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Bienvenue sur le site de l’association MORIAL

Notre objectif : sauvegarder et transmettre la mémoire culturelle et traditionnelle des Juifs d'Algérie. Vous pouvez nous adresser des témoignages vidéo et audio, des photos, des documents, des souvenirs, des récits, etc...  Notre adresse

 e-mail : morechet@morial.fr -  lescollecteursdememoire@morial.fr

L’ensemble de la base de données que nous constituons sera  régulièrement enrichie par ce travail continu de collecte auquel, nous espérons, vous participerez activement.  L'intégralité du site de Morial sera déposée au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) à Paris, pour une conservation pérenne .

Tlemcen, le kiosque à musique au centre ville
Médéa : rue Gambetta (1945)
Alger : rue d'Isly (1930)
Une oasis à Ouargla (Territoire du Sud algérien)
La Grande Poste d'Alger (Photo J.P. Stora)
Square Bresson
Lycée E.-F. GAUTIER D'ALGER
Service Alger - Bouzareah
Alger : le marché de la place de Chartres
MEDEA - Le Café de la Bourse
Guyotville - La Plage

Nous faisons tous des gestes dont nous ne connaissons nullement la ou les raisons. Voici des questions auxquelles nous apportons des réponses.

Par Caroline Elishéva REBOUH

 

POURQUOI EMBRASSONS-NOUS LA MEZOUZA 

En entrant et en sortant d’une maison, on embrasse la mezouza et peu importe si on est religieux ou pas. Que symbolise ce geste ?  Répond-il à une obligation religieuse ? Est-ce important ou bien est-ce un signe de dévotion et – pour certains – une exagération à la limite d’un TOC ? Nous allons tenter d’apporter une réponse :

La première "mezouza" si l’on peut dire est le signe fait  avec le sang de l’agneau abattu dont nous avons badigeonné les linteaux de nos portes (avec quelques brins de lavande ou hysope)  à la veille de la sortie d’Egypte.

Par la suite, la Torah stipule que nous devons mettre une mezouza et, au dos du parchemin sur lequel sont inscrits certains versets de la Torah, sont inscrites 3 lettres formant l’un des noms de D. Ce nom est SHA-DAY que souvent les mères juives prononcent en cas de danger imminent.

Ce nom SHINE-DALETH-YOUD est aussi symbolisé par nos doigts que nous portons à nos yeux lors de la récitation du « credo » juif : SHEMA ISRAEL. En effet, en positionnant le pouce sur l’œil droit clos (daleth) et l’auriculaire (le petit doigt) sur l’œil gauche clos (youd), les trois doigts index-majeur-annulaire sur le front (shine), nous formons le mot SHA-DAY.

Certains commentent ce nom comme s’il s’agissait d’un sigle : SHA (shéamar = qui a dit) DAY (day=assez) d’autres commentent différemment : Shine = initiale du mot SHOMER= gardien Daleth = DELATOT = portes ; Youd = Israël et donc : SH-DAY = Shomer delatot Israël = Gardien des portes d’Israël.

Ces deux commentaires sont exacts car lorsque D a créé le monde à un certain stade IL a dit aux éléments : DAY : cela suffit. Pour imposer une limite à l’homme en toutes choses.

Gardien des portes d’Israël c’est aussi pour demander en entrant ou en sortant d’une maison, que SHA-DAY protège Sa créature  et qu’IL la sauve dans Sa miséricorde.

 

POURQUOI FAIRE LA CIRCONCISION ? (BRITH MILA)

Rabbi Akiva, qui vivait à l’époque où les Romains et leur empire étaient puissants, a un jour était pressé de répondre à une question très simple au demeurant mais en fait extrêmement dangereuse pour qui n’eut pas su y répondre : l’empereur romain somma le célèbre talmudiste de répondre à la question  de savoir si le monde créé par D est parfait ? Rabbi Akiva répondit : Non. Pourquoi ?

Car dit-il, lorsque du blé pousse de la terre, il n’est pas possible de le consommer tel quel, l’homme doit le moudre pour en faire du pain ou le cuisiner pour pouvoir le manger.  

