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Cela faisait plusieurs jours que je sillonnais la ville de Constantine, avec l'espoir de retrouver au hasard de mes promenades, quelques éléments qui m'étaient familiers.
Comme quinze ans s'étaient écoulés depuis notre départ, j'avais totalement renoncé à l'idée de croiser un parent, un ami proche, ou à défaut une de mes connaissances. Mais, ce n'est pas là mon propos, et je raconterai ailleurs comment cela finit par advenir de façon fort surprenante, sous une des formes les plus inattendues.
Essayons de nous limiter ici à deux éléments faisant l'objet de mes recherches, qui comme assez souvent avec moi, deviennent vite quasi obsessionnelles.
En premier lieu, il me fallait à tout prix, trouver une assiette de Gnaouias.
Les Gnaouias sont ces légumes que ma mère inscrivait au menu du jour ; et quand elle le faisait, c'était comme un repas de fête, car elle savait donner à ce plat une saveur telle que nous nous en raffolions tous. Dire que ce sont des sortes de gombos donne une piètre idée de ce qu'ils représentent dans mon album de souvenirs. Je n'aurais jamais osé contester à mon grand-père Henri la première place parmi les adeptes de Gnaouias, mais depuis qu'il n'était plus de ce monde, cette place de choix me revenait tout naturellement.
Aucune de mes recherches pour m'en procurer n'aboutissait, et pourtant je ne me décourageais pas. Les personnes que j'interrogeais me conseillaient d'attendre que le ramadan débute, car en cette occasion on verrait apparaître toutes sortes de plats absents le reste de l'année.
Un jour dans un restaurant, une fausse joie s'empara de mois. Lorsque je demandais, dans un arabe approximatif, au serveur s'il y avait au menu des Gnaouias, il répondit par l'affirmative. Je me léchais déjà les babines pensant que j'allais à nouveau pouvoir déguster ce plat qui avait dans mon enfance rempli mon palais de plaisirs si difficiles à retrouver par la suite. Quelle ne fut pas ma déception de voir arriver un plat de viande qu'aucun légume n'accompagnait. J'appelais le garçon qui ne comprenait pas mes réclamations car pour lui j'avais commandé de la Guenouna ; il était donc normal que l'on m'ait servit un plat de lapine.
Ce quiproquo me donna l'occasion de raconter cette petite histoire au patron de l'hôtel où je logeais, sans autre intention que de partager avec lui ce genre de mésaventures qui ne porte pas à conséquences. Et c'est avec une joie mêlée de surprise, que j'entendis deux jours plus tard frapper à ma porte. Comme elle n'était pas fermée, je dis tout simplement : Entrez ! La porte s'ouvrit et je vis passer le seuil un énorme plateau où trônait un plat de Gnaouias et sous lui mon hôtelier .
Nous nous assîmes tous les deux face à face ; des sirènes avaient à l'instant même annoncé la rupture du jeûne, mais je fus le seul à me délecter car on me fit bien comprendre que la nourriture offerte était à moi seul destinée.
Le deuxième motif de mes recherches était encore plus introuvable. Il s'agissait d'un jeu d'échec, ou plus exactement d'un adversaire avec qui j'aurais pu jouer à ce jeu, jeu pour lequel j'avais encore à l'époque un faible fortement prononcé. J'aurais aimé trouvé un alter ego, quelqu'un ni trop fort ni trop faible pour moi, une personne avec qui j'aurais pu tester l'une ou l'autre des ouvertures que je maîtrisais alors à merveille. A vrai dire, comme personne ne se présentait, n'importe qui aurait fait l'affaire. Ah, si j'avais eu un penchant pour les dominos ou le jacquet, je n'aurais eu que l'embarras du choix. On ne voyait pas de femmes mais des hommes attablés sur les terrasses des cafés ou le perron des magasins, uniquement des hommes qui enchainaient partie de dominos sur partie de dominos. Un bruit sec le plus souvent accompagné d'un cri triomphal. C'est ainsi que chaque joueur abattait ses pièces sur la table. Tout était fait pour attirer l'attention du passant. Mais je les laissais à leur occupation interminable et poursuivais ma marche, sans jamais m'attarder à jeter un regard même distrait sur le jeu des uns ou celui des autres.
En fin d'après-midi, alors que je regagnais ma chambre d'hôtel, en descendant comme d'habitude, la rue Clémenceau, que je m'entêtais toujours à appeler par son ancien nom la rue Nationale, j'eus le pressentiment que quelque chose d'inhabituel allait se produire. Et en effet, j'aperçus de loin deux enfants assis sur le pas de la porte d'entrée d'un immeuble autrefois cossu, à présent d'apparence rustique. M'approchant d'eux, je fus surpris de voir qu'ils jouaient aux échecs. Le plus jeune des deux, un petit brun à la tignasse drue, me parut assez vite être le plus fort des deux et cela ne déplaisait pas à un autre jeune homme qui de haut surveillait avec une attention soutenue chacun des coups joués. Je me tenais à ses côtés et bien que le voyant de biais, je compris assez vite quel lien de parenté le liait au champion en herbe. Ce petit bout d'homme montrait déjà tout ce qu'il maîtrisait dans sa façon de prendre le temps de la réflexion, et à son terme sa manière de déplacer les pièces en disait long sur son assurance. Néanmoins, à un moment clef de la partie, il ne vit pas le coup qui lui aurait permis d'arriver plus vite à la victoire. J'attendis la fin de la partie pour le lui faire remarquer. Ce qui l'amena tout naturellement à me proposer une confrontation.
Je ne sais s'il était fatigué, ou si mes remarques l'avaient impressionné, le fait est qu'au bout d'une dizaine de coups, il se retrouva dans une situation délicate, une de celles qu'il est difficile, voire impossible de retourner. Et cela ne fit qu'empirer pour lui, jusqu'au mat final. Au terme de cette partie, le grand frère me proposa de revenir le lendemain pour offrir à son cadet la possibilité d'une revanche. J'acceptai, tout en sachant que l'affrontement serait à nouveau déséquilibré, et risquait de provoquer chez mon jeune adversaire la répétition d'une déception.
Le lendemain, à l'heure dite, je me présentai devant leur domicile. Cette fois, on me pria d'entrer, ce que je fis sans craindre de les gêner à une heure si proche du déjeuner car je me doutais bien qu'ils respectaient le ramadan, et qu'en cette période de l'année, ils sautaient le repas de midi. Posé sur la table de la cuisine, il n'y avait d'ailleurs rien d'autre que le jeu d'échec. Comme promis, nous devions jouer. Le seul avantage que je concédais à mon jeune rival fut de lui céder les blancs, et donc à lui de commencer la partie. Comme il avait choisi une ouverture classique, les échanges furent brefs, et la partie se termina rapidement, à mon avantage.
Dès le mat prononcé, la porte de la cuisine s'ouvrit et je vis entrer une femme et une jeune fille, probablement la mère et la sœur des deux frères.
La première tenait au dessus de sa tête un plateau sur lequel étaient posés tous les ingrédients pour composer un couscous au beurre. La seconde m'apportait les couverts qui allaient me servir à le consommer. Et c'est au moment où j'observais leur marche gracieuse vers moi, que me vint l'idée de scruter au delà de leurs pieds nus avançant avec délicatesse sur le sol, le parterre lui-même et plus précisément, le carrelage dont il était revêtu.
Ce carrelage, comme dans un flash lumineux me rappela une image que j'avais enfant gravée dans ma mémoire. A l'âge de huit ans, âge où on a encore les yeux près du sol, mes parents m'avaient emmené avec eux chez ma grand tante, Gilette Guedj pour une visite de circonstance certainement malheureuse tant elle fut courte ; ce dont je me souviens soudain c'est de la forme et de la couleur de ces carrelages que j'avais regardés fixement vingt ans auparavant ne sachant pas quoi faire d'autre. Et l'échiquier que formaient ces carrelages était là maintenant, vingt ans après, devant mes yeux.
Madame Guendouz me confirma rapidement que l'immeuble qu'ils avaient transformé en hôtel et les quelques pièces attenantes où ils habitaient avaient bien appartenu à des gens nommés Maurice et Gilette Guedj.
Je ne lui demandais rien, mais elle crut utile de se justifier en affirmant que l'acquisition avait eu lieu en bonne et due forme, devant notaire, ce que me confirma ma tante Gilette à mon retour.
Je me dois de signaler aussi qu'à mon retour, je rendis visite à une des filles Guendouz hospitalisée à Paris. Je répondis également à la demande de mon hôtelier de lui envoyer quelques exemplaires du magazine Détective, censuré alors en Algérie.
Je n'ai jamais cherché à savoir si le plus jeune des Guendouz avait fait carrière dans le fameux club de joueurs d'échecs de Constantine, mais je me plais à croire qu'il a lui-aussi gardé un bon souvenir de notre rencontre, en août 1977.
El-Beze Marc Eliahou, le 24 août 2022, Avignon
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De Josette Sicsic
Editions Creaxion :
https://creaxion.info/produit/un-ete-62/
"Un été 62" publié par les éditions Creaxion (2022), raconte sur un ton drôle et enlevé ces minuscules morceaux d'Algérie qui ont fait la petite histoire de certains d'entre nous.
L'autrice, Josette Sicsic, journaliste, transmets en même temps les drames de la grande histoire et de ses derniers moments.
Prix : 18 euros.
↪ Cliquer sur l'image pour l'agrandir
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Je suis né à Alger à la maternité de l’hôpital Mustapha le 21 juillet 1935.
Six mois après ma naissance, dans les bras de mes parents à bord du Ville d’Alger, je voguais vers la France, la métropole où mes parents avaient décidé de s’installer.
C’est dans la ville de Montrouge commune séparée de Paris par le boulevard des maréchaux (le périphérique commencera sa construction en 1956.) que j’habiterais avec ma famille pendant vingt-sept ans. J’ai grandi et fréquenté la maternelle puis l’école de garçons de la rue Racine comme un petit parisien parmi mes camarades du primaire et du secondaire.
