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Bienvenue sur le site de l’association MORIAL

Notre objectif : sauvegarder et transmettre la mémoire culturelle et traditionnelle des Juifs d'Algérie. Vous pouvez nous adresser des témoignages vidéo et audio, des photos, des documents, des souvenirs, des récits, etc...  Notre adresse

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L’ensemble de la base de données que nous constituons sera  régulièrement enrichie par ce travail continu de collecte auquel, nous espérons, vous participerez activement.  L'intégralité du site de Morial sera déposée au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) à Paris, pour une conservation pérenne .

Tlemcen, le kiosque à musique au centre ville
Médéa : rue Gambetta (1945)
Alger : rue d'Isly (1930)
Une oasis à Ouargla (Territoire du Sud algérien)
La Grande Poste d'Alger (Photo J.P. Stora)
Square Bresson
Lycée E.-F. GAUTIER D'ALGER
Service Alger - Bouzareah
Alger : le marché de la place de Chartres
MEDEA - Le Café de la Bourse
Guyotville - La Plage

Femmes juives d'Algérie : Emancipation et transmission

Texte d'Annie Stora-Lamarre à l'occasion de la table ronde du mercredi 21 octobre 2012, autour de l'exposition Juifs d'Algérie du MAHJ.

La question de la transmission culturelle concernant les femmes juives d’Algérie a surtout délivré un savoir sur la musique et les rites de la vie religieuse de la communauté, les coutumes culinaires et les divertissements mais cette transmission fait aussi apparaître des liens cachés dans une tension mémorielle entre joie et douleur.

Mes parents et les gens de leur génération, pour la plupart disparus, sont maintenant devenus cinquante plus tard des sujets d’histoire, appartenant à une communauté autrefois si vivante et aujourd’hui muséifiée.

Ma mère m’aurait dit en arabe "Ya Hasra", ce qui signifie nostalgie du temps perdu

Professeur en Histoire contemporaine et enseignant le XIXe siècle français, j’ai longtemps tu et plus encore refoulé l’histoire de ma jeunesse juive algérienne en ne consacrant aucune recherche à ce champ historiographique. La thématique de notre rencontre "Femmes juives, émancipation et transmission" me conduit ce soir et non sans angoisse à recoudre les morceaux de ma vie entre l’Algérie et la France pour tenter de comprendre ce qui a fait sens pour moi dans ce "Monde d’hier" pour bâtir dans l’exil parisien ma vie de femme.

 

Pour éclairer mon témoignage sur l’idée de la transmission et de l’émancipation des femmes d’Algérie, j’évoque ce soir un rendez vous qui eut lieu en juin 1962 dans un café du Boulevard Poissonnières à Paris où mon père m’avait conviée pour régler mon inscription administrative dans un lycée parisien.

 

 

J’avais quinze ans et demi

Nous étions à ce moment là entassés avec ma famille élargie, une trentaine de personnes, dans un petit pavillon de banlieue à Montreuil sous Bois au 96, rue de Stalingrad, qui fut notre dernier Daar familial (la maison). Mes parents déjà âgés avaient perdu leur appartement et leurs moyens d’existence avec l’abandon de leur commerce et ils se demandaient comment ils allaient pouvoir s’en sortir financièrement.

Ce jour là de juin 1962, j’avais signifié à mon père que j’abandonnais mes études secondaires en choisissant de m’inscrire dans un lycée technique pour y apprendre le secrétariat. J’ajoutais, ensuite animée par une forte conviction, qu’un jour "Je reprendrai mes études". D’où venait la force de ma conviction ? Que m’avait transmis le monde disparu de mes parents en terre d’Algérie pour rendre mon futur possible à Paris ?

