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Bienvenue sur le site de l’association MORIAL

Notre objectif : sauvegarder et transmettre la mémoire culturelle et traditionnelle des Juifs d'Algérie. Vous pouvez nous adresser des témoignages vidéo et audio, des photos, des documents, des souvenirs, des récits, etc...  Notre adresse

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Tlemcen, le kiosque à musique au centre ville
Médéa : rue Gambetta (1945)
Alger : rue d'Isly (1930)
Une oasis à Ouargla (Territoire du Sud algérien)
La Grande Poste d'Alger (Photo J.P. Stora)
Square Bresson
Lycée E.-F. GAUTIER D'ALGER
Service Alger - Bouzareah
Alger : le marché de la place de Chartres
MEDEA - Le Café de la Bourse
Guyotville - La Plage

             

            Camp du Maréchal

                    Mai 1962

 

             "Mon témoigange"
                         par
                Didier NEBOT

 

 

 

" CE TEMOIGNAGE SERA REPRIS  DANS  LE NOUVEAU LIVRE DE DIDIER NEBOT QUI SORTIRA EN LIBRAIRIE EN JANVIER 2024  SOUS LE TITRE :  "LE MEDECIN DE QUMRAN "  Il était une fois la paix

 

Après les accords d'Evian de Mars 1962, le cessez-le-feu est intervenu avec le FLN. L'indépendance de l'Algérie est inéluctable. L'O.A.S. (organisation armée secrète) joue la politique du désespoir, de la "terre brûlée". Les attentats se multiplient à Alger et dans les grandes villes aussi bien contre les Musulmans que contre les Européens qui veulent quitter l'Algérie, qualifiés de déserteurs par l’OAS.

Les "forces de l'ordre" qui n'ont plus comme ennemi le FLN se focalisent sur l'OAS. L'université d'Alger est considérée comme un des bastions de cette organisation secrète et les étudiants sont tous suspectés.

Dès lors, les autorités françaises font des rafles d'étudiants pour les interner dans des camps loin des centres urbains. J'ai été l'un de ceux-là.

 Voici mon témoignage : Mai 1962… Ce sont les derniers jours de l’Algérie française.

La faculté de médecine est fermée, l’activité économique est réduite à sa plus simple expression, tout va mal, Alger est en état de déliquescence, la vie est devenue impossible. Malgré une présence multi centenaire dans cette si belle terre d’Afrique mes parents, perdus, désemparés, envisagent de quitter le pays. C’est alors que la malchance va me conduire durant une dizaine de jours dans un camp d’internement situé en grande Kabylie, Camp du Maréchal, où j’ai cru ma dernière heure arrivée.

A ma libération, deux jours avant notre départ pour la France, je racontais à un de mes voisins, journaliste dans je ne sais quel magazine, et que j’avais croisé à plusieurs reprises dans la cage d’escalier de mon immeuble, le récit du journal que j’avais tenu à Camp du Maréchal.

Plusieurs mois plus tard, alors qu’avec mes parents et mon frère nous commencions une nouvelle vie à Marseille, un de mes amis me donna le journal qui avait relaté mon histoire. J’eu la désagréable surprise de constater qu’il s’agissait de RIVAROL, un magazine d’extrême droite. Pourquoi cet hebdomadaire publia-t-il le journal d’un juif ? Je n’en sais rien.

Quoi qu’il en soit, tout ce qui est dit dans ce journal est vrai et je retranscris aujourd’hui les paroles que j ai tenues à ce journaliste, dont je ne me souviens plus du nom. Seul élément faux et discordant, c’est lorsque vous le verrez, l’article parle de la "race" juive. Choqué par ce mot inadmissible que je n’avais pas prononcé, je n’ai pas réagi à l’époque.

J’avais découvert cet article, presque par hasard, longtemps après les faits et nous avions d’autres soucis que celui de demander des explications, à défaut de réparation sur des termes choquants et inappropriés. Il fallait vivre, panser ses plaies et oublier l’Algérie.

