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Bienvenue sur le site de l’association MORIAL

Notre objectif : sauvegarder et transmettre la mémoire culturelle et traditionnelle des Juifs d'Algérie. Vous pouvez nous adresser des témoignages vidéo et audio, des photos, des documents, des souvenirs, des récits, etc...  Notre adresse

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L’ensemble de la base de données que nous constituons sera  régulièrement enrichie par ce travail continu de collecte auquel, nous espérons, vous participerez activement.  L'intégralité du site de Morial sera déposée au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) à Paris, pour une conservation pérenne .

Tlemcen, le kiosque à musique au centre ville
Médéa : rue Gambetta (1945)
Alger : rue d'Isly (1930)
Une oasis à Ouargla (Territoire du Sud algérien)
La Grande Poste d'Alger (Photo J.P. Stora)
Square Bresson
Lycée E.-F. GAUTIER D'ALGER
Service Alger - Bouzareah
Alger : le marché de la place de Chartres
MEDEA - Le Café de la Bourse
Guyotville - La Plage

Vous êtes juif et vivant à Alger sous Vichy ? Prouvez le

Ces questions m’ont été récemment posées au cours d’un interrogatoire lors de ma visite au centre juif du Claims en vue d’une très symbolique indemnisation par les autorités allemandes pour les juifs d’Algérie victimes de mesures discriminatoires pendant la période de Vichy.

Le centre de Claims (Conférence on jewish Material Claims against Germany) à Paris, près de l’Elysée, se situe en sous- sol. Un monsieur avec un brassard nous accueille à l’entrée, nous ouvre la porte de l’ascenseur et appuie sur le bouton du sous sol. Devant moi, une immense salle parsemée de tables où se trouvent de vieux hommes et vieilles femmes, juifs et juives d’Algérie, seuls(es) ou en couple.

La réception est assurée par deux jeunes femmes qui vérifient que vous êtes bien sur la liste des rendez vous du jour. A l’énoncé de mon nom, une des deux jeunes femmes vérifie que je figure sur sa liste. Elle me dit souriante, Monsieur Aïach Pierre, oui, vous allez attendre dans la salle d’attente juste à côté à gauche. La salle est assez grande, avec une vingtaine de sièges et devant se trouve une télévision où défile une vidéo sur le Claims et tout ce qui concerne la fameuse indemnisation des juifs d’Algérie victimes de mesures discriminatoires lors de la période de Vichy en Algérie.

Je m’assoie à côté de 5 ou 6 personnes de mon âge qui attendent patiemment qu’on les appelle.

De temps en temps, une jeune femme vient et énonce un nom, proposant à celui ou celle qui est nommé (e) de venir avec elle. Au bout d’un quart d’heure, un jeune homme souriant vient me chercher et me prie de le suivre. Je pénètre dans la fameuse grande salle où se poursuivent des interrogatoires destinés à aider à remplir un dossier.

De part et d’autre des nombreuses tables se trouvent des vieux juifs et vieilles juives et, pour la plupart, des jeunes femmes qui les interrogent.  Je n’ai pas trop le temps de m’étonner devant ce spectacle inusité mais au fond sympathique car le jeune homme qui me fait face me demande mon nom et prénom, ma date de naissance, mon adresse et mon n° de téléphone. Alors commence une litanie de questions au sujet des spoliations et des discriminations que j’aurais pu subir de la part du gouvernement de Vichy. Je lui réponds que mon père, qui n’est plus là, s’est vu interdire d’exercer son métier de représentant de commerce, de toute façon rendu difficile par le manque d’approvisionnement venant de France. Il nous a nourris grâce à un emploi de comptable, plus ou moins clandestin, proposé par un ingénieur de sa connaissance, sans doute opposé à Vichy. Quant à un internement ou embrigadement dans une sorte de colonie pénitentiaire dans l’armée française, je lui parle de mon ex beau frère, Georges Hadjadj, qui en a fait partie. En ce qui me concerne, je lui dis que j’ai été renvoyé de l’école à 6 ou 7 ans, comme mes sœurs Jeanne et Simone et mon frère Paul.

C’est alors que mon interlocuteur me demande si j’ai des preuves de ce renvoi et de ma présence en Algérie à cette époque. Il me demande aussi de prouver que je suis juif.  