En conséquence, l’homme possède un rôle dans la création. Le romain poursuivit ses questions : pourquoi D a-t-IL créé l’homme avec un prépuce alors qu’IL lui demande ensuite de le retrancher ?  Rabbi Akiva expliqua les choses ainsi : Lorsque deux parties scellent un accord entre elles, il leur faut signer sur un document et cet accord est révocable à n’importe quel moment. Lorsque D scelle une alliance avec Son peuple,  cet accord est irrévocable car il est scellé sur la chair-même de l’homme, non seulement en retranchant le prépuce mais encore en retroussant ce prépuce autour du membre viril qui demeure caché.

Ce signe constituera une marque indélébile sur la chair de l’homme. Cette marque rappellera à chaque instant à l’homme qu’il doit user de sa volonté pour devenir un être vertueux tel que le fut Yossef fils de Jacob lorsqu’il sut garder ses distances avec la femme de Putifar en Egypte et qu’il sut dominer ses instincts et franchir des degrés supérieurs de spiritualité. D’ailleurs, il existe des cas où le garçon naît déjà circoncis et il s’agit d’êtres d’exception comme le fut Moïse.

La circoncision se pratique lorsque le bébé est âgé de 8 jours seulement car c’est un âge où la raison n’intervient pas ; et cet acte est exécuté sur un membre qui reste discret et dont la fonction de reproduction devrait toujours être empreint de sainteté et de pureté.

 

POURQUOI RACHETE T ON LE PREMIER NE ET COMMENT SE FAIT LE RACHAT ?

C’est un commandement de la Torah qui demande qu’un nouveau-né mâle d’un être humain ou d’un animal soit  "racheté" au moyen de 5 pièces d’argent  (Exode –shemot- XIII, versets 2 et 13).

Si la mère de l’enfant est juive, et qu’elle n’appartienne ni à une famille de Cohen ou de Lévy et, si le père n’est ni Cohen ni Lévy, l’enfant doit être « racheté » à un Cohen, à condition également que l’accouchement ait été naturel et sans intervention chirurgicale (césarienne, forceps ou autre) et que cette naissance soit la première de cette mère sans qu’elle n’ait eu à déplorer aucune fausse-couche ou avortement avant cette naissance. Il convient d’insister sur le fait qu’il s’agisse du premier-né de la mère et non du père ! Ainsi Jacob notre Patriarche a eu 4 premiers-nés !

 Le Pidyon haben doit s’effectuer le 31ème jour (sauf si le 31ème jour est un shabbat auquel cas le pidyone est repoussé d’un jour) après la naissance du bébé même si la circoncision n’a pas eu lieu pour des raisons de santé car, passé ce délai, l’enfant atteignant l’âge adulte devra se « racheter » lui-même auprès d’un cohen.

Il est d’usage d’offrir un repas au début duquel on fera motsi (bénédiction sur le pain). L’importance de cette cérémonie et du repas qui l’accompagne est telle que le seul fait d’avoir consommé le « motsi » absout une personne de l’observation de 84 jeûnes (sauf yom kippour bien entendu).

POURQUOI FAUT-IL FAIRE CE RACHAT AUPRES D’UN COHEN ?

Il existe en fait deux raisons essentielles en dehors du commandement du livre de shemot : la première est qu’au début, chaque premier-né devait être consacré comme prêtre (cohen) mais lorsque D enjoignit Moïse de descendre du Mont Sinaï pour voir ce qui se passait en bas (le faute du veau d’or) et que le grand prophète demanda au peuple de choisir, seuls les Léviim se regroupèrent autour de Moïse pour signifier leur choix délibéré de suivre la voie de D.

A la suite de cet acte de foi, D décréta que la prêtrise (Kehouna) ne serait attribuée et mise en pratique qu’aux membres de la tribu de Lévi. 

Il y a, dans cette mitsva, un lien très fort avec la dixième plaie d’Egypte où les premiers nés égyptiens trouvèrent la mort alors que les premiers nés hébreux furent sauvés par le sang du sacrifice pascal badigeonné sur les linteaux des portes des logis des esclaves hébreux.

