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Bienvenue sur le site de l’association MORIAL

Notre objectif : sauvegarder et transmettre la mémoire culturelle et traditionnelle des Juifs d'Algérie. Vous pouvez nous adresser des témoignages vidéo et audio, des photos, des documents, des souvenirs, des récits, etc...  Notre adresse

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Tlemcen, le kiosque à musique au centre ville
Médéa : rue Gambetta (1945)
Alger : rue d'Isly (1930)
Une oasis à Ouargla (Territoire du Sud algérien)
La Grande Poste d'Alger (Photo J.P. Stora)
Square Bresson
Lycée E.-F. GAUTIER D'ALGER
Service Alger - Bouzareah
Alger : le marché de la place de Chartres
MEDEA - Le Café de la Bourse
Guyotville - La Plage

Témoignage de Paul Benaïm

Ce texte a été diffusé sur le site Internet de Guysen International News et publié dans le Journal de l’Association des Médecins Israélites de France.             

Il  fait partie du  deuxième chapitre "Une enfance en Algérie française" du livre "Les trois vies d’Abraham B. Histoires insolites d’un médecin parisien" 2010 Editions David Reinharc.

La lecture d'un essai de Jean Daniel m'a poussé à consulter une biographie "monumentale" d'Albert Camus publiée en 1978 en me polarisant sur sa deuxième "période oranaise". (Janvier 1941-août 1942). En 1941, Albert Camus a été pendant quelques mois mon professeur de Lettres dans les conditions très particulières du statut des Juifs du régime de Vichy. Cette  chronique pourrait, on en découvrira la raison, être intitulé plaisamment "Camus et moi".

Le 10 juillet 1940, l'Assemblée nationale donnait les pleins pouvoirs à Pétain, la République française faisait place à l'Etat français et  le 3 octobre 1940 des lois raciales étaient promulguées. Ces lois discriminatoires, renforcées en juin 1941, constitueront le statut des Juifs, élaboré par le gouvernement de Vichy, sans aucune pression des autorités allemandes (1, 2, 3). En voici l'essentiel :

- abrogation du décret Crémieux retirant la nationalité française aux Juifs d'Algérie, désormais "Juifs indigènes",

- radiation des fonctionnaires juifs ;

- numerus clausus dans les écoles, les lycées et les universités, aboutissant à l’exclusion de la majorité des élèves et étudiants juifs ;

- numerus clausus dans les professions libérales (2 % pour les médecins).

Ces lois raciales ont été appliquées scrupuleusement dans les 3 départements algériens, Alger, Oran et Constantine.

Il faut imaginer la stupeur des élèves informés de leur exclusion en pleine année scolaire 1940-1941, le désespoir des élèves  des classes A qui pensaient ne pas pouvoir poursuivre l'étude du grec : Je n’oublierai jamais les pleurs de mon ami Jean-Claude Illouz, passionné par la langue d’Homère, répétant "Mon grec, mon grec !". A cela s’ajoutait l'humiliation de nos camarades juifs jugés non-indésirables et demeurés au lycée (une infime minorité) entendant, après notre départ, un professeur exprimer sa satisfaction en s'écriant : On respire mieux maintenant !

1941, création de cours privés à Oran

André Benichou était un professeur de philosophie très apprécié. Ses élèves du lycée Lamoricière, souhaitaient continuer à bénéficier de son enseignement. Il décide alors, de même que d'autres professeurs radiés, de créer un cours privé.

Selon les lois en vigueur, chaque classe ne devait pas compter plus de cinq élèves. La demande était forte en raison du nombre élevé de jeunes Juifs qui avaient été contraints, du jour au lendemain, d'interrompre leurs études. Il a fallu recruter très vite des professeurs qualifiés, même en dehors du corps enseignant.

C'est ainsi que des médecins ont été engagés par André Benichou ; c'est ainsi qu'Albert Camus, ancien journaliste à Alger, puis  en métropole,  alors âgé de 28 ans, devait assurer l'enseignement du français pendant plusieurs mois au cours de l’année scolaire 1941-1942.

