'était pas exclue, et même au dire de certains de nos chefs, toujours imminent.

Henri d'ASTIER était tenu au courant par moi de mes projets et des commencements de réalisation. A cette époque là, RIGAULT était chargé de l'intérieur et Henri d'ASTIER jouait plus ou moins officiellement le rôle de sous ministre. Vu sa position et son influence je comptais beaucoup sur lui pour donner à l'organisation naissante de la rue Charras une couverture officielle quelconque: chantiers de jeunesse, ou mieux force supplétive de police, ce qui aurait permis de rester sous le couvert de l'intérieur sans avoir rien de commun avec l'armée dont, comme je l'ai dit plus haut, nous avions tout lieu de nous écarter.
En fait, malgré de nombreuses visites au chef Van HECKE, la solution n'intervenait toujours pas et j'étais pressé de l'autre côté par l'impatience de mes camarades dont quelques uns n'avaient plus de quoi vivre.
Aux environs du 12 novembre, d'ASTIER me présenta au Colonel anglais ANSTRUTHER et à son adjoint le Major THOREANCE,H.L.I.(Highlander Light Infantery= commandos). La première entrevue eut lieu rue Charras et nos amis anglais avaient apporté avec eux une appréciable quantité d'explosifs, de grenades et de mitraillettes ainsi que des munitions. Le tout fut entreposé dans une pièce attenante à mon bureau et gardé par un parisien qui couchait sur place, n'ayant plus de domicile.


Ensuite, vers le 14 novembre, MARNAT, ami de d'ASTIER, fut envoyé par lui pour s'occuper également de ce recrutement, grâce à lui, nous trouvâmes une ferme au cap Matifou, chez Monsieur DEMANGEAT, qui voulut bien mettre à notre disposition une vaste grange-hangard dans laquelle nous pouvions loger 100 hommes.
Les anglais, auxquels j'avais exposé mes projets d'une force française de choc équipée par eux, admirent de me fournir personnellement des armes, des vivres, des vêtements et un équipement simplifié, sans que, en fait, le but ou le type même du corps à équiper soit bien précisé. C'est en vertu de ces accords que l'armement ci-dessous fut touché par moi, directement, sous les palans de l'"Océan Veteran".


Liste des armes à percevoir au "quai de Dakar" à Alger :
C.C. Ordonnance Depot :
Please supply the bearer with the following stocks in accordance with Ist Army orders.
Sten Guns 1000
9m/m ummo 800000
303 Rilles 500
303 S.A.A. 200000
Mills grenades 2000
13 novembre 1942 G.W.A. THOREANCE H.L.I.


Je ne mentionne que pour mémoire les innombrables difficultés matérielles que nous avons rencontrées tant pour le transport des hommes que pour celui de l'armement, les anglais nous ayant dit que pour cela il fallait nous débrouiller nous-mêmes.
J'avais confié le commandement du camp à SABATIER chef aux Compagnons de France, caporal-chef dans l'armée, je l'avais, de ma propre autorité promu au grade de capitaine qui correspondait aux fonctions qu'il avait occupées, à celles qui lui étaient destinées et aux rapports qu'il devait avoir avec les anglais installés à Alger Plage, non loin du camp. SABATIER était assisté de BURES et de LUCAS, que l'on connaît déjà, "promus" par moi caporaux-chefs,ce qui pouvait bien être admis par assimilation à leur grade d'élèves officiers de la Marine Marchande. Ces deux jeunes garçons se montrèrent tout à fait à la hauteur et furent des instructeurs très appréciés des anglais. Le Colonel ANSTRUTHER envoyait tous les jours deux officiers pour faire l'instruction sur les armes anglaises et les explosifs. Un champ de tir fut également installé.
Au début, tout au moins, le personnel du camp fut variable et tous ceux qui pouvaient y passaient trois jours, pour les "bleus", vingt quatre heures pour ceux qui avaient déjà une formation militaire.
Cette manière de procéder qui peut paraître curieuse quand on veut former une troupe militaire était cependant la seule possible puisque je n'avais pas de couverture officielle, ce qui écartait tout de même pas mal de monde, et surtout pas de moyens financiers pour payer les soldes. D'autre part, il ne faut pas oublier que l'hypothèse d'un nouveau coup de main n'était pas exclue et le but du camp était aussi de permettre la formation technique de notre "milice" de même que le bureau de la rue Charras pouvait permettre une mobilisation rapide.