Je me sentais pareil à mes copains d’école et à ceux des activités sportives que je pratiquais avec enthousiasme. Certes, j’étais un vrai parisien, pourtant bien souvent à la maison j’entendais mes parents parler de l’Algérie. Ils évoquaient leur jeunesse, la famille, mon grand père, les oncles et les tantes et aussi les cousins dont j’apprenais les noms sans les connaître. Presque tous vivaient à Alger et pour moi déjà curieux et impatient d’en savoir plus sur ce pays, je découvrais sur mon atlas géographique l’Afrique, et dans mon esprit d’enfant, pour moi l’Afrique et l’Algérie ne faisaient qu’un seul pays.
Alors influencé par les illustrés et les films de l’époque, j’imaginais la jungle de Tarzan avec les animaux sauvages et une population curieusement vêtue, vivant dans un environnement exotique et dangereux. J’avoue que dès mon plus jeune âge mon imagination accompagnait souvent la perception de ce que j’apprenais et découvrais dans les livres, les films et les histoires que j’écoutais à la radio. C’était ainsi que j’imaginais ce pays où dès que l’on s’éloignait de la ville, on pouvait rencontrer des lions et des girafes.
Il était merveilleux mon pays natal, longtemps j’en ai rêvé de cette Algérie.
Cette période fut de courte durée, je viens d’avoir cinq ans quand la guerre arrive. Mon père mobilisé part combattre dans l’est, puis nous apprenons qu’il est prisonnier et envoyé en Allemagne dans un stalag près de Berlin, il y restera pendant trois ans et demi.
Durant cette période jusqu’à la fin de la guerre, avec ma mère, mon frère et ma sœur nous avons commencé notre errance à travers la France pour fuir les arrestations de la gestapo. J’ai écrit le récit de mon parcours en compagnie de ma mère de mon frère et de ma sœur. (Il fait l’objet d’une autre publication.)
A la fin de la guerre, de retour à Montrouge, dans la paix retrouvée l’évocation de l’Algérie a repris sa place dans les discutions familiales. J’avais dix ans à la fin de la guerre, et ma curiosité n’avait de cesse pour savoir, tout savoir sur ce pays, l’Algérie avait toujours un aspect un peu mystérieux. Alors mon père et ma mère me racontaient leur enfance, leur jeunesse laborieuse mais heureuse. Ils avaient vécu parmi une population multi nationale où se côtoyaient : arabes, kabyles, espagnols, italiens, corses et bretons. Ils m’expliquaient que cette mixité se passait dans un climat de bonne entente, avec le respect des coutumes et des traditions de chacune de ces communautés. Je me souviens que mes parents parlaient l’arabe et le kabyle et aussi un peu des autres langues de leurs voisins de quartier.
Après la réparation des blessures de la guerre, vint la restauration du moral de la famille et le bonheur de recommencer à travailler et retrouver des conditions de vie normales.
Dès que cela fut possible économiquement, mes parents décidèrent de faire découvrir Alger à leurs enfants. C’était pour les vacances au mois d’Août 1948, nous avons embarqué à Port Vendre à bord d’un cargo qui prenait aussi des voyageurs. La traversée fut mouvementée car les mouvements du bateau nous rendaient malade. Nous avons voyagé sur le pont car cela coûtait moins cher, allongés sur des transats, la nuit nous regardions le ciel constellé d’étoiles. Après trente sept heures de navigation nous sommes arrivés à Alger par une matinée ensoleillée.
C’était mon deuxième rendez-vous avec l’Algérie, je venais d’avoir treize ans, mon frère onze et ma sœur six.
Enfin je découvrais le pays de ma naissance, c’était beau, c’était tout blanc, je trouvais que la ville était belle, elle méritait bien qu’on la nomme, Alger la blanche, mais elle n’était pas aussi exotique que mes rêves d’enfant l’avaient imaginée. Je rencontrais mes oncles, tantes et cousins. Cette première journée fut surtout pour mes parents celle des retrouvailles. Mais ce furent les jours suivants que je découvrais vraiment ce qu’il y avait d’Algérie dans cette ville qui avait donné son nom au pays.
Alors j’ai voulu tout voir, tout sentir, tout goûter, je regardais vivre cette population où se mêlaient des gens vêtus comme des européens et d’autres en habits traditionnels gandouras et turbans et aussi les silhouettes blanches des femmes voilées.
Chaque jour je découvrais de nouveaux quartiers de cette ville, le port ; la grande poste, puis le jardin d’essais, c’est ici au milieu de ces grands palmiers et de cette luxuriante végétation que je retrouvais l’Afrique de mes rêves d’enfant.
Pourtant l’étonnement, la surprise et le bonheur de la découverte se situaient à deux pas de l’immeuble où habitaient mes grands parents. Rue Montpensier, face à l’école c’était le dernier immeuble européen, il jouxtait la médina, une étroite ruelle pentue descendait des hauteurs de la ville et marquait le début de la ville arabe.
Cette voie était régulièrement empruntée par des bourricots chargés de toutes sortes d’objets, de marchandises et aussi d’ordures ménagères. Tout au long de la journée je regardais ces caravanes monter ou descendre cette rue qui se nommait je crois, rue des dattes. Outre l’activité qui régnait sur cette ruelle, elle m’attirait et je ne résistais pas longtemps à me perdre dans le dédale des chemins tortueux qui sefaufilaient entre des habitations aux formes étonnantes. Cette partie de la ville arabe fut durant une période de mes vacances, le terrain préféré de ma curiosité, et aussi celui de la découverte d’une culture, d’un mode de vie traditionnel qui m’ont étonné et enrichi. Non loin de ce quartier je visitais le marché de la Lyre puis celui de la rue Randon. Le dimanche nous allions en famille nous baigner sur la plage de la pointe Pescade. Ce fut pour moi à l’âge de l’adolescence des vacances merveilleuses,
L’été 1948 fut mon deuxième rendez-vous avec l’Algérie.
Depuis des années se sont écoulées. En novembre 1956 j’ai vingt ans, appelé au service militaire je suis mobilisé et envoyé à Trèves en Allemagne. Après mes classes, compte tenu de mes études et de mon bagage technique je suis désigné pour effectuer une formation d’artificier démineur et je dois rejoindre la caserne de la Citadelle à Lille pour commencer ma formation. Je ne suis pas très heureux d’aller manipuler des explosifs mais je n’ai pas le choix, alors je vais m’appliquer à ne pas faire d’erreurs.
Durant plus d’un mois j’apprends à confectionner des mines des pièges explosifs de toutes sortes, mais aussi à désamorcer des mines, des roquettes des grenades des munitions de toutes origines Après avoir obtenu mon brevet d’artificier je rejoints ma caserne du 6 éme régiment de cuirassiers à Sissonnes dans l’Aisne. Trois semaines plus tard notre régiment prend la direction de Marseille que nous rejoignons par le train, et nous embarquons le 14 Mars 1957 à bord de l’ ATHOS II en direction du port de Bône. Nous sommes trois mille soldats à bord de ce vieux bateau qui navigue à petite vitesse. La traversée dure trois jours dans une mer agitée. Durant le voyage on nous approvisionne en munitions, chargeurs et grenades et nous vérifions le fonctionnement des armes. Nous débarquons le 16 Mars 1957 dans le port de Bône.
C’est mon troisième rendez- vous avec l’Algérie.
Dès le lendemain nous partons en train en direction de ville de Tébéssa trois cents kilomètres au sud sur les hauts plateaux et les djebels des monts Némentcha.
( A partir de cette date je vais tenir un carnet de bord dans lequel je noterai chaque jour les évènements vécus et mes observations de ma vie de soldat et d’observateur attentif de cette période de la guerre d’Algérie jusqu'à l’arrivée du Général de Gaulle à Alger et Constantine)
De retour d’Algérie je reprends mon activité professionnelle et parallèlement un cycle d’études universitaires interrompu pendant ma mobilisation.
Au cours de ma carrière, j’ai été appelé à des fonctions de direction technique de plusieurs entreprises en France et à l’étranger. J’ai par ailleurs développé des technologies et déposé plusieurs brevets.
Directeur technique d’une entreprise de transformation des matières plastiques en Lorraine j’ai créé et développé un procédé nouveau à l’époque, dans le domaine des contenants des produits chimiquement agressifs.
Cette découverte est à l’origine de mon quatrième rendez-vous avec l’Algérie.
L’aventure débute ainsi :
Le commandant Jacques Yves Cousteau à bord de son navire la Calypso est en campagne d’exploration sur la flore et la faune de la Méditerranée.
Au cours de ses prélèvements avec son équipe, il constate avec étonnement l’absence totale de tout organisme vivant dans tous les prélèvements qu’il a relevés depuis plusieurs heures.
Poursuivant ses recherches dans une autre zone, les prélèvements sont identiques, absence totale de toute vie organique. Plus un poisson, plus de plancton, disparition de toute espèce végétale.
Devant ce constat surprenant le commandant décide d’explorer une zone plus large de ce secteur de la Méditerranée, mais les prélèvements donnent les mêmes résultats. Il n’y a plus d’organisme vivant dans cette partie de la mer. En examinant sur la carte marine l’endroit où la Calypso faisait ces prélèvements, le commandant constate qu’il se situe au large de la côte Est de l’Algérie face aux villes portuaires de Bône et de Philippeville devenues Annaba et Skikda.
Après avoir débarqué à Skikda, Cousteau visite l’usine pétrochimique qui traite le pétrole des gisements en provenance du Sahara. Poursuivant son investigation le commandant découvre une rivière qui déverse dans la mer des effluents issus du traitement de la raffinerie.
Après avoir interrogé les dirigeants de l’usine, Cousteau apprend que cette rivière se déverse dans la mer depuis des années.