Je sors toute une série de documents comme des livrets de famille (dont celui de mes grands parents paternels, Mardochée Aïach et Marie Sultan), ainsi que des photos d’école primaire et du Lycée Bugeaud. Il les regarde attentivement et me fait remarquer que rien ne prouve que ce garçon que je lui montre est bien moi et que rien n’est écrit au bas de ces photos sur la date et le lieu où elles ont été prises. Par ailleurs, les photos de ma Kétouba que j’ai prises, ne suffisent pas : il lui faut le document ou une copie sur papier (selon lui, certains auraient apporté avec eux l’original de leur Kétouba).

Je lui montre alors une photo de mon mariage juif sur laquelle on voit la rabbine, Pauline Bèbe, me bénir en posant son châle de prière sur ma tête. Certes on me reconnaît mais une photo ce n’est pas suffisant. Il s’étonne cependant devant la photo qu’il existe des femmes rabbins alors que cela n’existe pas pour les imams. Je lui demande de quel pays il est. Il est marocain sans métier fixe, occupant  un emploi temporaire pour le Claims. Nous évoquons alors son pays que je n’ai jamais visité mais où ma fille Miléna a poursuivi une recherche dans l’Atlas en vue d’un master d’anthropologie sur les traces judéo-berbères.

 

Quant à l’extrait d’acte de naissance qu’il me réclame, je n’en ai pas encore,  attendant que le ministère des Affaires Etrangères me l’envoie suite à une demande sur internet.

En fin de compte, il m’écrit sur un papier ce qu’il faut produire comme éléments du dossier et me donne un long questionnaire du Claims, le tout mis dans une grande enveloppe à son adresse en Allemagne, à Frankfurt.

Il me raccompagne jusqu’à l’ascenseur et je me retrouve dans la rue quelque peu désemparé,  me demandant si je vais bien pouvoir fournir les preuves de mon renvoi de l’école et de ma judaïté.

Désorienté, je ne sais plus très bien où me diriger pour aller vers le métro par lequel je suis venu. Une rue plus loin, je ne reconnais pas le lieu et je demande à une jeune femme où se trouve le métro le plus proche : elle m’indique Rivoli en prenant telle et telle rue. Dubitatif, un peu plus loin, j’interroge un policier qui me dit que celui de la Concorde est le plus proche. Effectivement, je le trouve un peu plus loin, place de la Concorde et j’entreprends alors un long périple dans les couloirs du métro, vanné et démoralisé. Enfin Gambetta, haut lieu de mes promenades quotidiennes. Le retour à la maison se fait en me traînant lamentablement du fait de mes problèmes liés à ma colonne vertébrale. De nouveau chez moi, je mets de côté le dossier Claims me promettant d’y revenir quand je recevrai l’extrait d’acte de naissance. Je suis un peu perdu essayant de trouver un peu de réconfort auprès de mes deux chats Mazel et Tov, qui sont juifs mais pas circoncis et sans Bar Mitzvah. Heureusement qu’on ne m’a pas demandé si j’avais des animaux juifs.

Cela trotte dans ma tête et je m’en amuse.

Mon ami Philippe Assaya au téléphone me demande comment s’est passée mon entrevue au Claims. Il a lui aussi rendez-vous le lendemain au même endroit pour la même raison. Je lui souhaite bonne chance en lui racontant la façon dont ça s’est passé pour moi. Je n’ai pas eu de ses nouvelles et je ne sais pas encore comment il s’est débrouillé pour prouver sa présence en Algérie au moment du renvoi des écoles et lycées et sa judaïté.  Depuis, Philippe m’a rappelé pour me dire que tout s’est bien passé pour lui : pas de problème, son enveloppe s’est déjà envolée vers Frankfort. Quant à mon autre ami André Attali, il en va de même : l’entrevue s’est bien passée et le dossier est prêt à l’envoi. Détail amusant : il n’a pas remarqué les jeunes femmes noires mais comme il ne voit plus du tout et qu’il a besoin d’une aide pour se déplacer, je lui dis que cela ne m’étonne pas, ce qu’il accepte tout à fait.  Il semblerait que la procédure demandée par le Claism ne pose de problèmes qu’à moi.

Le dossier Claims vers l’Allemagne partira sans doute un jour. Quand ? Je ne sais trop, partagé entre le désir ténu d’obtenir cette symbolique indemnisation de 2550 euros et l’envie qui me tient de tout laisser tomber par manque d’énergie.