Dès le 9 novembre, il était clair, en effet, que nous, gaullistes, avions été complètement floués dans cette opération, et nous étions bien décidés à ne pas nous laisser faire une autre fois. Mon rôle était donc, comme avant le 8 novembre, de faire profiter Combat des avantages d'une organisation matérielle qui n'en dépendait pas; c'est ainsi notamment qu'un dimanche Monsieur FRADIN et cinquante membres de Combat sont venus faire du tir à Matifou. D'ailleurs, cette organisation ne passait pas inaperçue et , malgré les excellents rapports que j'entretenais avec ACHIARY, chef de la B.S.T. le service de renseignements du Colonel CHRETIEN était à peu près au courant et DARLAN commençait même à s'inquiéter sérieusement.
Notre situation personnelle et notre groupe armé était toujours illégale et révolutionnaire, quand, vers le 17 novembre, le chef Van HECKE me fit appeler et me demanda si je n'avais pas la possibilité de fournir des armes et de les faire envoyer immédiatement aux chantiers de jeunesse de Sbeïtla commandés par à cette époque par le chef MARQUERON.
Actuellement, il paraît à peu près inconcevable que les chantiers de jeunesse, à 700
kilomètres d'Alger, aient dû, par l'intermédiaire de leur commandant en chef, faire appel à un aspirant de réserve pour avoir les armes modernes qui leur permettraient de résister à l'infiltration allemande. En effet, à cette époque là, je pense que nous étions les seuls à posséder l'armement allié, bien avant que la loi prêt-bail ne fut applicable en Afrique du Nord.
Il fut donc convenu que j'enverrai environ 500 mitraillettes Sten et 200 fusils à Sbeïtla. Mais les chantiers de jeunesse se déclarant incapables de fournir ni les camions ni l'escorte nécessaires à cet envoi, il fut décidé que le groupe de Matifou se chargerait de tout, d'accord avec les anglais. Après m'être procuré, au moyen de réquisitions irrégulières, les véhicules qui nous manquaient, je constituai un détachement de 12 hommes et de 3 véhicules commandé par le sous-Lieutenant GOEAU-BRISSONIERE.

Tout ceci semble extrêmement simple et d'une exécution facile, mais au risque de me répéter, je tiens encore à insister sur les difficultés que nous rencontrâmes pour nous procurer ces véhicules, puis pour les faire fonctionner. Nous n'hésitâmes pas à employer tous les moyens, faux-papiers, chantage et intimidation pour avoir nos camionnettes.
Mais ceci n'était que le commencement de nos ennuis car presque tous les moyens de transport routier au mois de novembre 1942, en Afrique du Nord utilisaient l'alcool comme carburant et il fallut adapter les moteurs pour la marche à essence, ceci avec de tous jeunes mécaniciens, adroits et plein de bonne volonté, mais auxquels il manquait les ressources d'un parc de réparation automobile. Le marché civil ne put nous fournir les pièces nécessaires que grâce à l'ingéniosité de chacun. Jamais je n'ai vu une telle entente, un tel esprit d'équipe dans un groupe d'hommes; chacun mettait au service de la communauté tout ce qu'il avait et n'hésitait pas à se compromettre, lui, ses amis et ses relations pour arriver enfin à quelque
chose de grand, pour aboutir à la réalisation d'un but commun : Créer.

Le convoi enfin équipé, il fut possible, grâce à nos alliés anglais, de donner à son chef l'argent nécessaire aux frais du voyage, au moins jusqu'à Constantine où GOEAUBRISSONIERE devait prendre des ordres à l'Etat -Major du Général KOELTZ qui lui indiquerait sa destination finale et la route à prendre. Tout était parfaitement organisé et partout les services du contrôle routier avaient reçu l'ordre de laisser passer ce convoi. Il ne restait donc plus qu'à souhaiter que nos pauvres camionnettes réparées et branlante tiennent le coup jusqu'au bout.

En fait, ce ne fut pas exact, car le jour du départ, n'ayant pas les nouvelles téléphoniques que le convoi devait me donner périodiquement, je partis à sa recherche et le trouvai en panne dans la côte de Ménerville. Une des voitures avait calé dans la montée, puis ses freins ayant lâché, était allée dans le fossé. Heureusement, le chauffeur eut la présence d'esprit de rester au volant et de diriger son véhicule qu'il ne pouvait plus arrêter, du côté opposé au ravin, ce qui est assez courageux, étant donné la nature du chargement.
A Ménerville où nous passions pour canadiens, nous réquisitionnâmes une autre camionnette en remplacement de celle, hors d'usage, que nous laissions à la mairie.
Arrivé à Constantine, le convoi, au lieu d'être envoyé aux Chantiers de Sbeïtla, fut récupéré par le "Spécial Détachement" britannique qui l'amena dans la région de Souk El Khemis.

