Imprimer
Affichages : 387

 (36) LES FRANÇAIS ONT DÉBARQUÉ À SIDI FERRUCH (14 juin 1830)

Attaque d'Alger par la mer le 29 juin 1830 : Peinture de Théodore Gudin

                               

 

                           Par

 

                   Didier NEBOT

 

 

 

Des cris stridents s’élevèrent des ruelles puantes d’Alger :

– Les Français ont débarqué à Sidi Ferruch !

À l’incrédulité succéda l’angoisse.

– Comment ont-ils pu ?

–Nous les chasserons d’un claquement de doigts.

– C’est impossible.

C’était possible. Les Français avaient réussi là où tous avaient échoué. Charles X lavait ainsi l’affront subi par son consul trois ans plus tôt. Ce dernier, dans une altercation avec le dey, 

lors de la fête de Béiram, avait par trois fois reçu un coup d’éventail en pleine figure. Par cette expédition, la France voulait restaurer son prestige si mal en point depuis la défaite de Waterloo, et prouver que mieux que les Espagnols et les Anglais, elle était apte à s’imposer dans cette partie du monde. Elle entendait mettre fin à la piraterie qui empoisonnait toujours les eaux méditerranéennes.

 

Tout alla très vite. Quarante mille cavaliers arabes, accourus de toutes les parties de la Régence, et dix mille fantassins tentèrent de s’opposer à l’envahisseur, à Staouéli. La bataille fut rude, mais les musulmans furent défaits. Louis de Bourmont, le chef des Français, reprit sa marche, et l’étau se resserra sur Alger. Le canon tonnait, la population était aux abois. Comprenant qu’il n’y avait plus d’espoir, Hussein capitula le 5 juillet 1830. Les infidèles avaient vaincu Allah et les siens. La squelettique armée turque, les malhabiles auxiliaires arabes avaient été anéantis en vingt jours à peine.

Les Français, à l’esprit si cartésien, prenaient place dans cet univers mouvant, insaisissable, et l’incompréhension réciproque de deux cultures si dissemblables ne pouvait être qu’annonciatrice de turpitudes et de gâchis. Là où les Turcs avaient réussi pendant des siècles, que feraient ces nouveaux vainqueurs ?

 

Il y eut quelques jours de flottements à Alger durant lesquels mille excès furent commis. On pilla la casbah. Les Arabes, libérés de leurs anciens maîtres, se vengèrent, assassinant bon nombre de Turcs. Mais les Français reprirent la situation en main et la ville retrouva le calme.

Un seul point étrange, prenant de court les envahisseurs : les juifs. En haillons, nu-pieds, les yeux suppliants, ils s’approchèrent des Français à l’uniforme rutilant, leur baisèrent les mains, les remercièrent, guettant le coup qui ne venait pas, s’enhardissant. Ecrasés depuis des siècles par l’islam, ils allaient être les grands bénéficiaires de l’arrivée des Européens Mais, pour les nouveaux maîtres, ce n’était là qu’une meute d’indigènes sans intérêt.

 

L’incompréhension des français sur ce monde était stupéfiante. Lorsqu’une petite troupe, un jour, partie en reconnaissance, tomba sur des corps fraîchement massacrés, aux grimaces morbides, le commandant s’emporta :

– Qui sont donc les êtres capables de commettre des actes aussi inhumains ?

Le regard des soldats se tourna vers leur guide, Lounès, un arabe qui baissa la tête. Les morts portaient des vêtements sombres, ceux qu’on imposait aux juifs. Sans doute ces victimes-là avaient-elles dû montrer trop d’empressement à rejoindre les Français, ce qui avait excité la hargne de leurs assassins.

– Les janissaires, répondit Lounès, machinalement.

Selon les lois du pays, c’étaient les seuls à pouvoir agir de la sorte. Le commandant était hors de lui. Il était supposé apporter la culture et la civilisation dans cet Orient folklorique, et non couvrir des massacres !