Article paru sur le journal "RIVAROL" le 22 juin 1962 :             

"D’Alger nous est parvenu par le truchement d’un ami, le document que nos lecteurs trouveront ci-dessous. Il s’agit du journal d’un jeune israélite algérois, arrêté, à son domicile, lors d’un bouclage effectué au Plateau-Saulière.

Le mercredi 9 mai, à 16h30, les CRS se présentent chez moi.

Ils n’opèrent aucune fouille, mais à leur grand regret me dendent de les suivre. Mon frère a 15 ans, il n’est pas emmené. "C’est juste un contrôle d’identité à l’école Barnave… " J’apporte, néanmoins, quelques affaires de toilette. J’ai déjà fait un "stage" à Béni-Messous, pris dans une rafle dans la rue et je prends mes précautions…

J’ai bien fait, car on nous conduits au camp de Béni-Messous, où je vais passer 48h, avec tous les hommes de 18 à 50 ans de mon quartier. On mène une vraie vie champêtre. Personne ne couche dans les baraques, il y a de la vermine et il fait trop chaud dans la journée. On préfère coucher dans deux couvertures à même le sol. Pour moi, ça peut aller, mais je vois des hommes âgés qui ne semblent pas s’accommoder des faits.

Ces deux journées auront vite passées. Nous étions… près de 1200.

Le vendredi 11 mai, vers midi, tous les hommes de plus de 22 ans, pris en même temps que moi, sont libérés. Nous restons 93 jeunes de 18 à 22 ans. Les bruits les plus divers circulent : "On va nous envoyer à Paul-Cazelles, dans le sud-Algérois… ou à Orléansville… On va nous mobiliser sur le champ et nous envoyer en Allemagne".

Ma mère me fait parvenir par l’intermédiaire de la croix-rouge des vêtements, des affaires de toilette, un poste et des médicaments. Car il faut que je prenne soin de ma santé. J’ai un virus dans le sang et suis sujet à des crises d’urticaire.

A 14h, ce vendredi, on nous embarque dans des camions escortés par des gardes-mobiles. On n’arrive pas à savoir vers quelle destination nous allons. Les gardes sont muets. Nous arrivons à Douéra, au Château Holden, où d’autres jeunes européens internés viennent

grossir notre groupe. A 16h 45, nous nous remettons en route. Cette fois, un garde mobile nous dit : "direction Grande-Kabylie…" Sans plus.

Après un trajet de trois heures dans ces camions bâchés, nous nous arrêtons à l’entrée d’un camp.

Un camarade se penche et arrive à lire : Camp d’hébergement de Camp du Maréchal.

C’est un ancien camp où étaient internés les fellagha avant le cessez-le-feu. Nous prenons le relais. Les baraquements sont en dur et, cette fois, habitables. Nous nous installons pour notre première nuit. On nous sert un dîner que nous ne touchons pas. Heureusement que nous avons nos provisions de boîtes de conserve.

Le lendemain, il nous faut désigner 8 cuisiniers et 2 magasiniers. Car il n’y a pas de personnel pour s’occuper de nous. Le colonel, commandant le service de garde du camp (des chasseurs alpins), nous rend visite dans nos baraques. Il nous fait d’emblée excellente impression et, tout au long de notre séjour, il fera pour nous preuve de sollicitude et de tendresse paternelles. Il nous considère "comme ses fils", il nous donnera de sages conseils. Je conserverai de lui un souvenir impérissable. De certains copains aussi. Car c’est dans de telles circonstances qu’on se fait les meilleures amitiés.

" Le lendemain matin de notre arrivée, premier incident avec les chasseurs alpins. On demande des internés pour le lever des couleurs. Une baraque se porte aussitôt volontaire et se dirige vers le lieu de rassemblement. Alors, arrivent les chasseurs, l’arme à la main. Ils entourent les copains, menaçants, et leur crient : "Allez, grouillez-vous, c’est un ordre, vous entendez, un ordre, pressez-vous… " Choqués par ces manières rudes, alors qu’ils y allaient de leur plein gré, les copains font demi-tour. Ils voulaient aller en hommes libres, sans contrainte, saluer leur drapeau. Le lever des couleurs se fera sans nous. L’atmosphère se détendra quelques jours plus tard.