Les cours avaient lieu dans les appartements de proches du directeur de l'école. Avec quatre de mes camarades, Viviane Bénarrous, Henri Elmouchnino, André Garson et Jean-Claude  Illouz, j'ai été l'élève d'Albert Camus en classe de troisième. La salle de classe était la salle à manger d’un appartement  bourgeois situé au premier étage d’un immeuble d’habitations, rue Eugène Etienne, au cœur de la ville d'Oran.

Un personnage énigmatique

Notre professeur de français apparaissait à mes camarades et à moi comme un personnage énigmatique. Nous savions vaguement qu'il avait été journaliste à Alger républicain, quotidien de gauche qui avait cessé de paraître en octobre 1939, qu'il avait écrit des livres dont nous ignorions s’ils avaient été publiés.

Extrêmement réservé - par timidité ? -, il ne parlait jamais de lui-même ni faisait allusion à la vision du monde que l'on découvrira dans ses œuvres, mais il nous surprenait, dans ses commentaires d'explications de textes, par une fantaisie et une liberté de ton auxquelles nous n'étions guère habitués.

Il nous arrivait de croiser Albert Camus arpentant les rues d'Oran, seul, dans un imperméable fatigué. Taciturne ? Nous ne l'avons jamais vu sourire.
Dépressif ? On le serait à moins : à l'époque, les soucis pouvaient l 'accabler - le manque d'argent, un divorce récent, une tuberculose pulmonaire (en rémission apparente pendant cette brève période) - , enfin l'ennui généré par Oran, ville côtière « qui tourne le dos à la mer » et où il se sentait prisonnier. « Les Oranais étaient dévorés par un minotaure et ce minotaure était l'ennui! » (1). Le programme de 3eme - la littérature française du Moyen Age - n'était pas des plus folichons et l'on comprend que ce programme ingrat ait pu contribuer à ce que nous prenions pour de la mélancolie.

Oran et La Peste

Pourtant, une autre hypothèse m'apparaît aujourd'hui plus plausible : je suis convaincu que ses "promenades" s'intégraient dans un projet, celui de son roman "La Peste" qui se déroule dans cette ville. L'idée de La Peste, de toute évidence, a été conçue à partir d'événements qu'il a vécus : en 1941 sévissait une épidémie de typhus qui  fit de nombreuses victimes dans le département d'Oran, notamment à Tlemcen et à Mascara ; certaines localités étaient « en quarantaine ». Le séjour à Oran a été la « rampe de lancement » du fameux roman qui sera publié six ans plus tard. Selon son biographe Herbert R. Lottman, au cours de son séjour à Oran, Camus en a écrit un chapitre qu'il aurait fait lire à André Benichou. Travailleur acharné (auteur en quelques années de la trilogie de l'absurde, « Le mythe de Sisyphe », « L'Etranger » et « Caligula »), il ne pouvait être un promeneur ordinaire, mais un écrivain sur les lieux mêmes du récit qu'il imaginait.

J'ai le souvenir d'un homme plutôt maigre et pâle, mais j'ai ignoré longtemps qu'il présentait une tuberculose pulmonaire. La première poussée, qui avait touché le poumon droit, était survenue 13 ans auparavant en 1930.

Camus, alors âgé de 17 ans, élève du lycée Bugeaud d'Alger, avait dû interrompre sa scolarité.

Olivier Todt, un autre de ses biographes, nous apprend qu'en mai 1941  à son retour de métropole, Camus a fait une nouvelle poussée, annoncée par une hémoptysie (Ndlr : crachats sanglants) ; le poumon gauche se révèle atteint et un pneumothorax thérapeutique est réalisé. A l'époque, le seul traitement actif de la tuberculose pulmonaire était le pneumothorax qui consistait à insuffler de l'air dans la plèvre pour "collaber", c’est-à-dire écraser la ou les lésion(s) tuberculeuse (s) et tenter d'en obtenir la cicatrisation. Les cures sanatoriales avaient surtout pour intérêt d'isoler le malade, évitant la contamination de l'entourage et permettant la mise au repos du patient. Albert Camus n'a jamais séjourné en sanatorium, il était "soigné à la maison".