 

POURQUOI FAUT-IL RACHETER LE PREMIER NE D’UNE ANESSE ?

Il s’agit pour ceci encore d’une mitsva de la Torah qui demande que le premier-né d’une bête impure soit racheté ou qu’il soit abattu et enterré (Shemot/Exode XIII, 13). Le fils de l’homme est racheté par des pièces d’argent tandis que le petit de l’âne est racheté par un agneau.

L’âne est considéré comme un « bien » mobilier destiné à transporter des charges il est donc précieux pour son propriétaire. Cette cérémonie est assez rare.

POURQUOI  EST-IL INTERDIT DE MANGER DES LAITAGES AVEC DU POULET 

Les personnes qui posent la question réfutent le fait que les volailles n’ont pas de lait et qu’en conséquence, « ne pas cuire le veau dans le lait de sa mère » ne devrait pas s’appliquer aux volailles. En fait, il s’agit ici du « mar’ite âyine » (de ce que l’œil voit). La volaille est abattue selon les règles de la shéhita (abattage rituel) et ensuite, la volaille est salée et rincée tout comme la viande provenant de menu ou gros bétail. De plus, on parle de VIANDE de volaille et l’aspect d’un plat à base de volaille de veau ou de bœuf ou d’agneau peut être le même. Il est donc interdit de consommer les deux aliments mélangés.

POURQUOI MANGER  DES LAITAGES AVEC DU POISSON 

On propose souvent du saumon avec de la crème fraîche ou une pizza avec thon et fromage. Pourquoi est-il interdit de manger ces deux aliments ensemble ? Pourquoi, encore, est-ce interdit aux Sefaradim alors que c’est permis pour les Ashkenazes ?

Les rabbins et possekim Sefaradim prétendaient que mélanger poisson et laitages pouvait engendrer certaines maladies dangereuses, bien que dans le Shoulhan Aroukh de R’ Yossef Caro (Yoré Déâ 87, 3) il est écrit très clairement qu’il est permis de manger poisson et laitages mélangés. En définitive, aujourd’hui chacun se conformera à l’avis de son Rav mais il faut savoir tout de même que de nombreux rabbanim sefaradim qui optent pour l’avis du Rav Dov Lior : « De nos jours, il n’y a aucun problème ni danger à consommer poissons et laitages ensemble et ceci est valable pour toutes les communautés ».

 

POURQUOI PREPARER ET MANGER UN PLAT A BASE DE VIANDE ET DE POISSON 

Le Shoulhan Aroukh énonce le principe suivant très laconiquement : « consommer poisson et viande en même temps est très dangereux (dur) pour la lèpre ».

Il est certain qu’un esprit « scientifique » ne se satisfera pas d’une telle réponse en opposant dans son raisonnement qu’aujourd’hui la science et la médecine ont fait tant de progrès que l’on ne peut se contenter ou accepter une telle raison. Cependant cet aspect de la halakha reste sans appel car, il est absolument interdit de cuire en même temps et donc de manger un mets dans la composition duquel entrent poissons et viande. Cette halakha nous est aussi incompréhensible que certaines autres mais nous devons l’accepter pour montrer notre attachement et notre soumission aux commandements de la Torah !

Il est donc important de ne pas utiliser les mêmes assiettes ou les mêmes couverts pour manger même successivement et non pas en même temps poisson et viande et même en les consommant séparément au cours du même repas, il convient (pour ceux qui ont touché le poisson avec les doigts) de se laver les mains entre poisson et viande, de manger quelque chose entre l’un et l’autre (pain ou salades) et même de se rincer la bouche en buvant une gorgée d’une boisson ou d’un breuvage quelconque.

Les ustensiles de cuisson sont les mêmes que d’ordinaire : il ne faut pas nécessairement disposer de marmites spéciales et réservées à la cuisson du poisson.

Maïmonide préconisant de servir les aliments du plus léger au plus lourd, il faudra présenter, en conséquence les salades, le poisson, puis la ou les viandes avec leurs accompagnements.