Oui, j’ai été renvoyé de l’école et je suis juif. Cela fait partie de moi, que j’arrive à le prouver ou pas. Merci Claims tout de même pour cette difficile entreprise d’indemnisation au rabais.

Mais l’histoire ne s ‘arrête pas là bien sûr.

Rentré chez moi, j’essaye d’obtenir le fameux extrait d’acte de naissance qui m’est réclamé et que je n ‘ai pas réussi à demander sur le net. La demande faite à Nantes s’enlise dans un tel magma d’autres demandes que le site est fermé.

Après plusieurs essais, j’arrive à faire ma demande par le Ministère des affaires étrangères, mais ne recevant pas de confirmation, je me dirige vers d’autres offres et je tombe sur un organisme privé : après tous les renseignements sur moi et mes parents, il m’est proposé de payer en me demandant les chiffres de ma carte bleue y compris ceux qui figurent au dos de la carte.

Je ne réfléchis pas trop et j’accepte. Il m’est alors envoyé une réponse automatique accompagnée d’une facture de 29,9 euros.

Il se fait tard, je commence à douter de l’honnêteté de cet organisme et je regrette amèrement ma naïveté. Je n’arrive pas à dormir et, très tôt le matin, je téléphone à mon centre Postal pour faire opposition : on me dit qu’il faut bloquer ma carte et demander une nouvelle carte bleue. J’accepte cette mesure en me disant, soulagé, que c’est une précaution qui me rassure même s’il n’y a pas eu escroquerie de la part du fameux organisme.  

J’envoie un mail pour demander pourquoi j’ai été débité de 29,9 euros sans savoir auparavant le montant du service rendu.

Plus tard dans l’après midi, oh surprise, il m’est répondu qu’il y a une autre demande adressée aux Affaires étrangères et que je serai par conséquent remboursé dans un délai de trois jours.

Depuis rien n’est arrivé mais je ne désespère pas, sans trop y croire vraiment.

Un mail m’est envoyé par Les Affaires étrangères confirmant que ma demande a bien été enregistrée mais qu’il me faut patienter une dizaine de jours. Quelques jours plus tard, je reçois en recommandé le fameux extrait !!! Enfin, je vais pouvoir remplir le dossier du Claims en y ajoutant, grâce à l’aide d’une amie, des copies papier des photos de ma kétouba qui est sous verre sur le mur de mon couloir.  Je n’ai même plus besoin de joindre la photo de mon mariage « juif », dans le jardin de nos amis Dreyfus, où on voit la rabbine Pauline Bèbe poser son taleth sur ma tête et me bénir, je le pense du moins.

Mais il me faut remplir ce sacré dossier que j’ai mis de côté sans trop y croire. J’ai besoin d’une aide psychologique tant je ne me sens pas en mesure de le faire tout seul.

Estelle, mon épouse, se dévoue et apporte son énergie et son sens des réalités.  Heureusement que j’ai en ma possession le livret de famille de mes grands parents paternels où son indiqués le nom, le lieu et la date de naissance de mon père. J’ai aussi par miracle conservé une copie du livret de famille de mes parents où figure la date et le lieu de naissance de ma mère et de mes sœurs et de mon frère.

Reste à prouver que j’étais bien en Algérie en 1940-43. Les photos de classe de la maternelle et du primaire ne portent aucune indication et, bien sûr, j’ai bien changé depuis !! Mais par chance j’ai une photo du lycée Bugeaud de première où figurent le nom du lycée Bugeaud et l’année. J’ai bien aussi deux photos des équipes minime et cadet de l’Association de St Eugène (ASSE) où je me trouve mais, là aussi, le temps a passé et il est difficile de me reconnaître.  Entre temps, j’ai écrit un texte sur le football et mon expérience à l’ASSE qui a été publié sur le site de Morial avec mes deux photos.  Mais ça c’est une autre histoire.

Je déclare sur l’honneur que tout ce qui est dit ne comporte pas de mensonges ou d’inexactitudes et je signe enfin, espérant que cela suffira et que mon renvoi de l’école pendant la période de Vichy pourra obtenir une forme de reconnaissance symbolique.

L’enveloppe est prête à l’envoi vers le Claims en Allemagne. Elle n’est pas encore partie car Miléna, ma fille, désire la voir.  Elle veut sans doute en faire matière pour ce qu’elle entreprend autour du passé juif en Afrique du Nord. Mais ça aussi c’est une autre et grande histoire.