C'est seulement en 1948 que le malade a pu bénéficier du traitement par la streptomycine. Il apparaît très probable qu'Albert Camus a été bacillaire (Ndlr : présence de bacilles de Koch - bacille de la tuberculose - dans les sécrétions bronchiques et l’expectoration), au  cours de sa période oranaise.

Après l’année scolaire 41-42, la décision est prise d’un séjour à la montagne et en juillet 1942, Albert Camus gagne la zone libre de la métropole, quelques semaines avant le débarquement allié du 8 novembre 1942. L'invasion de la zone libre par les Allemands coupera l'Afrique du Nord de la France métropolitaine et interdira tout retour de Camus en Algérie jusqu'à la fin des hostilités.

Un film révélateur sur la vie de Camus

Il y a quelques années, j'ai reçu  un choc : la vie d'Albert Camus avait fait l'objet d'un téléfilm. C'est dans ce film que j'ai eu, près de 50 ans après les faits, la révélation d'une tuberculose de l'auteur de L'Etranger.

Dès lors, j'ai été persuadé, à tort ou à raison, que la primo-infection et la pleurésie qui m'avaient immobilisé en 1942 pendant près d’un an étaient la conséquence d'une contamination provenant de mon  professeur. A cette époque, il n'y avait ni médecine scolaire, ni médecine du travail. Faute de preuves irréfutables, je ne devrais donc pas m'enorgueillir d'avoir hébergé pour un temps les bacilles de Koch d'un futur Prix Nobel de littérature.
Beaucoup plus sûrement et plus durablement, son enseignement et son œuvre m'ont appris, comme à beaucoup d'autres, le refus du conformisme.

Le non-conformisme d'Albert Camus

Le non-conformisme est en effet une constante chez Albert Camus, déjà comme journaliste à Alger républicain et Soir républicain avec Pascal Pia, dans leurs démêlés avec la censure qui s’exerçait sur les médias pendant la « drôle de guerre » de septembre 1939 à mai 1940 (1, 2), puis comme co-fondateur de Combat, journal clandestin, dans sa résistance à l'occupant nazi ; enfin dans son opposition aux partisans de l'Algérie française et aux « décolonisateurs » qui, avec Jean-Paul Sartre, sacrifiaient les Européens et ne condamnaient pas le terrorisme, autant de positions qui faisaient du journaliste, de l'écrivain engagé, un homme seul, salué aujourd'hui comme l'un des grands penseurs du 20e siècle.

Sources

1- Herbert R. Lottman « Albert Camus ». Editions du Seuil 1978.

2 – Olivier Todd   ”Albert Camus une vie” Gallimard 1996

3 -  J.P. Azema, O. Wievorka.” Vichy 1940 -1944 ” Editions Perrin 2004
 
 
 
 

Commentaires   

0 # Serge de Sampigny 03-05-2019 11:28
A l'attention de M. Paul Benaim.
Cher Monsieur, je lis votre témoignage grâce aux conseils de mon amie Alice Kaplan, universitaire américaine à Yale, spécialiste de Camus. .otrVe .témoignage est vraiment très émouvant pour moi, car je suis en train de préparer un portrait de Camus pour France Télévisions, avec le producteur et réalisateur Georges-Marc Benamou. Nous voulions justement raconter cet épisode de la vie de Camus pendant la guerre, où il donne des leçons aux jeunes Juifs algériens discriminés. Serait-il possible de se parler au téléphone? Mon numéro est : 06 63 57 29 43.
D'avance je vous remercie.
Serge de Sampigny
Réalisateur
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0 # Maud Rivière 09-01-2022 16:10
Bonjour monsieur,
Je viens de lire votre message et voudrais savoir si votre documentaire sur la vie de Camus est accessible. Je m'interesse tout particulièremen t à l'épisode où il a enseigné à Oran au lycée Lamoricière, mon père ayant probablement été l'un de ses élèves.
Merci d'avance pour votre réponse,

Maud
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