 

 

 

 

 

Caroline Elisheva REBOUH

Les chiffres nous offrent parfois des clins d'œil très sympathiques. Voici un exemple.

Les Dix paroles ont été données sur ce que l'on nomme les TABLES DE LA LOI et ces paroles sont disposées en deux "colonnes" de 5 paroles :

- celles qui représentent nos relations vis-à-vis du Créateur et

- celles vis-à-vis de nos semblables.

Je vous propose ce petit exercice :

Les 613 Mitsvot sont représentées ou concentrées dans les dix paroles, si nous ajoutons 6+1+3 = 10

Ces 613 commandements sont divisés en

- 248 commandements positifs soit 248 membres du corps humain et

- 365 commandements négatifs représentant les vaisseaux sanguins, qui d'après Rabbi Simlaï correspondant aux 365 jours de l'année (allusion au fait que nous devrions nous astreindre chaque jour à observer au moins un commandement)).

Décortiquons :

248 = 2+4+8 = 14 et 14 = 1+4= 5

365 = 3+6+5 = 14 et 14= 1+4 = 5 

5 + 5 = 10

C'est-à-dire que nous retrouvons les deux tables de 5 commandements mais qu'est ce que 14 ? C'est la valeur numérique du mot yad = main.

Ou, si vous préférez les mots : en observant les 613 mitsvoth  c'est un peu comme si HaShem étend ses deux mains pour bénir Ses créatures !!!

Par Simon Darmon

En Algérie, Tou Bichvat était l’occasion pour les riches et les notables d'inviter les fidèles de la Communauté, de la synagogue, à venir participer à une réception au cours de laquelle on chantait des Piyoutim,  on écoutait des commentaires de la Tora en rapport avec l'événement, mais surtout on mangeait et on consommait  des fruits de toutes sortes après avoir récité les bénédictions d'usage.

A la fin de la réception, le rabbin bénissait l’hôte et sa famille puis tous les fidèles présents. Après cela, chacun rentrait  chez soi en emportant un petit sachet contenant fruits secs et gâteaux. 
Chevat est le mois qui marque les premiers signes du printemps au beau milieu de l'hiver.

Par Caroline Elishéva Rebouh

A Alger, où nous étions très francisés, et où notre éducation juive laissait beaucoup à désirer, nous ne disions pas "matsot" qui à l’extrême rigueur était un mot prononcé "messoth" par des personnes qui avaient des réminiscences de ce qu’ils avaient appris à "l’Alliance".

On ne disait pas non plus "pain azyme" mais tout simplement "la galette" on allait acheter la galette, on trempait la galette et on ne supportait pas la galette.

Par le professeur Albert Bensoussan

À Huguette Bouanich qui a le visage de ma famille

Le soleil s'était levé sur la Bretagne, et la chaleur entrait par tous les pores. L'envie m'est venue, alors, de boire une anisette. Comme nous le faisions au pays où, dans le Sud démuni, chacun se débrouillait avec l'alcool et l'anéthol pour fabriquer la boisson féérique.

Au souk de Djelfa, les jours de marché, Bahé (qui est Abraham, Brahim chez les Mozabites) étendait une natte sur le sable et y disposait trois objets : un davier, un gobelet, une bouteille d'anisette (par ses soins concoctée). Puis le chaland (le fellah, bref) s'approchait en se tenant la joue ; le mire mirifique le faisait asseoir en tailleur sur la natte, écartait délicatement ses lèvres, tâtait d'un doigt la tumeur, la rougeur, la douleur, puis babata disait-il pour qu'il ouvre grand la bouche, et saisissant le davier à deux doigts sûrs il déracinait en un tour de main la dent coupable. Après quoi il remplissait le gobelet de cette mahyia, disait-il (littéralement "eau-de-vie", aux vertus curatives donc) qui tout à la fois apaisait la douleur, cicatrisait la plaie et apportait au contrit une bienfaisante douceur. Pour tout le monde, musulmans ou juifs, l'anisette n'était rien d'autre qu'un médicament. Une drogue, bref, qui vient de l'arabe drâwa.