Suite à cette découverte les autorités scientifiques du pays ont examiné sérieusement le problème et découvrent que les effluents rejetés en mer depuis des années par l’usine de Skikda sont composés à plus de quatre vingt dix pour cent, d’hypochlorite de soude.
Ce produit est très proche de la composition de l’eau de javel que paradoxalement l’Algérie importe en très grandes quantités depuis la France.
Par ailleurs, d’après les scientifiques, il faut savoir que si cette rivière d’hypochlorite de soude n’avait pas été stoppée, elle aurait pu à terme polluer presque toute la Méditerranée.
La suite de cette aventure : la diffusion des informations concernant l’évolution des technologies a contribué à faire connaître le résultat de mes recherches dans le domaine des contenants thermoplastiques. Et en particulier ceux compatibles avec le conditionnement de produits agressifs comme l’eau de javel.
C’est ainsi que j’ai été approché par les services techniques et l’administration Algérienne pour installer la ligne de fabrication nationale des doses de javel pour tout le pays.
Après avoir réglé les conditions et le planning de ma mission en Algérie, l’ambassade d’Algérie me délivre un visa et le 8 mars 1990 j’atterris à l’aéroport Houari Boumediene d’Alger.
Après une réception officielle je suis invitépar des membres d’un ministère dont je ne me souviens plus le nom, et après avoir rencontré encore plusieurs autres personnalités, j’ai été conduit à mon hôtel pour me reposer. J’avais un peu de temps avant de me préparer pour une invitation dans un grand restaurant de la ville.
Deux jours plus tard un vol intérieur me déposait à Bône et c’est par la route qu’une voiture m’a enfin conduit à Skikda sur le lieu de ma mission. Après la mise en route de la ligne de fabrication, je suis resté quelques jours supplémentaires pour former les ingénieurs et les cadres algériens au fonctionnement et au contrôle de l’ensemble des machines.
Je fus à cette époque très bien accueilli par les autorités nationales du pays à Alger ainsi qu’à Bône et Philippeville.
Ce fut en Mars 1990, peut-être pas, mon dernier rendez-vous avec mon pays natal.
Claude DAYAN
PARIS le 6 MARS 2022
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1943 → 1962 ma naissance → mon départ
1943 → 1954 ma naissance → les événements
Que me reste-t-il de l'Algérie, de ce pays d'Afrique du Nord où je suis née ?
Très peu de souvenirs de la petite enfance à part les récits familiaux.
Ensuite, les événements comme on disait qui vont rythmer une adolescence et une jeunesse volées.
Après le village de Fornaca (Oranie) où je suis née c'est Mostaganem qui accueille la famille Bellange, Nessim, sa femme Andrée née Moriousef et les filles Danielle et Lydia avant d'accueillir Francis et Jocelyne.
Mostaganem petite ville (70 000 habitants) construite sur un plateau est au bord de la mer dans la baie d'Arzew entre la Macta au nord et au sud la plaine du Chelif.
C'est près de Mosta que vient se jeter le plus grand des fleuves de l'Algérie .
Le Chelif (700 km) traverse les monts de Miliana, du Dahra et ceux de l'Ouarsenais.
Il coloriait la mer d'ocre quand les pluies diluviennes déferlaient en emportant la riche terre rouge du Dahra.
C’est du port de Mosta que partaient les pinardiers emportant dans leurs flancs les vins lourds et très titrés, les primeurs et les agrumes, produits de ce terroir.
L’irrigation due à Philippe Lamour (le même qui a irrigué le sud de la France)
a permis le développement de ces cultures.
La famille Bellange habitait rue Voltaire face à la Glacière Mostaganemoise - lettres noires sur toute la longueur d'un mur chaulé de blanc.
Ah ! la glacière, du haut de notre balcon on vivait à son rythme, à son bruit, à son animation, à ses odeurs.
Au fond, la machine à piler la glace qui mangeait goulûment ces longs pains de glace
posés sur un sac de jute sur l’épaule des hommes.
Au fur et à mesure les camionnettes, les charretiers prenaient leur cargaison et filaient en direction
du port pour maintenir au frais les arrivages de poisson car "Mosta" est aussi un port de pêche.
Je fréquentais l’école "ROSE" ça ne s'invente pas, elle était tout simplement peinte en rose.
Je n’ai pas de bons souvenirs de cette période scolaire.
Nous étions admis mais pas aimés. Nous étions socialement des petits.
Nous ne portions pas de cadeaux à nos maîtresses.
Je dois à Madame Becker d’avoir passé le concours d’entrée en sixième et le CEP (classe où j’avais été reléguée). Merci madame !
Mes parents travaillaient : mon père chez un patron juif qui ne lui faisait pas de cadeau. Ma mère était couturière. Nous étions toujours bien vêtues et ma mère fut sollicitée pour habiller les filles et les mamans, nos voisines. Une clientèle se constituait parmi la famille Evrard, mère et filles. Elles achetaient les tissus et patrons à Paris et revenaient avec les catalogues de mode. A la maison, c’était la ruche ; les essayages, les allées venues, l’atelier (une pièce de la maison) bruissait constamment. Souvent en rentrant du collège, une pièce m’attendait à surfiler, à ourler. Un dernier petit coup de fer ; la robe, le tailleur un manteau disparaissait dans une grande feuille de papier bleu. Ma mère épinglait l’enveloppe avec la petite note et je partais livrer avec les consignes d’usage si on me payait directement.
Déménagement rue Franklin pour un appartement plus spacieux dans l'immeuble Pineda comme il était d'usage à l’époque de donner le nom du maître d’œuvre.
Changement de cadre de vie. Nous sommes en ville nous dominons le parc, la mer, la caserne des tirailleurs. Nous sommes face à la "maison du Colon" près du Prisunic et du marché.
A chaque marché, nous revenions avec un morceau de Calandica (Socca à Nice) enveloppé dans du papier journal. C’était chaud, c’était gras, c’était bon.
Le dimanche on s’habillait chic, on mettait du Sent Bon comme disait mon père et direction les arcades.
L’endroit où l’on faisait le boulevard où tout le monde allait et venait.
Certains avec son paquet de chez "Lesauvage" célèbre pâtissier de Mosta.
Sur la grande place, l'immense église toute blanche trône, entourée d’arcades où se trouvent les cafés
Aknin et Hagay où les hommes se rassemblent. Parmi eux, mon grand-père Joseph Moriousef.
Après une dernière anisette, il s’en va de son pas pressé descendre les monumentaux escaliers
qui mènent au quartier de l’Avenue Raynal, où vivent les familles Mamain-Medioni-Adida-Monsonego et Moriousef.
La maison des grands-parents maternels est en rez-de-chaussée, grande en forme de U,
avec une cour ouverte dans le fond.
Il y avait deux cuisines ; ce n’était pas de trop pour accueillir neuf enfants, gendres,
belles-filles et petits-enfants pour fêter autour du patriarche Roch Hachana, Yom Kippour, Pessah où les enfants bien repus dormaient pendant que les hommes lisaient la HAGADAH jusqu’au bout du bout,
Yom Kippour c’est l'heure tardive à laquelle arrivait le rabbin pour égorger nos volailles. Il faisait tournoyer les volatiles sur nos têtes avant de les tuer et les faire disparaître
sous la grande lessiveuse en zinc. Après son départ et quelques pièces (nos rabbins n’étaient pas riches) nous voici tous à plumer – nettoyer – vider – Yom Kippour ce n’était pas la fête !
La Hilloula ! Oui ! J'en garde un souvenir intact. Nous partions tous au cimetière qui dominait la ville. Un grand et beau cimetière. Le long des allées, des marchands qui vendaient du bazar. Nous avions droit une petite bague bleue. Nous descendions femmes et enfants à l’endroit où reposaient les "saints" sous la pierre chaulée de blanc. Et là, pieds nus, une bougie à la main et en arrière nous cheminions à travers ce sanctuaire avant d’allumer notre veilleuse. Place aux hommes qui à leur tour arrivaient. Ils étaient précédés d’un orchestre oriental. Ils dansaient, chantaient et nous arrosaient d'anisette.C’était une belle fête pour nous les enfants. Avec le recul c’était païen.
J'ai peu de souvenirs de la grande synagogue de Mosta édifiée en 1848, inaugurée en 1857.
Elle accueillit1 Napoléon III en 1865
Une anecdote circule dans la famille maternelle. Les SOUSSAN étaient orfèvres et auraient prêté leur argenterie pour recevoir dignement l’empereur…
Toutes les fêtes familiales se déroulaient dans les maisons et non pas la synagogue. xxx.
Les événements vont obliger la communauté à la fermer à cause de son emplacement dans le quartier musulman. La nouvelle synagogue est petite, moins solennelle, plus accueillante. Le rabbin MARCIANO la dirige et sa femme mène sa chorale vocale et instrumentale d'une main experte.
Nous chantions partout, à la synagogue pour les offices, dans les maisons pour les heureux événements.
J’étais soliste ce fut un épisode heureux de mon adolescence. Je me surprends à fredonner certains airs et pendant ces moments-là je suis là-bas chez moi. Nostalgie.
Maintenant les femmes ne peuvent pas chanter dans les synagogues.
Les temps changent pas toujours en bien.ooo
Il faisait chaud dans mon pays, très chaud. L'été pendant huit mois la famille Bellange s’installait à Petit Port station balnéaire dans le Dahra. Mon père suivait son nouveau patron et sa famille. Monsieur Evrard était Colon et conseiller général. Mon père était son chauffeur, son homme de confiance. Monsieur Evrard regagnait ses terres et ses vignes ; il était normal pour lui que nous le suivions.
Nous avions une villa prêtée par le patron entre mer et forêt. Tout un été de liberté, de baignades, de matchs de hand-ball, de siestes (soi-disant) sous les pilotis des cabanons, de pédalo, de périssoire, de hors-bord (celui du patron) et de pêche aux oursins sur la barre rocheuse.