Cet incident que nous ne nous expliquions pas, nous en aurions plus tard le motif. "On" nous avait présentés aux chasseurs alpins comme de dangereux tueurs OAS, de redoutables commandos, dont certains avaient tiré sur des militaires à Bab-el-Oued…

Le lundi 14 mai, vers 16 h, nouvel arrivage de jeunes pris dans la rue, au cours de rafles. Nous sommes près de150, et vers la fin de mon séjour194…

Le mercredi 16, le colonel nous annonce une triste nouvelle. Demain doivent arriver les éléments de la force locale, qui remplaceront les chasseurs alpins. Les esprits s’échauffent, le mécontentement gagne les plus calmes, nous passons une mauvaise nuit. Nous sommes abattus et nerveux. De quoi sera fait demain ? Je fais un cauchemar. Je me vois en train de fuir devant des musulmans qui me tirent dessus…

Je me réveille en sursaut. Je pense… On va sûrement encore nous étiqueter comme tueurs auprès de la force locale. Et s’ils le croyaient, et s’ils voulaient faire des représailles, et s’ils nous égorgeaient durant la nuit ?

Le lendemain, ils arrivent… Nous n’aurons, nous, internés, aucun contact avec eux. Je dis interné, mais je devrais théoriquement dire hébergé. Mais ici, nous nous considérons comme des prisonniers.

Je pense à mes parents, à ma mère surtout. Je lui ai envoyé deux lettres par une filière à nous. Mais les a-t-elle reçues ? (A ma libération, j’apprendrai qu’elle ne les a jamais reçues. Plus de 10 jours sans un mot de moi…). Elle a réussi à me faire parvenir un mot, dans lequel elle me demande de conserver mon sang-froid, de ne pas laisser éclater ma peine ou ma colère. Je suis israélite, je pense à tous ceux de ma race (1) qui ont souffert bien plus que moi et je me tais. Je conserve la foi. Ceux qui ont souffert connaîtront un jour la paix, c’est le juste retour des choses. Les méchants seront punis.

Je pense à mes études de médecine, elles sont pratiquement finies. Je suis en train de prendre un retard considérable. Même sorti d’ici, je ne pourrais retourner en Fac, l’année est terminée pour les étudiants algérois. Je ne suis pas le seul à me faire du souci. Il y a, dans la "carrée", un jeune de 20 ans, il prépare polytechnique. Mais pour ce concours aux exigences draconiennes, la limite d’âge est fixée irrévocablement à 22 ans. Ce copain va être mobilisé dans quelques jours comme moi, son sursis résilié. Pour lui, tout s’écroule.

Ce même jour jeudi, arrivent au camp six inspecteurs de la D.S.T. Ils arrivent de Marseille pour nous "cuisiner". Les premiers qui passent sont interrogés durant une heure, comme dans un film policier. Au bout d’une vingtaine d’interrogatoires, la durée de ceux-ci diminue. Une demi-heure, un quart d’heure, puis cinq minutes… Nous avons appris que ces policiers avaient été amenés subitement par avion pour interroger une centaine de « tueurs » notoires. Ils se sont bien vite aperçu qu’il n’en était rien et qu’on les avait trompés sur notre compte…

Les gars qui nous interrogeaient avaient l’air sympathique. Ils voyaient bien qu’on  le savait dérangés pour des peccadilles. Ils avaient l’air vexé… J’avais envie de leur dire un tas de choses, à ces "représentants de l’ordre"…

Par exemple :

- Que nous n’avons jamais reçu de visites de la Croix-Rouge. L’entrée du camp lui étant interdite…

- Que depuis l’arrivée de la force locale, nous nous barricadions les nuits dans nos baraques, et

- Que nous avions même envisagé un tour de garde par chambrée.

Que seule nous parvenaient de la victuaille et des effets d’habillement envoyés par les habitants des villages voisins…

- Que la seule façon de faire savoir à nos parents où nous étions était une liste qu’avait adressée le curé de Camp de Maréchal, qui nous rendait souvent visite et qui avait même dit une messe, le mardi, pour mes camarades de confession catholique.

