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ORAN = La Rue des JuifsPropriétaire d'un grand domaine viticole à Oran, Charles Bunan a vécu son rapatriement comme un exil immensément douloureux.

Soudain, il perdait un cadre de vie qu'il aimait infiniment et qui symbolisait toute la fraîcheur de sa jeunesse; il laissait derrière lui un métier dont il était fier, parce qu'il était traditionnellement refusé aux Juifs et qu'il le faisait avec succès.

Pourtant, malgré son "mal à l'Algérie", c'est en France qu'il découvrira peu à peu avec bonheur la spiritualité juive à laquelle ses années en Algérie ne lui avaient pas donné accès. 

L'exil aura curieusement ouvert le champ d'un retour aux racines...

Charles Bunan, quel a été le cadre de votre jeunesse ?

Je suis né en 1930 à Oran.

Mes parents possédaient un domaine viticole de 175 hectares et faisaient partie de ce qu'on pourrait appeler la bourgeoisie juive locale. Comme la majorité des familles bourgeoises d'Oran, mes proches s'étaient fortement éloignés du judaïsme, qui leur était devenu un folklore : nous allions deux ou trois fois par an à la synagogue, pour les grandes fêtes, nous mangions de la matza à Pâques, mais nous ne disposions pas des clés nécessaires pour comprendre le sens de ces pratiques. Notre affiliation à la France, en revanche, était très forte.

J'ai grandi dans un paysage magnifique, fait de grands espaces et peuplé de chevaux... Une vie de ranch à l'américaine

Mon enfance a cependant été noircie par la mort de mon père, lorsque j'avais 11 ans, et quelques mois plus tard par les mesures discriminatoires de Vichy, qui ne m'ont pas permis h' de suivre mon année de 6e au lycée français.

Heureusement, des écoles juives ont été immédiatement créées et animées par ceux de nos professeurs qui avaient été renvoyés des établissements publics. Ce qui est remarquable, c'est que ces écoles et lycées ont continué de fonctionner après la guerre et qu'ils ont toujours été beaucoup plus performants que les écoles françaises!

Un des événements les plus lumineux de ma jeunesse a été mon entrée aux Éclaireurs Israélites de .France (EIF). Quel plaisir nous avions à nous y retrouver, en 1942, en ce temps où nous n'avions aucun loisir! L'encadrement y était fantastique nous avions des chefs prestigieux, comme Gérard Israël ou Manitou.

Une vie de viticulteur...

Après mes études secondaires, j'ai suivi une formation dans une école d'agriculture.

C'était très rare, chez les Juifs. En Algérie, chaque ville comptait au plus une ou deux familles juives qui s'occupaient de la terre; ce métier faisant partie, depuis des siècles, des occupations jugées trop nobles pour les Juifs. Au risque de paraître immodeste, je suis heureux de dire que nous étions de bons agriculteurs et que nous faisions un excellent vin.