Ce matin je vais à la poste près de la place Edith Piaf pour expédier l’enveloppe destinée au Claims, en Allemagne. Edith Piaf est toujours là, les bras en l’air semblant implorer le ciel.

Au moment de payer grâce à ma nouvelle carte bleue, j’affiche le nouveau code : le paiement est refusé ! Damnation, que se passe-t-il ? Suis-je victime d’un mauvais génie ? Je repars dépité me disant que si le nouveau code accepté à Gambetta hier ne l’est pas aujourd’hui à Edith Piaf, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans le monde postier.

J’ai toutefois un doute : est-ce le bon code que j’ai utilisé. Rentré chez moi, je vérifie si c’est le bon code que j’ai tapé. Je me suis trompé, j’ai inversé les chiffres ! Je me dis que je suis devenu un vieux schnock, un peu gaga et très mal fagoté ! J’ai coupé ma barbe trop prophétique mais je n’ai pas touché à mes cheveux désordonnés et tombant dans le cou. Non, là je ne céderai pas.  J’ai encore en tête les injonctions paternelles pour que j’aille me faire couper les tiffes quand j’étais enfant. J’allais rue Barra chez un coiffeur très antipathique mais il y avait, suspendue en l’air, une cage avec un magnifique perroquet métallique qui chantait des airs de chansons napolitaines et d’opérettes. Je me précipitais chez moi après la séance pour essayer de camoufler la coupe au bol en ébouriffant le peu de cheveux que j’avais encore sur la tête. Depuis, j’ai horreur de me faire couper les cheveux, d’autant qu’avec l’âge ils sont devenus clairsemés.

Je me dis que je vais retourner à la poste quand mes jambes seront reposées et prêtes à effectuer un nouveau voyage.

Oui, cette fois le code a bien fonctionné : je colle le timbre que j’ai demandé pour l’Allemagne et je m’aperçois qu’un nouveau timbre est tombé au fond du réceptacle. En fait, il s’agit du bon timbre, l’autre se rapportant à la demande de suivi que j’ai demandé. J’arrive à le coller sur l’enveloppe que je m’empresse de jeter dans la grosse boite jaune extérieure. Il s’en est fallu de peu pour que mon enveloppe me revienne faute de timbrage !

J’ai, semble-t-il, réussi à conjurer le mauvais sort.

Me dirigeant vers le café tabac qui est sur mon chemin, j’entends des hurlements  et des invectives très fortes émanant d’une femme noire, pieds nus, près de l’abribus. C’est glaçant et inquiétant. Que va-t-il se passer ? Je m’apprête à traverser la rue, quand je la vois se diriger vers l’endroit où je me dirige. Je pense  confusément, à ce moment là, à cette autre femme noire qui s’en était prise à moi dans le métro en m’invectivant et que j’ai très difficilement réussi à semer.

Mais le bus arrivant, elle fait demi-tour et s’emparant prestement d’un gros sac sur la banquette de l’abribus s’apprête à y monter. Je respire.

Assis au café à une table extérieure, je sors l’excellent livre d’Olivier Guez, « La disparition de Joseph Mengelle » et mon carnet de croquis à tout hasard.  Un peu plus loin, se trouve un couple d’hommes d’âge mûr : ils parlent fort en arabe. Je n’ai pas envie de les croquer. Je vais retourner à la maison où je poursuivrai ma lecture sur l’abominable Mengelle.

Est-ce la fin de l’épopée du Claism ? Serai-je reconnu comme un vrai juif qui a été mis à la porte de l’école sous Vichy ? Devrais-je encore fournir des preuves et des preuves sur la véracité de ce que j’affirme ? Vais-je toucher ce petit magot qui se transformera en cadeau à mes filles ?

En attendant, je reçois un appel d’une dame que j’avais contactée au tout début au Casip Cojasor et qui m’avait promis de me rappeler. Je lui dis que tout va bien, que je n’ai plus besoin d’aide, mais que mon frère de Carcassonne ne sait pas comment faire. Y a-t-il un centre du Claims près de chez lui ? La ville la plus proche serait Toulouse.  Sinon, il peut le faire sans passer par une visite au Claims. Elle va lui envoyer un dossier qu’il lui faudra remplir avec l’aide de son entourage. Le connaissant, je me dis que ça ne va pas être de la tarte. Mais on ne sait jamais !!

 

Pierre Aïach

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