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Par Didier NEBOT

Ce matindu 6 mars 1543 où la ville fut incendiée, le canon tonna, le peuple affolé courut en tous sens. Du quartier éloigné des lépreux, on entendit les cris annonçant que les Espagnols attaquaient. 

Après avoir pris Oran, les chrétiens s’étaient abattus sur la région. Il s’agissait, en contrôlant la majorité des ports côtiers, d’empêcher les rapines et les exactions des corsaires barbaresques, dont l’activité s’était accrue au fil du temps. Et puis, posséder des comptoirs en terre africaine permettrait aux Espagnols d’acquérir à bon compte des produits qu’ils revendraient fort cher en Europe. Le roi de Tlemcen était tombé, trahi par son conseiller Manzor, et ce dernier avait livré la ville à ses alliés, offrant en pâture tous les juifs de la ville.

Le pillage fut terrible. Du haut des ruines, David vit des hommes enchaînés, des rabbins, des amis, des familles que l’on emmenait en longues chaînes d’esclaves. Il revit soudain l’Espagne et son flot d’exilés, les marranes brûlés vifs sur les bûchers de l’Inquisition, les longues files de fuyards. Il vit aussi des hommes en armes se faufiler dans les ruelles en quête de rapines ou de plus cruels méfaits. Il regarda Leila à la beauté fatiguée.« Ils vont nous massacrer, annonça-t-il calmement, j’attendrai la mort avec toi, Leila. Préparons-nous.» 

Ils prièrent et parlèrent des êtres chers qu’ils espéraient retrouver dans l’autre monde, sans lèpre ni violence. Certains choisirent de se tuer, sans attendre le fer des mercenaires espagnols. David se blottit contre Leila, qui fredonna doucement à son oreille, les yeux clos. 

C’est ensemble qu’ils moururent, transpercés par des épées, tandis que David, dans une ultime prière, murmurait : « Mon dieu nous te rejoignons » avant de rendre son dernier souffle. 

Le quartier fut réduit à néant. Désormais, seul le vent tournait les pages maculées de sang des livres saints éparpillés au milieu des ruines.