La fête du village avec son mât de cocagne (bien savonné par mon père), son lâcher de canards et d'oies sur l'eau. Et moi serveuse chez PESSERAN (le café) et ma sœur serveuse chez Taquinelli (le deuxième café) pour prêter main forte. Les fêtes de village en Algérie, des moments forts, nous avons vu les grands orchestres comme Georges Jouvin – Ray Ventura, même Ray Charles à ses débuts.
De gros nuages viennent envahir notre vie et nous allons commencer à vivre avec la peur.
L’inquiétude est présente : mon père et son patron sont armés pendant leurs déplacements, ils sont visés ;
le patron est une "grosse légume" comme on disait FLN - OAS - l’escalade, les opérations, le maquis, le couvre-feu, les militaires (trois ans d’armée) tous dans le même sac. Pâtosses et pieds-noirs.
La rébellion, le putsch, les gardes mobiles, à nouveau l’escalade.
La vie est moche, il y a des morts et des blessés. Ce sont des attentats.
Tout un nouveau vocabulaire dans notre vie de jeunes.
Tout est danger, aller à l’école, aller travailler.
L’angoisse diminue le soir quand tout le monde est à la maison.
Tout est hermétiquement fermé (couvre-feu oblige à 18h).
Certains soirs une ou des explosions. Où ça ? Des fois dans notre rue ; pourquoi la blanchisserie ? L’immeuble en face ? Autant de questions sans réponse.
Certains soirs tout l'immeuble montait sur les terrasses et c’est tout Mostaganem qui raisonnait des bruits "Algérie française" que nous tapions en scandant sur nos couvercles de faitout.
On était content, on avait agi.
Mais dans le quartier arabe de TIGDITT les youyous nous répondaient…
Et la peur, présente, muette.
Et puis l’espoir De Gaulle arrive à Mostaganem des milliers de gens l'attendent tous mélangés sur l’esplanade somptueuse de la mairie, où trônait son monument aux morts "morts pour la France".
Il est là sur le balcon et il discourt longuement, la foule applaudit, hurle et quand nous l’entendons dire
L'ALGERIE RESTERA FRANCAISE c'est du délire.
Nous y étions avec nos drapeaux hurlant, chantant une marseillaise vibrante.
(en Algérie tout le monde chantait la marseillaise).
En rentrant à la maison nous avions changé, l'avenir avait changé, nous allons rester.
Le soir après avoir raccompagné son patron mon père dit à ma mère "Andrée nous allons partir c'est Mr EVRARD qui m'a dit "Mr BELLANGE préparez votre famille au départ".
Le 2 juin 1962, nous sommes à la SENIA aéroport d'ORAN, chacun avec un numéro ma mère ses 4 enfants ses parents quelques valises. Mon père reste encore.
Ce même jour, nous atterrissons à MARIGNANE aéroport de MARSEILLE FRANCE.
Secours catholique, sandwichs au fromage, les scouts nous dirigent vers la GARE SAINT CHARLES direction Montpellier. Il est minuit.
Deux taxis nous prennent en charge et nous tapis, au fond du véhicule nous traversons Montpellier, la place de l'OEUF avec son animation de sortie de cinémas. Et nous nous disons "Ils sont fous, c'est le couvre feu."
Nous arrivons, chez de la famille, rapatriée elle aussi, et qui ne nous attend pas.
Minuit le 3 juin 1962 une autre vie attend la famille BELLANGE.
Ma soeur aînée vit au CANADA depuis 1965.
La famille EVRARD quittera l'ALGERIE pour le BRESIL. MEKTOUB.
MEMOIRE SEPHARADE.
Pour écrire ces pages, je n'ai pas fouillé ma mémoire ; les souvenirs sont présents ils se dévident comme un cocon de soie.
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Lydia SABBAN née BELLANGE
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AVIGNON VAUCLUSE
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xx Exemple. En 1960, année de la bar-mitsva de mon frère, après la cérémonie, toute la famille se réunissait à la maison. On se casait comme on pouvait. Les repas étaient faits maison ; sœurs et belles-sœurs venaient prêter ma forte. Les feuilles de brick était fabriquées sur le cul de la bassine en cuivre. Les oranais les relizanais ceux qui venaient de loin était logés chez la famille proche ; les filles ensemble ; on dormait tête-bêche comme des sardines ; c’était la grande réunion familiale. On avait un pick-up et on chantait avec PAUL ANKA les PLATTERS, et nos chants de tradition avec ma grand-mère Diamante.
ooo C’est pendant cette époque là que les EI furent créés. Nous étions Danielle et moi éclaireuses, nous étions scouts avec toutes les activités inhérentes à ce mouvement. Buisson Ardent était notre chef régional. Ce fut bref mais bon.
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C'est à la demande de Colette WEINSTEIN, que j'évoque mon départ, dans cette soixantième année d'après. Je forme le vœu que le maximum de lecteurs témoigne aussi. L'association MORIAL pourrait faire un recueil de nos témoignages
Quand le 1er novembre 1954, survinrent les premiers assassinats commis par les rebelles, qui se nommèrent eux-mêmes "fellaghas" (mauvais travailleurs, en arabe local), je n'étais qu'un petit garçon de sept ans et demi. Je n'avais encore qu'un frère cadet et une petite sœur. Mes parents z'l. (Contraction de זיכונו ליברכה, de souvenir béni, ou laherhmo comme on disait là-bas) n'étaient plus tout jeunes, car ils s'étaient mariés tard, à cause de la guerre.
Nous habitions au numéro 84, de l'avenue Malakoff. Du pied de l'immeuble, jusqu'au stade Marcel Cerdan, s'étirait le square Ricôme, "le jardin", comme les enfants du quartier l'appelaient, entre l'avenue Malakoff et le boulevard Pitolet.
J'y jouais parfois avec Jean-Paul DURAN, celui qui œuvre pour la dignité de nos disparus enterrés au cimetière juif de St Eugène.
Presqu'en face de la cité de la Consolation, l'appartement donnait d'un côté, sur la basilique Notre-Dame d'Afrique, et de l'autre, au-dessus de "l'Eden Plage", sur la magnifique baie d'Alger. Nous pouvions voir jusqu'au cap Matifou. Les matins d'automne, j'aimais contempler le ciel coloré du panorama grandiose où se dressait, très au-delà de la baie, le Djurdjura, souvent enneigé. L'insécurité causée sur les routes du pays par les rebelles, altéra l'activité de mon père. Il faisait de la "grande remise", pour de riches touristes visitant l'Algérie, et l'Afrique du Nord, qu'il connaissait très bien. Il se contenta d'être taxi à Alger. Comme la majorité des femmes de l'époque, ma mère s'occupait de ses enfants et de la maison.
J'étais donc en CE1, à l'école Sigwalt, rue des Lavandières, à Bab-el-oued. L'école était mitoyenne à la synagogue de la rue de Dijon, le "temple LEBAR". Officiellement, la "guerre d'Indochine", venait de finir.
J'ai encore en mémoire la réflexion, de la mère d'un camarade qui me raccompagnait de l'école en même temps que ses enfants : "Encore un Juif qui trahit la France", à propos de P. MENDES-FRANCE, président du conseil d'alors.
Pourtant, au quotidien, ce genre de préjugés antisémites n'altéraient pas beaucoup nos relations. J'y étais quand même sensibilisé, par les récits de mon père z'l, qui nous racontait l'incendie du modeste commerce de mon grand-père, par des émeutiers d'extrême droite. Ma mère aussi parlait des collabos antijuifs, qui sévirent à Sétif, avant, pendant et même juste après la guerre. Plus tard, mon beau-père me raconta comment il fit ses études de pharmacien à Toulouse, parce qu'à Alger, les étudiants juifs étaient presque toujours recalés. Une unique fois, je me suis bagarré avec un taré antijuif, dans le stade voisin de St Eugène. J'ai aussi entendu les propos vengeurs d'un intoxiqué au nazisme, de ma classe à Bugeaud, lors de la pendaison du déchet nazi en Israël, en mai 1962.
Au lycée Bugeaud, j'eus aussi pour camarade de classe Alain VIRCONDELET, célèbre biographe d'Albert Camus. Je lisais ses écrits ici, ou là. Je l'ai vu plusieurs fois à la télévision, mais depuis le lycée, je ne l'avais jamais rencontré. Or en février 2020, il donna à Paris, pour Morial, une conférence "Camus fils d'Alger". J'y assistai. Bien sûr, je l'ai rencontré. Et à la fin pour conclure, il m'a dédicacé la soirée. J'en fus très touché. Surtout que j'avais rappelé mon premier prix de rédaction.
Aujourd'hui, je témoigne : du début à la fin, "les évènements" n'eurent pas d'effets, du moins en ce qui me concerne, sur nos relations avec les jeunes musulmans de notre entourage. Que ce soit nos camarades de classes, ou les gosses du quartier. Il nous arrivait de nous bagarrer. Mais nous évitions d'en parler. Chacun, acceptant tacitement, que les musulmans soutiennent les indépendantistes et vice-versa, que les non musulmans soient pour l'Algérie française. Bien sûr je ne parle que pour ma tranche d'âge de l'époque. Pour le reste, quand entre gosses, fusaient des insultes "racistes", ce n'étaient vraiment, que des trucs de gosses.
Je signale quand même une exception, un voisin d'en face, une graine de virulent déchet nazislamiste, ouvertement antijuif, comme sa famille d'ailleurs. C'est exactement à cause de ce genre "d'individus", que nous avons fui. Ils incarnaient déjà, le fanatisme hégémonique musulman, et ce fanatisme-là, nos parents le connaissaient et ils nous en parlaient aussi. J'insiste, car sur cette période, la plupart des évocations juives "publiques" minimisent l'antisémitisme d'une partie des musulmans, tout en insistant sur l'antisémitisme du reste des Pieds-Noirs. J'ai bien compris que la génération précédente a souffert de l'antisémitisme "Pieds-Noirs", mais j'affirme que pour ma génération, ce ne fut pas le cas. A contrario, nous craignions davantage l'antisémitisme musulman.