Transmission du nom et du prénom

Dans mon quartier, mes amies s’appelaient Bensoussan, Bénichou, Touati, Guedj, Gozlan, Abitbol, Taïeb, Elbaz, Atlan… Ce sont les noms de mes amies de classe des familles juives de Constantine. Comment les noms nous identifient-ils ? De quels lieux sont-ils porteurs ? Comment les prononçons-nous ? Les enfants circulaient très librement dans mon quartier d’une famille à l’autre et à mon arrivée, on me demandait comment s’appelle ta mère et quel est le nom de ton père ? Où habitues-tu ?

Les noms patronymiques de mes parents relevaient d’une histoire et d’une géographie différente au sein de l’identité du monde juif algérien. Ma mère s’appelait Marthe, Bellara Zaoui, son second prénom de Bellara signifie "cristal de roche", ma mère qui avait de magnifiques yeux verts transparents le portait bien.

Née en 1918, elle était issue d’une famille juive berbère tandis que la famille Stora était arrivée d’Espagne après l’expulsion des Juifs en 1492 par les Rois catholiques décrétant l’expulsion générale des juifs d’Espagne.

La tradition rabbinique parle de Sefarad (Espagnol) et le Maghreb va jouer un rôle prépondérant dans l’avènement de l’unité séfarade

Ma grand-mère paternelle Julie Stora, descendante de la lignée juive espagnole, faisait savoir à son entourage familial qu’elle descendait d’une lignée supérieure aux juifs d’ascendance berbère et affirmait même qu’elle était une "aristocrate".

Pour Julie, parler arabe faisait "arriéré" et la langue rocailleuse, âpre de l’arabe qui s’entendait dans le français de ma mère montrait la hiérarchie et l’autorité qu’elle entendait exercer sur sa belle-fille.

J’ai compris très jeune dans le passage de l’appartement de Julie à la maison de Rina le poids de la hiérarchie sociale où l’accent, la tenue vestimentaire symbolisaient les lignes de clivage dans le jugement de coutumes vues comme rétrogrades et qu’une bonne éducation ferait disparaître. Ironie de l’histoire sans doute pour Julie, c’est la photographie de notre grand-mère Rina vêtue à l’indigène et posant parmi les siens que son petit-fils Benjamin a choisi de faire figurer sur la couverture de son livre "Les trois exils, Juifs d’Algérie".

Dans la transmission de l’identité, le prénom revêt une grande importance

Mon frère Benjamin porte le prénom hébraïque de ses deux grands-pères Zaoui et Stora. Benjamin est le dernier fils d’Israël qui a donné son nom à la Tribu de Benjamin, une des douze tribus d’Israël. Je ne me prénomme pas Julie comme ma grand-mère ; à la génération de ma mère, s’étaient perdus les prénoms d’Esther, Rachel, Déborah et aussi les prénoms arabes.

A ma naissance, ma mère a imposé à son mari à ma naissance le prénom d’Annie qui lui semblait plus moderne que le prénom de Julie sa belle-mère. J’imagine que c’était à certains égards, une façon pour elle de prendre son autonomie en choisissant le prénom de sa fille aînée ; ce qui ouvrait une brèche de modernité en la coupant de l’histoire et de la lignée de sa belle-mère même si ce n’était qu’une forme modeste de contestation. Julie est mon second prénom.

Constantine ou la transmission d'une mémoire urbaine

Une ville en guerre

Constantine, ma ville natale, m’a transmis le goût des villes et le rejet de la campagne au point que mes amis s’étonnaient qu’une rue bruyante et les cafés de Paris me donnent bien plus d’énergie et de plaisir qu’un paysage à la campagne. Les Juifs d’Algérie vivaient majoritairement en milieu urbain. Pendant la période de la colonisation française, la population juive algérienne connaît un accroissement considérable : de 15 000 à 17 000 personnes au début des années 1830, elle serait passée à 126 000 en 1954, début de la guerre d’indépendance et aussi de l’exode. 

D’un point de vue sociologique, la particularité de la population juive d’Algérie était d’être beaucoup plus urbaine que le reste de la population, 80 % de juifs vivaient dans les villes, contre 5 % environ de la population musulmane. En 1839-1840, 69 % des Juifs vivaient dans les trois principales villes, Alger, Oran, Constantine, ces trois villes.