Les hommes furent également alors incorporés dans ce "Spécial Detachment" (S.P.), sorte de groupe de combat dont les membres pouvaient opérer isolément ou en formation, en civil ou en uniforme, pour l'accomplissement de patrouilles entre les lignes ou pour rechercher le renseignement et opérer des destructions derrière les lignes ennemies.
Ici, je pense qu'il convient de parler du souci que j'ai toujours eu, pendant le temps que je la contrôlais, de conserver à cette formation son caractère spécialement français. C'est ainsi que pour nous distinguer des troupes anglaises, je décidai que nous porterions un rectangle tricolore de la taille d'une boite d'allumettes, cousu sur le bras gauche à une distance égale à la longueur de 3 boites d'allumettes, sous l'épaule. Cet insigne qui sera par la suite adopté par le corps franc d'Afrique, fut crée au moment du départ du convoi GOEAU-BRISSONIERE.

Je pensais que ce premier convoi, qui montrait notre efficacité et qui était la preuve d'une intégration possible dans les chantiers de jeunesse, nous vaudrait au moins la
reconnaissance officielle. Il n'en fut rien et nous attendîmes, en continuant comme ,par le passé, notre entraînement, que soit créée une organisation stable et légale.
Vers le 22 novembre, je fus présenté au Général de GOISLARD de MONSABERT qui devait prendre le commandement d'un corps spécial, genre commando, mais ni le nom, ni la composition n'étaient encore bien précisés. Au cours de notre première entrevue, à mon bureau 7 rue Charras, j'exposais au Général ce que j'avais fait jusqu'à présent et quelles étaient mes idées sur l'avenir. Il me parut être, en principe, d'accord, bien que le but politique de tout cela, à savoir la fusion avec les F.F.L., seules capables de prendre les armes contre l'Allemagne en toute liberté d'esprit, soit resté imprécis.

Puis, nous allâmes au camp de Matifou faire l'inspection et présenter les engagés de la première heure au Général. Il fut alors décidé que le dimanche suivant, nous partirions pour la Tunisie. Le Général emmènerait son aide de camp, le Capitaine de BOISHERAULT, le Colonel FLIPO son adjoint et moi-même.
Nous arrivâmes le deuxième jour à SouK El Khemis où nous eûmes quelque peine à découvrir le camp S.D. qui se trouvait à quelques kilomètres de là, installé dans les bâtiments de la mine de Bir-El-Hallouf, non loin des premières lignes.
Là, nous retrouvâmes des amis connus auparavant à Alger : le Colonel ANSTRUTHER et son adjoint le Major THOREANCE, Monsieur SRINGS, vice-Consul des Etats-Unis à Tunis et directeur politique et financier du S.D.; son adjoint BONFANTI, lieutenant ayant quitté Tunis à la dernière minute après y avoir fait de la résistance au régime de Vichy, les lieutenants BUCQUET et ARGUILLIERE partis de Matifou avec les anglais comme officiers de liaison, peu de temps avant le convoi GOEAU-BRISSONNIERE. Comme troupe, le détachement du S.D.était composé d'une trentaine d'hommes comprenant non seulement ceux venus de Matifou,mais aussi des échappés des zones occupées de Tunisie, avec comme chefs, les lieutenants RAGUENAU et GOEAU-BRISSONNIERE.
Le soir même de son arrivée, le Général les passa en revue et fut assez surpris, en interrogeant les hommes sur leurs origines de constater que la majorité avait été en prison pendant un nombre varié de mois pour "gaullisme", distribution de tracts ou propagande "subversive" : c'était magnifique.
L'objet de cette entrevue était de déterminer l'articulation du S.D. avec le futur corps franc d'Afrique et surtout de régler du point de vue français la situation de ces "militaires" qui s'étaient volontairement mobilisés et qui se trouvaient dans une situation fausse à tous points de vue. Il fut entendu que tous seraient pris en compte par la corps franc et détachés au S.D. qui assurerait leur entretien et le paiement des soldes. Par la suite, cette solution qui semblait simple rencontra des difficultés car les anglais avaient accepté mes nominations et tels qui n'étaient officiellement qu'aspirants avaient là-bas rangs et prérogatives de lieutenants. D'autre part, toujours le même esprit qu'à Matifou animait ces hommes qui ne voulaient à aucun prix retomber sous la coupe de l'armée régulière avec les mesquineries de son intendance.