En 1956, la fameuse "l'opération de Suez", contre le prétentieux NASSER, nous fit plaisir. Jusqu'en 1957, les "évènements" ne suscitèrent, chez nous, qu'une sourde inquiétude. A Alger, je ne vis qu'une seule manifestation musulmane. Ce fut à la sortie d'un match de foot entre l'ASSE et le MCA, (Mouloudia Club Algérois). Il n'y eu que de légers dégâts matériels. Mais après l'attentat sanglant au Casino de la Corniche, ce fut la première "ratonnade", à la sortie du cimetière voisin. Mon frère cadet fit des cauchemars, en revoyant un malheureux musulman de passage, précipité sur les rochers, depuis le parapet du boulevard.
Au printemps 1957, les évènements frappèrent directement ma mère. Un déchet assassina son frère ainé, dans son magasin, à Sétif. Il laissait une veuve sans ressource et quatre jeunes orphelins. A l'époque, le chef du GPRA, donc le chef de la rébellion, Fehat ABBAS, était encore pharmacien à Sétif. Il avait accepté, sans doute pas cet acte précis, le terrorisme, comme moyen de revendication. Le soutien des musulmans d'Algérie aux "fédayins", comme on appelait alors, les déchets nazislamistes nuisant en Israël, acheva de faire des "évènements", une guerre de religion, du moins pour la plupart des Juifs de mon entourage.
Dès lors, nous ne comprenions plus les Juifs qui n'étaient pas pour l'Algérie française et contre la rébellion. Il n'y a pas longtemps, j'ai appris, que la sœur aînée de ma mère était communiste. Pourtant, je l'ai toujours connue "Algérie française". Parmi les Juifs favorables à l'indépendance, ma mère parlait des SZAFRAN de sa Sétif natale, famille d'un des rédacteurs de Marianne. Plus proche, notre voisine de palier, veuve constantinoise, faisait la causette avec ma mère, presque tous les jours, nos vérandas étant adjacentes. Sans approuver le terrorisme, cette voisine comprenait les indépendantistes. Elle pensait, dès le début qu'ils l'emporteraient. Mais elle se trompait en disant qu'en tant que Juifs, nous ne serions pas concernés.
C'était la tante d'un Algérois célèbre : Jacques ATTALI. Il est de ces Juifs d'Algérie, qui minimisent l'hégémonisme musulman. L'interviewant pour Israël Magazine, je lui racontai que selon ma mère, nous étions frères de lait. De son côté, Jacques ATTALI m'appris que sa cousine, la fille de notre voisine, devenue notre médecin à Alger, habitait à Nice. Or c'était la cible préférée, des déchets nazislamistes dont j'ai parlés : ils l'accusaient de mal les soigner volontairement.
Quelques faits marquant. Il y eu une succession de gouverneurs d'Algérie, du détesté CATROUX, à l'adulé SOUSTELLE. Je me rappelle très bien, de la première manifestation de mai 1958. En classe au talmud-torah de la rue Suffren, on nous a demandé de renter chez nous, à cause de la manifestation. Un peu plus tard, avec mes parents, j'assistai sur le célèbre Forum à une autre manifestation. Celle où de GAULLE prononça son célèbre "Je vous ai compris". A l'école, nous avions appris son rôle, durant la guerre mondiale. L'immense foule scandait "SOUSTELLE, SOUSTELLE". De GAULLE arriva au balcon du GG et sèchement, il intima à la foule : "Chut, taisez-vous !". Je n'avais que onze ans, mais d'emblée, mais cela me fit mauvaise impression. Mauvaise impression confirmée, hélas. Durant l'été 1959, j'étais chez mes grands-parents maternels à Sétif. Mes parents étaient en France, ma mère attendait la naissance de mon petit frère. Je me rappelle la consternation de mon oncle et mes tantes, quand ils entendirent à la radio, la déclaration de de GAULLE sur l'autodétermination.
Lors de cet été 1959, mon cousin Gérard, ami de Julien ZENOUDA, fit visiter à mes parents un vaste appartement, place de la République à Paris. Il conseilla à mon père, qui en avait les moyens, d'acheter ce bien. Mais mon père n'y croyait pas. Comme mes parents, j'ai cru et espéré, jusqu'au bout, que quelque chose enrayerait le processus déclenché par cette déclaration. Nous avons cru aux "barricades", nous avons cru au Putsch, et nous avons cru en l'OAS.
La vie juive est centrale pour moi. Décédé deux mois avant ma naissance, je n'ai connu de mon grand-père paternel, que son talith et son sidour, en plus de son portrait sur la cheminée. Selon l'usage, j'en porte le prénom hébreu. Comme ses trois frères et sa sœur, mon père, ignorant tout de notre Tradition, était non pratiquant. Ma mère venait d'une famille plus attachée au judaïsme. Mon grand-père maternel était aussi "sofer". Il a rédigé un livre de "ségoulote". Comme les femmes de son temps, l'essentiel de la pratique de ma mère était culinaire. En plus du fameux couscous et les "tfina" du Shabbat, chaque fête juive avait ses succulentes traditions. Par la gazette de MORIAL, j'ai appris que des expressions, que je croyais familiales, étaient en usage à Alger, comme par exemple le mot "Betmor" à propos du séder de Pessah. Donc, j'ai commencé à fréquenter le Talmud Torah de la rue Suffren à l'âge de six ans. Le directeur était alors le rabbin ABIB, oncle d'un des élèves de ma classe. Le premier "moreh" s'appelait LEVY. Il devait avoir une vingtaine d'années.
Il y avait bien sûr, d'autres enseignants dont les noms sont plus connus et dont je fréquentais ultérieurement les classes. Parmi, l'aumônier CHEKROUN. Dans sa classe, en 1957, j'ai même obtenu le prix d'excellence, remis lors d'une cérémonie au cinéma "Marignan", de Bab-el-oued. J'ai souvenir aussi d'un monsieur EISNER. C'était un "chaliah" de la "sohrnout". Les photos en noir et blanc, qu'il distribuait, pour nous faire aimer Israël, n'avaient pas vraiment l'effet escompté. Malgré tout, les élèves du Talmud Torah aimaient Israël. J'ai connu le remplacement du vieux cimetière juif de la rue Suffren, par la construction de l'école Maïmonide. Durant son service militaire, Jacquot GRUNWALD y fréquentait les offices religieux. Je revois encore le sévère, Maître BECCACHE, l'inspecteur du Talmud Torah, et son insistance, pour une bonne prononciation de l'hébreu. J'en mesure pleinement l'importance aujourd'hui. Je n'admets pas que le "âïn"- "ע"ne soit pas prononcé, dans l'Ivrit actuel. Ce talmud-torah, où Simon DARMON était enseignant. Il était aussi "madrikh" du Bné Akiba. Et puis ce fut la préparation à la Bar-misva. C'était dans la classe du rabbin Albert Abraham AMAR. Il officiait dans une synagogue du bas de la casbah, celle de la rue Sainte, je crois. Il habitait, avec sa femme la synagogue de St Eugène, où son beau-frère BEN-DAVID, était rabbin. A. AMAR a réintroduit à Alger, un judaïsme plus orthodoxe dans l'enseignement, là où prévalait la liturgie. Le samedi après-midi, j'allais parfois aux "oneg shabbat", qu'il organisait dans la cour de la synagogue de St-Eugène. Albert AMAR fut longtemps le rabbin de la synagogue algéroise Ribach et Rachbats de Nataniya. Pourtant Morial n'en a jamais parlé.
J'ai cité des noms, parce que beaucoup plus tard et loin de l'Algérie, j'ai retrouvé ces personnes, dans plusieurs endroits et diverses circonstances. Un oncle joua un rôle important pour ma famille et moi, Sylvain FARRO z'l. C'était le mari de la sœur de mon père. Curieusement, je n'ai jamais vu son nom dans Morial, alors qu'il succéda à Elie ZERBIB, comme président de la synagogue "algéroise" Brith-Shalom, rue St Lazare, à Paris et du Comité Parisien des Israélites de l'Algérois, dont il a toujours tenu la trésorerie. Il était fier de son titre de Roch Hebra Kadisha. C'est à lui que se réfère notre ami Simon DARMON, dans son "livre de nos coutumes", à propos des usages funéraires juifs à Alger. Il était le frère aîné de Jonas, fabricant de matsot. Chassé des PTT par les lois de Vichy, j'ai connu la fin de son modeste commerce de vin, dans lequel il s'était reconverti. Il fut "sandak" de ma "brith-mila". En l'absence de mon grand-père paternel décédé, selon la coutume, cet honneur aurait dû revenir au frère ainé de mon père. Mais il le déclina, n'en appréciant sans doute pas l'importance. A l'époque, Sylvain FARRO était déjà membre de la "hébra kadisha". (C'est une coutume algéroise de prononcer "b" la lettre beth sans daghesh). Il participait aussi à plusieurs de ces sociétés de bienfaisance, dont Morial a fait récemment un dossier. Il réintégra les PTT, et plus tard, il s'occupa des finances du consistoire d'Alger. C'était un grand ami de Martin ZENOUDA, le père de notre ami Julien. Il habitait au 4ème étage du 9 rue Léon Roche, à Bab-el-oued. L'étage a un rôle dont je parlerai. Au rez-de-chaussée habitait un petit garçon qui sera connu, puisqu'il s'agit de Guy SENBEL, fondateur de GUYSEN Israël News, dont je fus l'un des premiers éditorialistes, et Guysen-TV, précédant i24, la télévision israélienne francophone et gauchiste. Peu de temps après l'indépendance, un couple habitant l'immeuble fit la "une" de France-Soir : madame FERRARI égorgea son mari infidèle. Cette "charmante" voisine bavardait souvent avec ma tante. Quant à monsieur, il fut l'un de mes profs de gym, à Bugeaud.