La transmission de cette mémoire urbaine a certainement joué un rôle dans notre acclimatation à l’espace urbain parisien ; Avant d’arriver à Paris, on s’était frotté à la modernité de la ville, à ses métiers et surtout à la culture française grâce à la scolarisation, le cinéma, la musique, qui furent la vectrice francisation pour la population juive d’Algérie.

Constantine est connue pour la beauté de ses précipices et de ses ponts au dessus du Rummel

Mon quartier s’appelait le Ghetto ou le Kacharah (le cul de la lie). Son origine vient de Salah Bey (1771-1792) qui décida au XVIIIe siècle d’expulser les juifs mais il tenait à les garder sous sa coupe et les Juifs furent alors regroupés dans un espace déshérité restreint et resserré qui vient buter contre le "ravin" sur la rive gauche du Rummel où l’on habitait.

Pendant la guerre, les gorges nous paraissaient sombres, dangereuses, inquiétantes et il s’y déroulait la nuit des traques à l’homme organisées par les parachutistes, les "Bérets verts" qui tiraient. J’entendais depuis ma chambre ces coups de feu tirés sur fond de lumière aveuglante.
 

La statuaire de la ville parlait de guerre elle aussi et mettait en scène dans la pierre et le bronze l’histoire coloniale de Constantine au XIXe siècle

Les statues donnaient à voir "l’épopée" de l’officier Caraman, mort du choléra, et qui fut l’un des officiers avec Vallée, Damrémont, Lamoricière (1806-1865) à avoir participé à la prise de Constantine. Polytechnicien, Lamoricière était passé par l’école d’application de Metz et fut capitaine des zouaves en 1830, Constantine lui érigea un monument en 1909.

Les statues partirent en exil, le 9 juillet 1962, la monumentale statue de Lamoricière, érigée sur la place du même nom près du Casino, fut déboulonnée et embarquée pour Marseille par le Génie de l’Armée française. Après avoir séjourné sur les quais de Marseille jusqu’en 1963, elle fut transféré par le Ministre des Armées à Nantes, ville natale de Lamoricière.

A la Faculté des lettres de Besançon, J’ai enseigné à mes étudiants le nom de ces soldats et je leur ai précisé qu’en 1848, le général Cavaignac avait fait appel à Lamoricière pour écraser l’insurrection des ouvriers parisiens, les quarante-huitards.
Sous d’autres formes et se continuant dans une autre chronologie, la guerre coloniale s’est poursuivie dans les rues de mon quartier où les soldats du contingent menèrent le combat contre le terrorisme, nous soumettant à des fouilles auxquelles les enfants n’échappaient pas. 

La rue était dangereuse et les attentats à la grenade n’épargnaient pas les enfants

Ce soir, je reviens pour la première fois sur le traumatisme du à la perte de mon amie de classe Michelle Taïeb, âgée de treize ans qui décéda des suites d’un éclat de grenade à la tempe, rue de France.  Dans cette ville en guerre, les attentats réactivèrent chez ma mère le souvenir du Pogrom du 5 août 1934 qu’elle livra dans un entretien recueilli par la romancière Leïla Sebbar et paru dans Mes Algéries en France (2004) sous le titre Constantine-Sartrouville. 

Le 5 août 1934 se produisit un pogrom "classique" au cœur du quartier juif de Constantine. Selon des témoignages musulmans, un zouave israélite qui regagnait passablement éméché son domicile aurait uriné sur un des murs de la prestigieuse mosquée Sidi Lakdar.

Par le jeu de la rumeur publique (les juifs tuent nos frères), les émeutiers se déchaînèrent. Les boutiques de la rue Nationale furent méthodiquement saccagées et souvent pillées ; des familles juives furent atrocement assassinées sans bénéficier de la protection des forces de l’ordre. Le bilan du pogrom fut particulièrement élevé : vingt huit juifs dont une majorité de femmes, d’enfants et de vieillards y laissèrent leur vie ainsi que trois des émeutiers.