Moi, tout le temps des vacances j'accompagnais le vieux Bahé sur la scène de son officine, et contemplais sa potion magique qui, dans toute mon Algérie juive, avait droit de cité.

Et d'abord parce que Lalla Sultana, ma grand-mère, était guérisseuse sur le plateau tlemcénien. Elle opérait au moyen de fers en longues tiges avec lesquels elle cautérisait de diverses manières – la médecine médiévale, aux mains des Juifs et des Arabes, comptait quatre-vingt-dix sortes de cautère – en les faisant rougir sur la braise du kanoun, puis, enveloppés dans des linges immaculés, les appliquait aux ganglions lymphatiques, sous les bras et à l'aine ; et cela suffisait à chasser le jaune des yeux, la boule au ventre, la fièvre aux tempes, la mollesse aux tripes.

La mère de ma mère avait la main magique. Elle maniait les herbes qu'elle allait cueillir sur les pentes de Bné-Ouarsous, là-même où Messaoud, mon grand-père, faisait paître ses moutons qu'une fois l'an Ima Aïcha (maman, bref) menait à la tonte pour ramener à sa mère toute la laine dont elle saurait tisser couvertures et tapis. La guérisseuse gardait la recette – ancestrale – de toutes les potions magiques, de tous les emplâtres curatifs, des cataplasmes auxquels nul phlegmon, nul ulcère (variqueux), nul furoncle, nul abcès ne pouvaient résister.

L'huile d'olive aussi était miraculeuse : pour l'essentiel, chaude et en massage, appliquée lentement de chaque côté du cou, elle faisait remonter les amygdales et disparaître toute angine. Ce n'était que douceur, à l'inverse de l'essence de térébenthine dont on frottait le dos de tout catarrheux, et cela cuisait si fort qu'il fallait tout aussitôt apaiser la brûlure à coups de talc. L'anisette aussi, élixir ou thériaque, était sollicité, notamment pour les maux de ventre : il fallait en boire une bonne gorgée, cul sec, et de plus Lalla Sultana frictionnait en douceur le ventre pris de coliques. Oui, la main de Lalla était magique.

Maman n'avait pas hérité de ses dons – par exemple, elle était incapable de faire venir un garçon à la femme enceinte qui exhibait son gros ventre nu allongée sur le moelleux tapis de Tlemcen (j'étais si gosse qu'on me laissait vaquer dans la chambre, mais mon regard, lui, était une fidèle cellule photo-électrique.

J'ai aussi de vifs souvenirs du hammam des femmes où maman me traîna jusqu'à l'âge de dix ans : j'en reparlerai un jour) : la future accouchée, donc, tenait absolument à donner à son mari le descendant mâle qui, seul, ferait l'orgueil de la famille et de sa lignée – c'est pourquoi la naissance de la petite Aïcha, ma mère, qui était le second enfant, juste après Mariem, sa sœur aînée, déclencha un flot de larmes dans le cercle de famille, passons.

Lalla introduisait son index droit dans le creux de l'ombilic, puis tournait sept fois autour de la prochaine parturiente en récitant quelque invocation ; prodige d'équilibre ou figure chorégraphique, ma grand-mère, le doigt toujours enfoncé au centre du bedon (du ballon, disait l’esprit vulgaire), évoluait très gracieusement autour et voilà et voilà : au terme des neuf mois c'est un petit Daoud qui sortait. Ma grand-mère était la marraine médicale de tous les petits Semaoun, Shmoyel, Yahou ou Itshak de Remchi, notre village ; quant aux petites Nedjma, Rivka, Maha ou Esther, elle s'en lavait les mains.

Non, maman n'avait pas hérité de ses dons ; seul, son frère Tmoyel savait encore poser les fers incandescents, et encore, lorsqu'il déserta le village pour la grande ville, nécessité oblige, il laissa là tout le bazar de sa mère. Mais maman avait beaucoup appris, par ailleurs. Des ventouses aux lavements, elle manifestait un grand savoir-faire. Jamais de grippe, jamais de toux, dans la famille : elle était armée.