Ayant perdu ses enfants en bas âge, et étant trop âgé, cet oncle voulut m'adopter. Ce que mes parents refusèrent, bien sûr. Il se contenta de m'aimer beaucoup, jusqu'à la fin de ses jours, dans sa centième année, en 2001. Donc quand j'étais enfant, il m'emmenait volontiers avec lui, dans des réunions, souvent des "azguer". Mais aussi, à la forêt de Baïnem, pour le pique-nique annuel, des donateurs de l'école rabbinique. J'y rencontrai presque toutes les personnalités religieuses et civiles, citées dans Morial.
Parmi les figures religieuses, les rabbins FINGHERUT, et plus tard ASHKENAZI (le père de Manitou), parmi les civils, la célèbre famille ABOULKER. Longtemps après, j'apprendrai que Yaya, le sympathique chauffeur et homme à tout faire, musulman, de l'école rabbinique, était un membre du FLN. Donc, la rue Léon Roche étant plus proche de la rue Suffren, que le 84 avenue Malakoff, le jeudi, jour de Talmud Torah, j'allais déjeuner chez mon oncle et ma tante. Du balcon, je voyais la terrasse de l'immeuble de deux étages, en face. L'immeuble appartenait à l'un des frères de mon oncle. Et sur la terrasse se trouvait l'école ORT d'Alger. Depuis le balcon, j'aimais taquiner le vieux monsieur, en blouse grise factotum de l'école.
Beaucoup plus tard, j'appris qu'il était le père d'un des présidents de ma communauté, en région parisienne. Destin tragique, l'une des filles de ce président, vivant en Israël depuis sa retraite, a été sauvagement assassinée, par un déchet nazislamiste. Il s'agit d'Esther Brigitte HURGAN, née ATTELAN, H.y.d. (La formule H.y.d. ה.י.ד.pour Hachem yikom damo (dama au féminin) – Dieu venge son sang – est la formule correcte à utiliser en parlant d'un Juif assassiné. Beaucoup utilisent à tort, la formule Baroukh Dayane Haémète, valable pour les décès naturels). J'ai connu Brigitte, petite fille.
Dans les tous derniers mois précédant "l'indépendance", durant le blocus de Bab-el-oued, alors que nous étions au balcon, ma mère tenant mon plus jeune frère aux bras, les nervis de de GAULLE, tirèrent vers nous une rafale de mitraillette. Après le massacre de la rue d'Isly, les musulmans et non musulmans se séparèrent. Ce fut l'époque des "strounga" et des attentats "aveugles". Jusque-là, musulmans et non musulmans, entre voisins on se "protégeait. Mes parents racontèrent comment un voisin arabe de St-Eugène empêcha leur assassinat. De la même façon, nous les voisins, nous ne souhaitions pas la mort des arabes de nos relations. Avec les départs et les nouveaux arrivants, tout s'enflamma.
C'est dans ce contexte, qu'un bijoutier juif, quitta Orléansville pour habiter l'immeuble mitoyen, au n°86. Je crois que c'est en mai 1962, qu'il nous dit que la communauté juive de Strasbourg accueillait, les enfants et ados juifs d'Algérie, pendant les mois d'été, pour soulager les parents durant leur installation en "métropole". Ce bijoutier s'appelait HAZAN. C'était le frère d'Albert HAZAN, aumônier dans l'armée française avec le grade de colonel, et l'un des fondateurs et artisans du comité AJIRA - Aide aux Jeunes Israélites Rapatriés d'Algérie. C'est bien plus tard que j'appris que le comité AJIRA fut initialement, une idée de Lucien LAZARE. Lucien LAZARE fut mon prof d'histoire juive, à l'école Aquiba. Il devint le beau-père d'Avrom BURG, qui fut un très curieux personnage politique israélien, après sa fonction de président de la Knesset. Albert HAZAN, colosse et grand érudit, fit son alya après "la guerre des Six Jours". Il finit sa carrière comme aumônier général de la police sraélienne. A tout hasard, mes parents demandèrent à mon oncle Sylvain de vérifier ces informations.
Il les confirma. Mais, jusqu'au 1er juin 1962, nous pensions que nous allions rester en Algérie et que de GAULLE éliminé, l'Algérie resterait française.
Aussi quand le 1er juin au soir, mon père nous annonça qu'il avait pris les billets sur le "ville de Bordeaux", pour notre départ, le 11 juin, ce fut un gros choc. Nous ne savions pas du tout où aller. Ma mère avait un frère à Lyon. Mon père avait son frère aîné à Nice. Mon oncle Sylvain avait des frères en région parisienne. Et comme beaucoup d'Algérois, nous pensions que Marseille nous rappellerait notre ville natale. A quinze ans, je n'avais jamais quitté l'Algérie. (Sauf à dix-huit mois, lors d'un séjour en France). Mais cela ne nous donnait aucun toit. C'est alors que les enfants de la sœur ainée de ma mère, faisant leurs études à Paris et habitant tous les trois à la cité U, Jean ZAY d'Antony, louèrent pour leurs parents, un trois pièce d'une soixantaine de mètres carrés, à Clichy-sous-Bois, dans le 78 d'alors. Puisque je parle d'elle, à Alger, quand, elle habitait rue Livingstone, elle avait pour voisins de palier, la famille ZENOUDA, que l'on ne présente plus chez Morial. Jacky ZENOUDA, ami de mon cousin Jean-Jacques, venait parfois avec lui, chez mes parents. Ma tante proposa à mes parents de les héberger, le temps qu'ils trouvent un logement. Mes parents acceptèrent.
Le matin du onze juin, comme d'habitude, j'ai regardé la mer depuis la véranda, puis je suis allé acheter du pain chez notre boulanger. Des années plus tard, le fils aîné du boulanger Michel SUCH, connut la célébrité dans la réalisation de quelques films à succès, en compagnie de grands noms du cinéma et sa réalisation personnelle "Roro de Bab-el-oued". Surtout pas de bavardage sur notre départ imminent. Et comme Colette WEINSTEIN me l'a dit : - il y eut deux sortes de départs, les gens aisés qui prirent l'avion, qui arrivèrent en France rapidement et qui avaient généralement où aller, et puis les autres, plus nombreux et plus modestes, qui prirent le bateau, et qui pour beaucoup n'avaient pas où aller.
Quant à mes sentiments à ce moment, ils étaient très mêlés. Bien sûr, la peine de quitter, ou plutôt d'être obligé de fuir, sa ville natale, dominait. La tristesse de penser que je retrouverai très difficilement une aussi belle vue. Mais, à la différence de mon frère cadet, je n'avais pas de vrais copains, c’est-à-dire des intimes, avec lesquels on passe beaucoup de temps et on fait ses bêtises de gosse, je n'avais pas de regret de ce côté. Par contre, j'étais inquiet pour la situation matérielle de la famille. Mon père était au milieu de la cinquantaine. Il n'avait pas d'autre métier que chauffeur de taxi, malgré ses diplômes professionnels de jeunesse. Il avait une femme et quatre enfants à nourrir. En 1962, les économies qui lui permettaient d'acheter un grand appartement à Paris en 1959, ne lui permettaient alors, que des choix plus modestes en banlieue, du fait de l'inflation et de la crise immobilière, Pour ma part, je ne connaissais Paris qu'à travers les films, souvent en noir et blanc. Déjà, sans doute à cause du cinéma, je n'aimais pas Paris.
D'un autre côté, j'étais quand même curieux de découvrir autre chose. Je crois que c'est mon oncle Sylvain qui nous conduisit au port, dans sa voiture. Sa femme nous accompagnait en France. Elle aussi habiterait avec nous. Mon oncle réintégré aux PTT, ne sera rapatrié vers la fin juillet. Donc, nous montâmes sur le Ville de Bordeaux. Nous nous installâmes sur les transats du pont.
Nous n'avions pas de valises, mais des boites en carton, contenant quelques vêtements. Quand le bateau quitta le quai, nous avions tous de la peine en voyant Alger s'estomper. Mais ma nature d'adolescent reprit le dessus pendant la nuit. Le lendemain, quand nous fûmes à quelques encablures de Marseille, mon père prononça une phrase qui nous stupéfia. Lui qui était non pratiquant, lui qui n'évoquait la vie dans le jeune pays d'Israël, qu'en parlant de pelle et de pioche et des attentats commis par les fameux "déchets", lui dit : "La France n'est qu'une étape". Il était un Juif authentique. Que sa mémoire soit bénie et qu'il bénisse ses enfants, petits-enfants et arrières petits-enfants.
"Le coup de sirocco", célèbre film, avec Roger HANIN et Marthe VILLALONGA, raconte le départ d'une modeste famille juive d'Algérie. A l'arrivée à Marseille, ils prennent le taxi, pour aller prendre le train gare St-Charles, direction Paris. Et bien nous, arrivés à la Joliette, avec nos cartons, nous avons pris le bus pour aller gare St-Charles. Le train ne partait que tard la nuit, pour arriver à Paris, le lendemain. Arrivés à la gare de Lyon, personne ne nous attendait. Mon père connaissait assez bien Paris, mais nous ne savions pas où aller. Donc, nous attendîmes la journée entière sur un quai de la gare de Lyon. Ce n'est qu'en début de soirée, que des gens que nous ne connaissions pas du tout, nous mirent en relation avec des Français volontaires pour nous accueillir en dépannage. Et c'est ainsi que nous partîmes, dans leurs voitures, vers Palaiseau, où ils nous répartirent, trois adultes et cinq enfants, dans leurs modestes appartements.