Pour nous enfants de la guerre d’Algérie encerclés par de hauts barbelés et soumis à la loi militaire du couvre-feu, les paysages n’existaient qu’en France

On les imaginait à l’aide de poésies apprises à l’école où la nature sentait l’odeur des foins ou bien s’incarnait dans des paysages enneigés de montagne que nous trouvions particulièrement exotiques surtout au moment des fortes chaleurs.

La guerre nous avait coupés de la nature et nous arpentions sans cesse les rues de notre quartier où les visages, les corps, les voix tenaient lieu de paysages à scruter. Les échappées à la mer étaient rares, les familles qui avaient une voiture étaient peu nombreuses. En prenant la route de Philippeville, on risquait de tomber sur des embuscades. Cet enfermement urbain est sans doute la raison pour laquelle je me souviens si bien de la cartographie des rues de mon quartier qui avaient pour nom la rue Thiers, la rue Chevalier, la rue des Cigognes adossée à la place des Galettes et entourée de ruelles étroites.

Mais les rues qui nous faisaient vibrer tant il s’y dégageait de la sensualité et de la vie, s’appelaient la rue de France et la rue Caraman (on faisait Caraman). Le nombre des cafés y était important. Il se trouvait pas moins d’une trentaine de cafés qui appartenaient à des juifs tous situés à la rue de France, principale rue du ghetto. La rue Caraman était étroite et allait de la cathédrale marquant la limite du quartier juif jusqu’à la place de la Brèche où nous étions certain de se retrouver autour d’une glace au citron, le "créponné".

La musique et le cinéma

A quelques mètres de mon domicile, rue de France se trouvait le cinéma Le Petit Vox qui appartenait au père de Raphaël Draï qui nous a fait aimer l’Amérique par sa programmation de films. On pense toujours à l’Algérie soudée dans un lien entre la France et l’Algérie comme si c’était le seul couple géographique possible.

C’était sans compter sur le cinéma. Le film à grand spectacle Les dix commandements en 1956 avec Charlton Heston dans le rôle de Moïse et Yul Brynner dans le rôle du pharaon Ramsès fut un énorme succès, dans ce péplum, le passage de la mer rouge faillit provoquer une émeute à Constantine. L’arrivée du cinémascope favorisait le succès de productions coûteuses, des films aux couleurs somptueuses aux mises en scènes spectaculaires projetés sur grand écran panoramique.

Le cinéma exportait le rêve américain et le modèle de l’Américan way of life

L’Amérique fascinait mes parents, elle représentait la modernité, la jeunesse, une terre d’accueil pour les Juifs victimes de pogroms mais surtout ils associaient l’Amérique au débarquement de 1942 qui les avait libérés du nazisme qui les aurait conduit à la déportation et à la mort.

Au Petit Vox, je découvris Elisabeth Taylor, Rita Hayworth, Ava Gardner, Lana Turner, Marlon Brando, James Dean, les westerns et bien sur les films de Laurel et Hardy ou encore de Charlie Chaplin que l’on projetait à la maison de ma grand mère maternelle Rina. Plus tard, j’appris que ce fut l’accord Blum Byrnes (secrétaire d’Etat du Gouvernement Truman) qui le 28 mai 1946 autorisa la diffusion des films américains dans les salles de cinéma français.

C’est au Casino situé dans le quartier européen qu’on a vu Tirez sur le pianiste, A bout de souffle et surtout les Quatre cent coups en 1959 de François Truffaut qui deviendra à Paris un de mes cinéastes préférés.

A Caraman, la beauté des jeunes femmes et surtout leur élégance étaient frappantes

La presse féminine diffusait les canons esthétiques de la mode avec Le Petit Echo de la Mode Modes et Travaux et pour les histoires de cœur, on lisait Confidences et Bonne Soirée. Les patrons de ces revues étaient découpés et copiés, ma mère et mes tantes voulaient être habillées à la mode parisienne par d’expertes couturières comme madame Zerdoun qui habitait dans notre immeuble.