Quant à la loubia bel ham (haricots secs à la viande) dont elle me gavait, après les lourdes délices de la méguéna (omelette) à la cervelle, je savais d'avance qu'il me faudrait m'allonger sur ses genoux, culotte à bas, tandis qu'elle huilait la canule…

J'en viens au philtre mirifique, abordé en ouverture de cette évocation médicale. Oui, l'anisette trônait sur toutes les tables juives avec l'arrogante étiquette de l'oiseau phénix, celui qui, renaissant de ses cendres, assurait l'éternité – ou du moins la pérennité.

Ma mère, quand l'heure vint du retour d'âge, et moi j'étais encore tout gosse, car je suis né après sa quarantaine, en soi une sorte de miracle, souffrait de migraines tenaces. Ruicha (comme l'appelait son père, qu'elle invoquait alors, tout en se souvenant de la science de Sultana) étalait sur la table de la cuisine un torchon blanc qu'elle pliait dans sa longueur pour obtenir une bande épaisse. Elle y répandait un bon verre d'anisette et diverses épices : kemoun, kerkeb, felfel, je ne sais trop si elle versait autre chose que cumin, curcuma et poivre ; et ce bandeau blanc chargé d'alcool et d'essences, elle en enserrait son front, ses tempes, sa tête, en recouvrant le tout, pour que ça tienne, du long foulard à franges des Juives.

Puis elle s'asseyait sur le petit banc de la cuisine, là-même où je me tenais quand Messaoud mourut et qu'il me fut donné, moi bambin encore, de sécher les larmes de ma mère. Et pfft ! la migraine disparaissait, faisait scapa – imchi, dit l'arabe ; alors maman déroulait foulard et bandeau, et allait se repeigner dans la glace de sa chambre – la psyché – en arrosant son front d'une giclée d'eau de Cologne Jean-Marie Farina, Aqua Mirabilis la bien nommée, pour dissiper l'odeur d'anisette qui lui faisait comme un halo autour de ses beaux cheveux noirs.

L'anisette servait aux gargarismes, et maux de gorge ou pas, amygdales gonflées ou non, il fallait voir chacun s'empresser de rouler, de roucouler dans sa gorge, en faisant beaucoup de bruit pour donner le change, une bonne cuillère (celle des sirops) de phénix.

Bon, viennent les bobos en vrac : rage de dents une bonne goulée, coliques, colites, hémorroïdes une double goulée, crise de foie un flacon entier d'eau mélangée à l'anisette,

Ah, et puis ces fameuses fièvres et tremblements quand le paludisme saisissait papa, qui avait ramené un petit anophèle domestique de ses campagnes militaires au Rif marocain. Alors là, maman le frictionnait partout avec l'anisette, elle en mettait dans sa bouche pour la réchauffer puis en aspergeait savamment le corps de son époux grelottant, après quoi elle lui faisait avaler un bol d'eau chaude additionnée d'anis, et si cela n'était pas suffisant, alors elle couchait son grand corps sur celui de papa et le réchauffait en soufflant dans sa bouche toutes ces vapeurs éthérées.

Bon, un dernier mot entre nous : L'anisette se prêtait à tous les abus – je parle des hommes surtout qui, au retour de la synagogue le vendredi soir et le samedi midi, avaient le pieux désir de bénir cette liqueur mirifique ; certains mêmes faisaient le kiddouch dessus. Comme il m'arrive de le faire quand je suis à court de Barkan, de Yarden ou de Gamla pétillant. Mais moi, un rien hypocrite et en digne descendant de l'illustre guérisseuse du plateau tlemcénien, à chaque rasade je fais le dolent et dis, un rien geignard : j'ai la rate qui s'dilate, j'ai le foie qu'est pas droit, j'ai le ventre qui se rentre, le gosier anémié… on connaît la chanson. Et toujours maman qui, me regarde en pointant son index, m’enjoint de me soigner. Alors quoi, une bonne goulée.

Et c'est que l'anisette, héritage de ma terre natale, restera pour moi à tout jamais le philtre mirifique. 

Baroukh Hachem chéhakol.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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