C'était la phase finale de la coupe du monde de foot. Ce n'est que le lendemain, que la sœur aînée de ma mère vint nous chercher, pour nous conduire dans son appartement de Clichy-sous-Bois. Mon père, ma mère, ma tante et mes frères et sœurs partirent ensemble vers Clichy-sous-Bois. Moi, je partis avec ma tante. Elle devait prendre les clés chez ses enfants, à la cité U d'Antony. Donc, à Palaiseau,, nous prîmes "la ligne de Sceaux", qui n'était pas encore le RER B et nous nous arrêtâmes à la Croix de Berny, qui dessert la cité U. Pendant que ma tante prenait les clés, je rentrai au Parc de Sceaux. J'étais loin de me douter que j'habiterais dans une des maisons du Parc de Sceaux, depuis 1983. Plusieurs mois plus tard, ma famille voulut remercier ces inconnus, qui nous avaient spontanément aidé. Mes parents, oncles et tantes se rendirent chez eux. Or, coïncidence, pendant cette visite, ils furent arrêtés par la police. La pourriture déjà au pouvoir en francekipu, ne leurs avait sans doute pas pardonné leur sympathie, pour l'Algérie française et les Pieds-Noirs.
Et puis nous reprîmes l'expédition vers la terre lointaine de Clichy-sous-Bois. Depuis que deux petites racailles se sont mises au courant, en entrant spontanément dans un transformateur électrique, cette bourgade est devenue un symbole de la nouvelle France des "banlieues". Mais à l'époque, c'était la vraie campagne. Donc, après un long trajet en métro, jusqu'à Eglise de Pantin, terminus d'alors de la ligne 5, nous prîmes le bus 247. Il n'y avait qu'un seul bus, tous les trois quart d'heure, entre cinq heure le matin et neuf heure le soir. Et le trajet coûtait pas loin de trois "nouveaux francs", alors que le "smig" était d'environ cinq cent francs par mois. La carte Orange, ancêtre du Pass Navigo, n'existera qu'à partir de 1975.
Enfin nous arrivâmes. Il fallait encore marcher deux bonnes centaines de mètres pour atteindre un alignement de cinq longs immeubles de quatre étage, entourés par une légère clôture, pompeusement nommé "Résidence Sévigné". A Alger, nous étions modestes, mais outre sa vue exceptionnelle, notre appartement avait une hauteur de quatre mètres sous plafonds. Ce fut le choc ! A peine deux mètre cinquante. Deux petites chambres, une prétendue troisième, ouverte sur le séjour, une cuisine, pas trop minuscule, et une petite salle de bains. Et nous devions nous entasser à neuf là-dedans. Les adultes achetèrent de suite alentour, de quoi dormir. Faute de mieux, les trois femmes firent les premiers achats de nourriture, dans le petit centre commercial local. Et dès le lendemain, nous les gosses, nous commençâmes à sortir dans la cité. Et nous nous rendîmes compte que la "cité" était pour plus que la moitié, peuplée de "rapatriés".
Parmi ces rapatriés, nous en connaissions. Par exemple, ma mère retrouva des cousins et cousines de Biskra. Ainsi que des connaissances. Parmi, une famille dont le fils deviendra rabbin, j'appris plus tard, que le père fut comptable de mon beau-père, à Biskra. Dans cette sorte de retrouvailles, nous n'étions pas choqués de voir passer le matin, le laitier avec ses bidons sur une carriole tirée par un bourricot. Des champs où ruminaient des vaches, s'étendaient là où nous vîmes construire les cases à habiter, à partir de 1970. Durant mes études supérieures, j'appris qu'en 1962, plus de la moitié des logements parisiens, avaient les wc sur le palier. POMPIDOU ne mit fin aux bidonvilles autour de Paris, qu'à partir de 1964. Tout de suite, mon frère cadet se fit plein de copains qu'il ne connaissait pas avant. Pas moi, personne de mon âge. Mais quand même, j'appréciais les moments passés en bande à trainer.
Vu le manque de place, mes parents voulurent profiter de la proposition de la communauté juive de Strasbourg. Donc le surlendemain de notre arrivée à Clichy-sous-Bois, mon père entreprit de faire établir nos cartes de réduction SNCF, pour nous envoyer à Strasbourg. Dès qu'elles furent prêtes, ma mère prépara une valise pour mon frère et une autre pour moi. Nous étions fin juin et nous n'avions pas de vêtement d'hiver. En bus et métro, mon père nous accompagna à la gare de l'Est. Il nous mit à chacun, un billet de cinquante francs dans la poche, et en voiture. Je n'avais que quinze ans et deux mois, mon frère treize ans et demi. Depuis Alger, où il était encore en activité, mon oncle Sylvain prévint les responsables de notre arrivée. A Alger, j'avais envisagé de me retrouver, à Marseille, à Nice, à Lyon, à contrecœur à Paris, mais jamais en Alsace. Je savais juste que l'épicière dont la boutique était juste sous notre chambre, avenue Malakoff, était Alsacienne. Elle recevait parfois, ses petites filles venues de métropole. N'étant pas nul en géographie et plutôt cultivé, je connaissais un peu l'histoire de l'Alsace. Mais jamais je ne pensais y habiter.
Le train arriva à la gare de Strasbourg. Deux personnes nous attendaient. Il s'agissait de Renée NEHER, historienne, épouse d'André NEHER, qu'on ne présente plus, président du comité AJIRA. Elle fut mon prof de latin. Et Freddy RAPHAEL. A l'époque, il était prof d'Anglais à l'école Aquiba. Il sera plus tard; directeur de l'Institut de sociologie. Nous prîmes la voiture de Freddy RAPHAEL. La première question qu'il nous posa, est toujours le symbole de ce contre quoi, je me bats avec force, depuis tout le temps. Pourtant, je voue à Freddy et à sa femme, une gratitude éternelle, pour leur gentillesse et leur hospitalité. Il nous hébergea chez lui deux jours et durant des années je fus souvent invité à sa table de Shabbat.
Donc, cette fameuse première question, que j'ai souvent évoquée dans mes nombreuses chroniques "Charles DALGER", ce fut : "N'avez-vous pas trop souffert de l'OAS ?". Interloqué, je lui répliquai : "pourquoi l'OAS ? Demandez-nous plutôt, si nous n'avons pas souffert des fellaghas, ce serait plus vrai". Par l'une de mes cousines, côté paternel, étudiante en France, je savais les ravages provoqués par la propagande "anticolonialiste", qu'elle soutenait alors. Le colonialisme est prétendu d'extrême droite, et l'extrême droite est prétendue antisémite. Mais la question de Freddy RAPHAEL était incongrue et elle le reste toujours autant.
Nous passâmes la première nuit au centre communautaire, dans le gymnase aménagé en dortoir. En arrivant, Renée NEHER en personne me demanda si j'étais pratiquant. Ignorant tout du judaïsme orthodoxe ashkénaze, pratiqué à Strasbourg, je répondis que oui. Quelle blague ! Avec mon frère, depuis l'avenue de la Paix, nous voyions la célèbre flèche de la cathédrale de Strasbourg. Je proposai à mon frère d'y aller. Et nous partîmes. Ma première impression avec la ville fut très négative. C'était tellement loin d'Alger ! Mais trois mois plus tard, j'étais amoureux de Strasbourg et de toute l'Alsace.
Mes parents, naïvement, nous avaient envoyés seuls. Or, cette offre, initialement destinée aux jeunes, attira des familles entières de Juifs d'Algérie. En particulier, des Juifs du Mzab. (J'ai découvert récemment par Morial, que ces Juifs n'avaient accepté que très tardivement la nationalité française). Dès le lendemain de notre arrivée à Strasbourg, pour la première fois de ma vie, je me fis des "copains". Et surtout, pour la première fois de ma vie, en compagnie de ces copains, j'entrepris de "draguer" des filles. Celles d'une école catholique voisine, dans les jardins du Contades, entourant l'imposant centre communautaire.
C'est aussi durant ces premiers jours que j'ai commencé à aimer la bière. Avec les copains, nous en consommions dans les bierstubs alentour, à 71 cts le demi. Ces premiers mois en Alsace furent, pour moi, très riches. Au bout d'une huitaine de jours, après avoir été hébergés chez la famille D., la famille RAPHAEL et à l'internat de l'ORT, on nous envoya dans une vieille baraque appartenant aux EIF, sur les hauteurs de Ste-Croix-aux-Mines, dans le 68. Le 5 juillet 1962, jour du référendum actant l'indépendance, nous avons manifesté en criant "Algérie française", sur la route entre St Croix et Ste Marie-aux-mines. Peu de temps après, on nous envoya à l'internat du lycée de Haguenau, au nord du 67. Durant le séjour à Haguenau, nous avons retrouvé des connaissances d'Alger. Nous avons aussi fait connaissance avec celui et celle, qui seront nos directeurs d'internat, pour les années à venir, David ABENAÏM et sa femme Esther. Je leur voue une affection éternelle, malgré les bêtises que j'ai pu faire durant l'internat. Lui était originaire de Mogador, aujourd'hui Essaouira. Ville que j'ai connue en 2010. Elle était ashkénaze, originaire de Pologne. Sa famille y étant perdue, elle avait survécu à la déportation. Elle était devenu amie avec Elie WIESEL qui n'était pas encore prix Nobel. Ainsi, il passa plusieurs Shabbat avec nous, à l'internat d'OBERSCHAEFFOLSHEIM.
Les vacances d'été finissant, il fallait nous répartir dans les classes et les écoles suivant notre niveau réel. Donc, nous passâmes tous des examens. Je fus admis en troisième à l'école Aquiba. Le directeur en était le fondateur, Beno (Benjamin) GROSS. Il finit sa carrière comme doyen de l'Université Hébraïque de Bar Ilan. Parmi les professeurs, j'eus Simon DARMON comme prof d'Ivrit. Mais il était aussi prof d'espagnol. J'ai eu beaucoup de prof d'Ivrit. Mais de très loin, le meilleurs fut Simon DARMON. J'ai encore en tête ses explications de la grammaire avec les lettres "fortes" et les lettre "faibles". On le surnomma "transistor". Mon frère cadet fut autorisé à redoubler la cinquième, bien que plus débrouillard que moi.