La rue était colorée grâce au maquillage des femmes qui n’hésitaient pas aussi à porter les cheveux rougis au henné ou se décoloraient en blond platine sous l’influence de Jane Mansfeld, star américaine qui plaisait beaucoup à nos cousins en raison de ses fastueuses formes et de sa blondeur exotique qui disqualifiait en terre d’Algérie, nos cheveux bruns frisés.
Les rues de notre quartier étaient bruyantes

Les "jukebox" des cafés hurlaient les chansons de Dalida ou de Dario Moreno. Les femmes de mon quartier jouaient un rôle de médiatrice des goûts musicaux et des coutumes dans le passage entre la culture juive d’Algérie et la culture européenne. Marthe écoutait Maurice Chevalier, Charles Trenet ou Tino Rossi.

Elle dansait le charleston et au moment des tanias (fiançailles), dansait à l’orientale avec un foulard sur le rythme de la musique arabo-andalouse.

Elle aimait tout particulièrement écouter Raymond Leiris juif natif de Constantine (1912-1961) appelé en signe de respect "Cheikh Raymond"

Il chantait en arabe de la musique arabo- andalouse (le malouf constantinois). L’assassinat de Raymond d’une balle dans la nuque à la place Négrier le 22 juin 1961 suscita désespoir et incompréhension dans notre quartier tant le poète chanteur de ma ville était aimé et respecté par tous.

Son assassinat donna le signal de l’exode de la population juive de Constantine et signa le départ d’une communauté vieille de plusieurs millénaires.
A la modernité si française de l’espace public et de ses immeubles haussmanniens, se surimposait la dimension arabe de mon quartier

Dans des ruelles étroites, se trouvait le hammam avec son énorme porte de bois surmontée d’un anneau métallique et où nous étions malaxés par nos mères en "foutas" dans le bruit assourdissant des baquets d’eau.

Cette attention portée aux corps et aux voix n’est sans doute pas étrangère au choix de mon sujet de thèse d’histoire portant sur les livres interdits de l’Enfer de la Bibliothèque Nationale où j’ai examiné les figures du désir et du plaisir des années 1800 à 1914. Dans ce fonds de livres censurés pour outrage à la morale publique, après les libertines ou les héroïnes romantiques qui peuplaient ces livres écrits majoritairement par des hommes, j’ai découvert les représentations de l’exotisme de l’Orient avec les descriptions du corps de la Juive ou du Juif "oriental" ou encore le corps de l’Arabe et de l’Indochinois.

La violence de cette littérature xénophobe et raciste a provoqué un choc. "L’Enfer" (la réserve des livres précieux) de la Bibliothèque Nationale où je pensais découvrir la fameuse "gauloiserie" française, m’a conduit à censurer certains textes dans ma thèse d’histoire. Marquée par l’esprit de la génération libertaire de 1968, l’auto censure de ce matériau littéraire ne s’est pas faite sans tensio

J’ai compris qu’il me fallait travailler l’Histoire dans toute sa complexité en rendant compte également du discours du censeur de l’écrit pornographique de la République partagé entre Ordre et Liberté au moment où étaient promulguées les lois de la liberté de la presse de Juillet 1881.

TRANSMISSION MATERNELLE : Une culture de l’oralité

Une grande énergie

Ma mère nous a transmis le sens du travail. Elle était tout le temps en mouvement et son labeur incessant contredit les discours et représentations stéréotypés tenus sur la "femme orientale" et sa prétendue indolence. Marthe a toujours travaillé sans relâche et se moquait des « flessins » (les filles molles qui se laissaient vivre ou pire encore ne savaient rien faire de leurs dix doigts). A Sartrouville où elle habitait en 1964, elle continuait de dire "Je turbine" en nous parlant de son labeur à l’usine Peugeot de La Garenne Beuzons en banlieue parisienne où elle travaillait à la chaîne.