Au retour nous nous arrêtâmes à Sétif où le Général rencontra le Brigadier Général CLARK de la première armée britannique.

J'assistais à l'entretien qui fut simplement une prise de contact et l'occasion pour le Général de MONTSABERT de se renseigner sur le commandement allié avec lequel il aurait à se mettre en liaison, et sur la possibilité de s'approvisionner en matériel.
On nous dit rapidement que nous ne pouvons pas compter sur une aide anglaise pour tout ce qui concernait les moyens de transport déjà insuffisant pour l'armée britannique seule.
La question de l'armement léger individuel et l'équipement approprié ainsi que celle de l'habillement semblaient plus facile à résoudre dans un bref délai.
C'est ici que l'on peut véritablement placer la naissance du Corps Franc d'Afrique.
Pour commencer, par une question de détail, certes, mais révélatrice d'un état d'esprit, il faut savoir que le Général GIRAUD obligea le Corps Franc à s'habiller avec la tenue traditionnelle française, ce qui choqua beaucoup les jeunes pour qui, malgré tout, le désir de ne pas être tout le monde avait une certaine valeur. Il était cependant bien évident que l'Armée Française aurait par la suite besoin de l'habillement allié; d'ailleurs, le mesure fur rapportée plus tard au moment où le Corps Franc fut engagé aux côtés de la Première Armée.

A Matifou aussi, le régime anglais du beurre, des biscuits et du thé cessa pour faire place à la roulante et aux lentilles. Cela eut un gros effet sur le moral des recrues de la première heure, et même des autres qui ne s'attendaient pas à cela. D'autre part, les restrictions de recrutement apportées au Corps Franc amenèrent dès le début, des erreurs dans les nominations et on fit venir, pour commander le camp, des officiers ayant largement dépassé l'âge de la retraite.
D'une manière générale, il faut reconnaître que, contrairement à ce que nous souhaitions,le Corps Franc ne fut pas la constitution de ce que mes camarades et moi avions projeté. En effet, le Corps Franc fut autorisé à recruter, en dehors des hommes mobilisés et en dehors des corps de troupe; cette limitation rendait difficile l'encadrement en obligeant à faire appel à des officiers ayant dépassé la limite d'âge ou aux engagés, primitivement requis civils. D'autre part, le Général de Brigade de MONTSABERT voulait avoir des effectifs dignes de lui et les engager rapidement sur le front, alors que nous voulions un corps nouveau, peu nombreux, bien entraîné et aux cadres jeunes, auxquels nous avions gardé l'esprit révolutionnaire, de lutte contre l'occupation sous toutes ses formes.
Le Corps Franc rencontrait, un peu partout, dans les hautes sphères dirigeantes, une hostilité sourde et, n'ayant pu empêcher sa création, entravait délibérément sa formation en ne lui laissant comme recrutement possible que des éléments de qualité inférieure. Seules les unités du début, comme la première compagnie avec le courageux et glorieux sous-Lieutenant TILLY, un des membres de la résistance à Alger, avaient l'esprit et la tenue que nous voulions.
Ainsi donc, le Corps Franc n'était pas ce commando rêvé qui nous avait tous passionnés, mais simplement une unité légère, un bataillon de chasseurs, avec des éléments emboîtés les uns dans les autres, qui le destinaient aux manoeuvres d'ensemble du type le plus classique.

Notre rêve d'une guerre ressemblant à la révolte, d'une guerre de "gangster" était irréalisable. Je conseillais alors à mes camarades, marins, artilleurs ou conducteurs de char, de rester dans leur arme où leurs connaissances techniques seraient plus utiles.

Relu et corrigé le 19 juillet 2002 conforme à l’original B.Pauphilet

Attestation prouvant que B.Pauphilet est employé par la direction des carburants et qu’il est le porteur du bon de livraison d’armes écrit au dos d’ un papier de récupération (PJ2)

 

 

Commentaires 

 

1. gozlan lucien Mer 03 Oct 2012
Monsieur PAUPHILET bonjour,
Je vous remercie infiniment d avoir eu l'amabilite de confier au site de Moriel Israel ces beaux temoignages sur votre engagement personnel dans la resistance contre l Allememagne nazie et le pouvoir collaborationiste du Gouvernement de PETAIN.
Dans un devoir de memoire, nous allons essayer de raconter la veritable histoire de votre engagement personnel dans la nuit du 8 novembre 1942 dans ' Operation TORCH, et de votre mission pour investir la Villa des Oliviers a El Biar sur les hauteurs d Alger, afin de neutraliser le Commandant en chef des forces terrestres en AFN le general JUIN ainsi que le dauphin du Marechal PETAIN, l Amiral DARLAN.
Honneurs a votre courage au depend de votre propre vie.

