Imprimer
Affichages : 4310

A consulter la copie du livret militaire de mon père, Léon Dahan, on imagine à peine ce que peut- être la jeunesse d'un homme marié, tailleur de son métier, et la vie de son foyer puisqu'il était alors le papa d'un jeune bébé de 20 mois.

Copie partielle du livret militaire de Léon Dahan

De la classe 39, appelé sous les drapeaux le 27 novembre 1939 il fut définitivement démobilisé par une commission de réforme le 20 février 1945.

Les démobilisations et remobilisations se succédèrent durant cette période de la guerre, ce qui en traduisait bien les tourments politiques et les revers militaires.

Cliquer sur l'image pour l'agrandir

 

Combien de fois plus tard, lors des dîners shabbatiques qui se poursuivaient bien tard, ne nous a-t-il pas raconté  "ses histoires de l'armée", comme disait notre maman. 

Mais parmi tous les souvenirs qu'il évoquait, il rapportait le plus souvent ses longues nuits de garde dans le port d'Alger à l'Amirauté, les bombardements, ses escapades, la faim et la soif, ses fausses permissions pour rejoindre son foyer, des anecdotes plus ou moins drôles, mais aussi, il s'attardait  plus rarement sur son séjour dans le camp de Bedeau.

Je n'ai pas retenu les dates précises de ces mois de calvaire, mais en consultant un bref résumé de ses états de service, tels qu'ils sont transcrits sur un duplicata de son livret militaire, il a du y séjourner entre le mois de février 1942 et le mois de juillet 1943. Il ne figure curieusement aucune indication sur son séjour dans le camp de Bedeau si ce n'est la mention "affecté au 1er Zouaves, arrivé au corps le 26.11.42, affecté au 19ème COA (?...) a/c du 1.7.43 " . Mon frère ainé me dit que notre père aurait été interné dans ce camp durant 8 à 9 mois, ce qui semblerait correspondre à cette période, d'autant qu'on le voit portant son bonnet de zouave sur les photos.

Léon Dahan se trouve à droite

Mon frère et moi avons rassemblé nos souvenirs pour vous faire part de notre témoignage. Notre père était un homme dur à la tâche, il commença à travailler dès l'âge de neuf ans comme apprenti-culottier, et à 11 ans il rapportait sa paie pour aider à nourrir une nombreuse fratrie. Pratiquant la boxe depuis son jeune âge, il était plutôt mince mais très résistant.

 

Le camp de Bedeau le transforma bien vite dès les premières semaines, en loque humaine. Il fut pris en grippe dès son arrivée par un officier de la Légion étrangère, de nationalité allemande. Humilié, puni, dormant à même le sol, il connut l'isolement, la faim, la soif et le manque de sommeil. Muni d'une badine cet officier savait se faire obéir. Il avait à assurer comme ses compagnons de pénibles travaux très physiques : le terrassement de routes, il passait ses journées à "casser de la caillasse ".

Au bout de quelques semaines de ce régime, il ne pesait que 42 kgs. Ses camarades le soutenaient moralement, comme certaines personnes de notre communauté dont j'ai oublié le nom, mais il en est une dont je me souviens c'est le Docteur Teboul, dont je parlerai plus tard. Devant son état de faiblesse, ses copains se confièrent à un officier français, le Capitaine Blanc, plus amène, qui comprit en voyant notre père la gravité de son état.

Cet homme - là eut l'humanité de lui réserver un travail moins physique et sut utiliser les compétences de mon père, qu'il savait tailleur. Il lui donna ainsi des travaux de couture (costumes civils et tenues militaires à retailler, etc...)

A gauche de la photo, Léon Dahan est accroupiEt en même temps pour faciliter et accélérer sa convalescence il écrivit à notre maman pour qu'elle vienne vivre avec mon frère et moi près de mon père, durant quelque temps.

Nous habitions alors Alger, à Bab el Oued, près de ma grand-mère qui avait notre charge pendant que mon père était militaire. Aux dires de mon frère, alors âgé de cinq ans, nous sommes restés plusieurs mois à Bedeau, j'avais alors près de deux ans. Nous étions logés dans une petite dépendance sans électricité, dans un corps d'habitation rurale, proche du camp. Notre maman nous disait que c'est grâce à cette nouvelle vie que mon père put reprendre ses forces, il avait eu l'autorisation de diner et de nous voir souvent. Ce fut aussi une épreuve pour notre maman qui était seule avec deux jeunes enfants, dans des conditions de confort difficiles..

Le Docteur Teboul ouvrit son cabinet, par le plus grand des hasards, tout près de notre domicile à Paris, bien des années plus tard...

Son visage est la première image dont je me souviens ; en effet, lors de notre retour de Bedeau à Alger, il nous accompagna et durant le voyage il nous soigna les yeux en nous instillant des gouttes, c'est de lui donc, dont j'ai gardé l'image.

Mon père garda de sérieuses séquelles de cette période douloureuse, puisqu'il fut réformé en février 1945. 

Témoignage dicté et signé par Léon Dahan sur son séjour dans le camp de Bedeau, en Algérie, durant la guerre 39-45.  (Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

 

                          

Le Capitaine Blanc fut pour lui son sauveur, il le dit et je voulais aussi aujourd'hui, rendre hommage à cet homme.  
 

P.S. Je voudrais faire remarquer sur son livret militaire (voir ce document),  le silence du 2ème Bureau de Recrutement d’Alger,  concernant le séjour de mon père, Léon Dahan, dans le  camp d’internement de Bedeau du  5 mars 1941 au 16 octobre 1942, soit durant 20 mois…plus

d’un an et demi !

En effet il y est mentionné pour cette période : «Affecté au 2ème RCA Mascara le 5.3.41. RDC le 24.3.41. Affecté au 2ème Zouaves RDC du 2ème RCA le 1.2.42. Démobilisé par le GTA le 16.10.42 et renvoyé dans ses foyers. RDC le dit jour se retire à Alger 70 avenue de la Bouzareah. Alger. Rappelé à l’activité le 26.11.42… »

Curieuse retranscription de la réalité…Aucune mention de son internement…Cette impéritie des autorités militaires datant du 8 septembre 1951, date de la rédaction des différentes périodes d’exercice montre bien, 6 ans après la fin de la guerre, la prudence et le silence observés concernant la période de Vichy et les mesures discriminatoires prises à l’égard des soldats français de confession juive.