On nous logea dans l'ancienne synagogue du village d'OBERSCHAEFFOLSHEIM. Aujourd'hui, c'est une banlieue de Strasbourg située à une douzaine de kms du centre. Mais en 1962, c'était encore un village agricole. L'internat était mitoyen à la ferme ZORN. Le meuglement des vaches nous réveillait le matin. Nous y avons retrouvé d'autres connaissances d'Alger. Parmi, les frères AROUCH, camarades du Talmud Torah, les frères CHETRIT, connus aux EI, les frères ABIB, dont le cadet était en classe avec mon frère et dont l'aîné du même âge que moi, était mon camarade depuis l'âge de six ans au Talmud Torah de la rue Suffren. Il est aujourd'hui médecin à Maâle Adoumim. Et puis Michel KELIF, camarade de classe de mon frère depuis Alger, le Shabbat, à la synagogue de la rue de Dijon, nous passions la "birkat cohanim" ensemble, sous le talith du grand-père de nos camarades NICOLET. C'est toujours mon ami aujourd'hui et nous sommes toujours en relation. Il est bloqué à Paris, car il n'a pas pu retourner à Rio, où il vit, à cause de son refus de vaccination.
Mais, nous avons fait aussi de nouveaux amis. L'un d'entre eux, de Aint-Temouchent, est mon voisin. Nous marchons souvent ensemble, au Parc de Sceaux. Deux frères nous rejoignirent à l'internat d'OBERSCAEFFOLSHEIM. Il s'agit de Richard Eliahou ZINI et son frère Rémy Yossef. Richard Eliahou est une grande voix du judaïsme. Il est connu pour avoir fondé la yéshiva du célèbre Technion de Haïffa. Mais, c'est aussi un scientifique de haut niveau. Il a obtenu un doctorat en mathématiques théoriques et un autre en mathématiques appliqués. Il est ceinture noir de karaté. Il fut, je ne sais pas s'il l'est encore, l'un des principaux conseiller de Naftali BENNET, l'actuel Premier Ministre d'Israël. Nous étions voisins de chambre. Quant à son frère cadet, nous sommes devenus grands amis. Surtout en terminale, quand nous étions à l'école Maïmonide, rue des Abondances à Boulogne. Il a fondé un kollel à Ashdod, il est père de huit enfants, dont le fameux colonel ZINI. En classe, j'étudiais la guemara avec celui qui allait devenir Rav HEYMAN d'Epinay. Son père fut l'un des premiers compagnons de la Libération.
Pour finir avec cette première année en France, il se trouve que l'hiver précoce 1962-1963, fut particulièrement froid. Une nuit, le thermomètre de notre chambre afficha -30°. Et ni mon frère, ni moi, avions des vêtements d'hiver.
Nos parents débordés et aussi un peu inconscients, attendaient notre retour à Clichy-sous-Bois, aux vacances d'hiver, pour nous acheter le nécessaire. A Alger, je souffrais de toux chronique. Mais l'exposition au froid sec me guérit. Quelques années après mon retour en région parisienne, je rechutais. Et ça dure encore.
Durant tout ce temps passé en Alsace, personne n'a jamais réclamé d'argent à mes parents, pour participation aux frais. Aussi, à la fin de la deuxième année scolaire, mon frère cadet retourna vivre chez mes parents à Clichy-sous-Bois. Il termina le secondaire à l'école de l'Alliance, à Pavillons-sous-Bois. Puis il fit une formation professionnelle au lycée Technique d'Aulnay-sous-Bois, où il connut sa future femme. A l'automne 1968, il intégra la première promotion de l'Institut informatique de Jussieu. Il en sortit ingénieur. Après des passages chez les grands noms informatiques de l'époque, il fit une époustouflante carrière de commercial chez Hewlett-Packard. Avec l'argent gagné, il fonda Finsbury Shoes, une entreprise dont l'actuel patron vient d'être honoré sur M6,. Pour cela il s'associa avec notre beau-frère, Israélien d'origine marocaine, ancien héros de la guerre des Six jours, self-made-man, qui gagna de l'argent à la grande époque du Sentier. C'est notre beau-frère, qui eut l'idée de mettre l'image qui orne, jusqu'à présent, les magasins Finsbury du monde entier. Il s'agit du magasin de "cuirs et peaux, fournitures pour chaussures", du frère aîné de mon père. Ce magasin était situé au numéro 22 de la rue de Chartres à la Casbah d'Alger. La photo date de 1923. On y voit mon oncle, des employés et mon père, qui n'avait que 17 ans. Par vénération pour mon frère qui l'a recruté et qui lui a fait confiance, l'actuel patron, repreneur de l'entreprise, a promis de conserver cette photo dans tous les magasins de la marque.
Les deux années suivantes, l'internat était au 42 de l'avenue de la Forêt Noire, à Strasbourg. En première l'un des "pions" était Michel SARFATY, celui qui deviendra le rabbin des amitiés judéo-musulmanes, en même temps que celui de Ris-Orangis.
A la fin de la première, je fus exclu de l'internat. Je compris très bien que ce n'était qu'un prétexte, masquant la pudeur de demander une participation aux frais, plus consistante que ma modeste bourse d'élève du secondaire. Aussi, je n'insistai pas pour rester à Strasbourg avec mes habituels camarades de classes. Je revins donc à Clichy-sous-Bois. Mais je ne me voyais plus faire ma terminale Sciences Exp. dans un lycée public. Je demandais donc à mes parents d'être interne, à l'école Maïmonide de Boulogne. Mon oncle Sylvain négocia avec Théo DREYFUS, le directeur d'alors, les frais d'écolage.
La sœur de ma mère dû bousculer mon père pour qu'il trouve son propre appartement. Ce fut dans la cité voisine des "Genettes", encore plus sinistre. La sœur de mon père et mon oncle Sylvain, habitèrent avec mes parents jusqu'à fin 1964. Affecté à Versailles, mon oncle se levait à 4h. du matin pour être à l'heure à son poste. C'est à peine un an avant la retraite qu'il obtint un appartement dans un ensemble immobilier de Fontenay-aux Roses, réservé aux agents des PTT. Il y vécu jusqu'à la fin. Rapidement, il devint adjoint au maire, puis premier adjoint. A ce titre, il facilita un peu les démarches administratives, pour la construction de la synagogue de la ville en 1974. Il en fut nommé président d'honneur.
Depuis 1975, c'est ma synagogue. Coïncidence, cette communauté, fondée à Bagneux vers la fin des années cinquante, par un oranais, Moïse CHOUCROUN, porte depuis près de vingt ans, le nom d'un des chefs des enfants de chœur du Grand Temple d'Alger, Moïse MENIANE. Il en fut longtemps président. Cette histoire me fut raconté par monsieur TORDJMAN, ancien commissaire divisionnaire à Alger, qui fut enfant de chœur au Grand Temple. Il me raconta aussi qu'il refusa d'assurer la sécurité de de GAULLE après la guerre, le jugeant "antisémite". Il y eu trois autres présidents algérois : Paul ATTELAN, dont j'ai parlé, Joseph LELOUCH, grand érudit en Torah et l'un des fondateurs de l'INSERM comme statisticien, et Gilles BOUCHARA, bien connu de Colette WEINSTEIN et Serge DAHAN. Parmi les fidèles de la synagogue, il y a Claude ELBAZ. Il fut président de l'UEJF à Alger. Il me raconta que sa mère éleva le futur rabbin Albert AMAR. Il y a aussi Pierre BENICHOU. Il fut camarade de classe de mon cousin Gérard HAOUAT et président de l'ONERA. Joseph LELLOUCH me raconta, comment les parents du prix Nobel COHEN -TANOUDJI, dont il fut ami et camarade de classe à Bugeaud, lui demandèrent de faire pression sur leur fils pour qu'il intègre Polytechnique. Ce qu'il refusait parce qu'il voulait Normal Sup.
J'eus donc mon bac en 1966, une année au taux de réussite plutôt faible. Mais, mes parents habitant toujours à Clichy-s-B., l'Alsace me manquait. Je retournai faire mes études supérieures à Strasbourg. Sans trop réfléchir aux débouchés, je choisis, comme le mari d'une de mes cousines, de faire des études d'économie. C'était encore nouveau à l'époque. J'aurais beaucoup à raconter, mais c'est hors sujet. Pour conclure, mai 1968 étant passé par là, je fis partie de la première promotion de diplômés chômeurs. Après une année à chercher vainement un emploi à Strasbourg, pas fier, je revins chez papa et maman.
Toutefois, j'avais fortement poussé mon père à acheter un appartement décent dans un immeuble neuf de l'avenue Jean Jaurès à Paris. Mon frère et moi, nous portions garants pour lui. En 1973, c'était le nouveau quartier juif de Paris. Mon frère cadet était fiancé. Ma première sœur avait déjà rencontré son futur mari à l'ambassade d'Israël, où une cousine l'avait pistonnée. Et moi l'ainé, je n'avais personne. Mais ça n'a pas tardé.
Quelques jours après mon arrivée à Paris, après une soirée à écouter du jazz au Petit Journal St-Michel, je demandai à mon cousin Jean-Jacques de me déposer au PLM St-Jacques où se terminait le bal annuel du Bétar. J'espérais y rencontrer des connaissances. Je ne rencontrai personne, si ce n'est ma future femme. Bien sûr, nous nous sommes plu, c'est la raison essentielle. Mais ce qui accéléra ma décision de mariage, c'est qu'en faisant connaissance avec cette Algéroise, inconnue avant, je découvris que la famille de sa mère à Alger, connaissait la famille de mon père et la famille de son père, à Biskra, connaissait la famille de ma mère.
Pour boucler la boucle, notre fils ainé est marié avec la fille d'un couple oranais et ma fille est mariée avec un petit-fils du marchand de chaussures Jaky, de l'avenue de la Bouzaréa.