 

Témoignage de Madame Raya-Ginette KARSENTY , sœur de Bernard KARSENTY et cousine de José ABOULKER
 Recueilli par Lucien GOZLAN
C’est le jeudi 22 aout 2013 que nous avons convenu avec Didier NEBOT une rencontre avec Madame Raya-Ginette KARSENTY a son domicile parisien. Elle nous a fixé une heure, 12 heures 30.Le matin c était le rendez vous avec Monsieur Gérard ROOL.
L accueil est chaleureux je ne la connais pas, Didier non plus.
Raya-Ginette est une petite dame, elle nous fait entrer. Elle a un large sourire sur un visage encore jeune. Je me présente :"Lucien GOZLAN et voilà monsieur Didier NEBOT qui est le président de MORIAL.

Didier marque un temps d'arrêt et encore la main dans la main lui dit ;"J'ai l'impression de connaitre votre visage, on a dû se rencontrer dans une manifestation, certainement?"
Raya-Ginette nous fait entrer dans le salon, elle nous a préparé une petite collation. C est gentil, nous sommes touchés par son accueil. Raya sourit tres facilement.
Je lui fais un bref rappel de nos premiers contacts téléphoniques. Je devais absolument la connaitre avant de redescendre sur la Provence et de retourner ensuite chez moi en Israël. J'ai apporté avec moi un caméscope que j ai acheté à la hâte pour filmer mes témoignages mais, avec l’enregistrement de monsieur ROOL, j ai vidé la carte. Je ne sais pas encore utiliser ces nouveaux moyens de communications, je suis encore profane.
Alors pour garder un nouveau témoignage, j'ai aussi la tablette et je peux filmer Raya qui nous raconte sa présence a Alger.

Elle est native d'ORAN, sa mère est une fille BENICHOU, une grande famille d'ORAN, sa mère et la mère de Jose ABOULKER sont sœurs.

Elle a une longue histoire a nous raconter. Puis, elle nous raconte le soir du 7 au 8 novembre : c’est elle qui a la mission d’ouvrir lorsque l’on sonne a la porte de José ou alors si le téléphone sonne, c’est elle qui répond aux appels.
Pour faire entrer la personne qui se présente à la porte de son oncle, le docteur Henri ABOULKER, il faut qu’il donne le mot de passe, Il doit dire "Wisky..!!" et elle répond "Soda..!!" et la personne passe dans la chambre de José. Il y a le Lt Colonel Jousse, le capitaine PILLAFORT, Henri d Astier de La Vigerie, le consul MURPHY, le vice consul KNIGHT, les chefs de groupe. Ils reçoivent leurs missions, Jose remet les brassards.

Et puis dans son récit, elle passe a un autre moment qui a suivi l’exécution de l’amiral DARLAN, Son oncle et son cousin germain ont été arrêté. Il y a également son frère Bernard KARSENTY qui vient de s’évader de sa capture par les forces vichyssoises du General GIRAUD. Elle marche dans la rue d Isly et elle croise le regard de son frere Bernard qui est dans le tram, son visage colle a la vitre, elle lève les yeux machinalement en direction de cette vitre et croise le regard de son frère. Il saisit cette opportunité inattendue, lui demande par geste de le retrouver au prochain arrêt.Tout en feignant ne pas se connaître, il lui déclare qu’il a été arrêté, qu’il vient de s’évader et qu’elle doit immédiatement prévenir un contact anglais pour qu’il puisse être mis au secret avant d’être évacué en dehors de l’Algérie. Cette aventure est racontée dans son livre "Pour ‘l Amour de Vous".
Raya nous offre son livre, elle place une dédicace pour chacun de nous deux, elle nous demande de lui signer son livre d or.
Nous plaçons notre ressenti, la rencontre se termine, elle a été très enrichissante.
Nous lui avons promis une invitation pour la commémoration du 70 eme anniversaire du rétablissement du décret CREMIEUX pour les Juifs d Algérie le 20 octobre 2013 au centre communautaire de Paris. Elle devrait présenter son livre composé de 70 récits...