- Que mon nom ne figurait pas sur cette liste (un oubli que personne n’a pu m’expliquer) (1), et que m’a mère en a été très affectée.

- Que mon père, inquiet, avait téléphoné partout et qu’on lui avait répondu que seules étaient acceptées les communications officielles.

- Que le seul rempart entre la force locale et nous était le colonel, un capitaine, deux civils et un garde-mobile, seuls Européens, comme cadres, de notre camp…

(1) Nous étions seulement deux juifs dans le camp et j’ai compris plus tard que c’était la raison pour laquelle nous n’étions pas sur les listes du curé.

- Qu’un camarade de 19 ans avait été arrêté chez lui, alors qu’il sortait de sanatorium ( deux mois) et qu’il attendait d’être libéré pour y retourner…

- Qu’un autre détenu était devenu comme fou un soir, et qu’il avait voulu mettre le feu aux paillasses.

- Que j’avais maigri de quatre kilos… que partout les inscriptions FLN étaient restées gravées sur tous les murs.

Mais à quoi bon ? …

Jeudi 17 mai, on nous apprend que certains vont être libérés. Mais les consignes de libération sont les suivantes : Nous serons laissés à la sortie du camp vers 17 h, si nous le désirons, nous pouvons être escortés jusqu’à la gare. Escorte de la force locale sans doute. Le colonel refuse que nous soyons libérés dans de telles conditions. C’est trop dangereux. Les collègues libérables passent donc une nouvelle nuit au camp… le curé du Sacré-Cœur alerte nos parents pour qu’ils viennent nous chercher au camp.

Nous sommes cette fois pris d’inquiétude pour eux. Les routes sont peu sûres avec tous ces enlèvements. Et puis nos parents vont se trouver nez à nez avec la force locale à l’entrée du camp, il peut y avoir des incidents.

J’écris à ma mère en lui demandant de ne pas venir, que je me débrouillerai bien et tous mes copains font de même. Vendredi pourtant toutes les familles des libérables sont à l’entrée du camp… le soir, nous ne sommes plus que huit dans la chambrée. Je ne dors presque pas… le colonel vient nous réconforter. Il m’annonce ma libération pour samedi après-midi. Enfin l’heure arrive.

On nous sort de notre petit camp. Nous voyons pour la première fois les barbelés derrière nous. La première fois depuis 10 jours. On nous rend nos papiers d’identité. Nous apercevons le long de la route, à 200 m, de l’entrée principale, une file de voitures.

Entre ces civils et la force locale à l’entrée, il existe un no man’s land. Un homme fait les cent pas au milieu. C’est le colonel. Il est là, en quelque sorte pour servir de tampon. Pour empêcher tout incident. Ils n’oseront pas tirer ainsi, pensons-nous. On attend en file indienne, barbus et sales. Une femme s’approche, la mère d’un copain encore interné. Elle passe un colis au colonel…

Tout à coup, j’aperçois ma mère qui s’avance. Elle essaie de m’apercevoir. Elle se détache du groupe. Un soldat s’avance : "Tu dégages", lui dit-il en la menaçant de sa MAT 49.

"Enfin je retrouve les miens. Ma mère pleure, elle a le visage défait par des nuits d’insomnie. Mon père, aussi, est là, les mâchoires serrées, les poings fermés. On s’embrasse. Tout le monde pleure autour de nous. On embarque vite quatre autres camarades dans la voiture et on file…vers Alger….

Deux jours plus tard, j’étais en France avec ma famille.         

 

(1) Ce mot race n’a bien sûr pas été utilisé par moi. C’est le journaliste qui en parle, je retranscris ici scrupuleusement l’article du journal. Ce mot insupportable montre bien que RIVAROL à l'époque, même s’il voulait se donner bonne conscience en parlant du témoignage d’une jeune juif, ne pouvait éviter, par ce mot anodin pour lui, montrer sa vraie nature. Pour ces gens les juifs font partie d’une race et c’était d’une telle évidence pour eux qu’ils n’ont même pas compris qu’en utilisant ce simple mot il montrait leur vrai visage.

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