Lucien GOZLAN.
Madame Raya-Ginette KARSENTY nous a communiqué ces documents que nous reproduisons ici.



Première de couverture du livre "Pour l'amour de vous"


Carte de l'association des Anciens de la 1ère Division Française Libre


Attestation de Roger Carcassonne concernant les actions de Raya-Ginette KARSENTY



Attestation de Bernard KARSENTY sur les actions de resistance de sa soeur
 

Témoignage de Michèle Gozlan sur son père Jean Gozlan, propos recueilliq par Lucien Gozlan

Jean Gozlan : avant dernier d’une famille de 5 enfants : René (père de Jacqueline ), Julien, Léa, Jean, Paul.

Jean né à Alger le 10 septembre 1914, est décédé à Paris 15ème le 2 octobre 1977 d’une crise cardiaque ( 3ème infarctus). Il était chirurgien dentiste au 1 rue d’Isly à Alger jusqu’en 1957., puis au 57 avenue d’Italie Paris 13ème.

Il a été incorporé dans l’armée d'active à

la déclaration de guerre en septembre 1939, Pendant la débâcle sur l offensive allemande, il est fait prisonnier et regroupé au camp de Bône La Rolande dans la région de Troie dans le Loiret en 1940.

Jean Gozlan n est pas bien grand, (1m 55) ce qui lui sera un atout favorable lors de son évasion spectaculaire de ce camp de prisonniers français. Petit, il sera dissimule dans un sac postal et pourra s’évader hors du camp alors que ses compagnons de captivité étaient déplacés dans des convois ferroviaires vers l’ Europe centrale et parqués pour certains dans des camps de concentration.

A l’armistice de juin 40, et de retour a Alger, avec le grade d officier subalterne, il s engage auprès des fondateurs de la Resistance juive , Emile ATLAN, Andre TEMIME, Charles BOUCHARA a la salle Géo GRAS, il est la 4eme personne qui sera active dans le rassemblement et l organisation des groupes d’auto-défense de la salle de sport de la rue Juba a la place du gouvernement.

C est au coté de Jean DREYFUS et entouré d’une bonne douzaine de résistants qu’ il occupe et neutralise la Grande Poste d Alger à 1 heure du matin dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942, les armes a la main et au risque et péril de sa propre vie. Il prendra le commandement de son groupe d’action au décès du Lt DREYFUS.

Réincorporé dans le service actif en 1943, il fera campagne dans plusieurs régions de la France Libérée.

 

Voici les documents que nous a communiqués Michele Gozlan conernant les actions de son père:

 

 

 

     

 

Commentaires 

 

1. gozlan lucien Dim 01 Déc 2013

Merci Michele GOZLAN pour nous avoir envoyer toutes ces photos et toutes les decorations de votre papa. Il y a aussi sa carte d adhesion a l Association de la Liberation de la France du 8 novembre 1942. Temoignage important de sa participation au plus Haut Fait de la RESISTANCE en France pendant la 2eme guerre mondiale.
Dans de nombreux recits dont j ai pris connaissance depuis maintenant 3 annees, on parle beaucoup de tous ces "Resistants" qui dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942 ont pris les armes, au risque et peril de leur propre vie pour aider les Allies a debarquer a Alger.
Michele GOZLAN, le Conseil National de la Resistance en France (CNR) n a jamais reconnu le 8 novembre comme un acte de resistance..?????
Votre papa etait avec son frere Julien au cote du Lt DREYFUS qui malheureusement pour lui, a ete tue d une balle dans le dos par l adjudant CONSTANT, alors qu il venait de parlementer avec un officier du 5eme chasseur, pour la reddition de son occupation de la grande poste d Alger.
Ce sous officier avait ete decore pour cette "action courageuse".???
Et puis il y a eu les "evenements d'Algerie", les assassinats des "insurges du 8 novembre 1942, celui de monsieur Fernand AICH suivi de celui de monsieur Emile ATLAN 2 semaines plus tard, alors votre papa a ete prevenu qu il devait s exiler sur la France, le FLN avait etabli une liste d hommes a abattre pour avertir tous les composants de la salle Geo Gras de s abstenir d essayer de recomposer des groupes d auto-defense contre la revolution algerienne en marche vers son independance.
Merci d avoir place ce temoignage en memoire a votre papa, un jour nous rendrons Hommage a tous ces heros afin qu ils ne soient plus les Oublies du 8 novembre 1942 a Alger.
Gozlan Lucien (homonyme de votre patronyme). 

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