Née en 1918 à Constantine, Marthe avait à peine seize ans à la mort de son père. Elle reprit avec courage l’activité de son père pour faire vivre sa famille en tenant la bijouterie indigène de la place des Galettes. J’ai pris conscience en examinant son itinéraire, qu’au fond, j’avais commencé à travailler au même âge qu’elle.

Marthe était fille de bijoutier dont la spécialité était le filigrane

Son oncle Haïm était un artiste en orfèvrerie qui fabriquait le fameux bracelet serpent que les jeunes filles juives de Constantine recevaient au moment de leur mariage et que je transmettrai à mon tour à ma fille Claire. Après ses journées de travail à la bijouterie, Marthe faisait avec ses sœurs jusque tard dans la soirée de la "ktena", à savoir de longues chaînes d’argent formées de toutes petites rondelles qui étaient soudées au chalumeau pour être vendues aux femmes indigènes de son quartier ou au marché de la commune de Saint- Arnaud près de Sétif, connu pour la qualité de son agriculture. Ma mère illustrait par son métier les structures socio-professionnelles de la judaïcité algérienne.

En 1931, l’artisanat et le commerce occupaient 55 % des actifs tandis que journaliers, manœuvres et domestiques constituaient les couches les plus populaires et les plus pauvres. Pendant l’époque ottomane, les Juifs étaient artisans et surtout commerçants et jouaient un rôle quasi exclusif dans les échanges commerciaux.

Plus tard, avec les progrès de la scolarisation, les juifs d’Algérie ont eu accès aux emplois de bureau

Si possible dans la fonction publique où le salaire régulier et assuré remplaça alors la précarité des petits métiers. En Algérie, dans la fonction publique, les Juifs occupèrent le plus souvent des emplis subalternes, les postes-clés étant surtout réservés aux français métropolitains.

Sous Vichy, le régime internait les soldats juifs d’Algérie à Bedeau, au Sud de Sidi Bel Abbes où la neige et les étés torrides se succédaient, les insultes antisémites, les coups et à la prison faisaient de ces hommes des internés politiques. Les femmes ont fait vivre la communauté. Elles ont aussi fait face au moment de l’abolition du décret Crémieux d’octobre 1941, œuvre du ministre de l’Intérieur Marcel Peyrouton, qui fit apposer la motion « juif indigène » sur leur carte d’identité.

Ce statut privait leurs enfants d’école, excluait leur père et époux de la fonction publique, installait un numerus clausus rigoureux (2 %) aux professions libérales, avocats, médecins, pharmaciens, dentistes et sages-femmes. Le monde de nos mères juives d’Algérie me paraissait écrasé sous le poids de lourdes charges familiales et domestiques

Dans notre quartier les femmes passaient d’une maison à l’autre dans une intense relation de voisinage pour préparer les « tanias », les mariages ou les deuils. Les Chicheportiche se rendaient chez les Bouchara qui se rendaient chez les Guedj ou encore les Attia chez les Bouchoucha….

Tout le monde se connaissait dans le quartier et nos mères disaient : "On s’aide"

Chez nous, chaque repas demandait un long travail de préparation avec la "cacherouth" (lois alimentaires en conformité avec celles de la Torah). Ces plats étaient dits dans la langue arabe, langue de l’intimité et des réjouissances, langue adorée et reléguée dans la sphère privée. Je ne peux résister de citer ces plats comme un poème du souvenir, (kémias, meguena, slata mechouya, tjari tematem, couscous à la viande, fitna aux cardons, cigares aux amandes, tamina).

Je me souviens des "kaouas" (les petites pâtes) que les femmes de ma famille roulaient avec une agilité extraordinaire, des boulettes, du pain tressé, du couscous roulé dans la « kesra » en bois d’olivier où on pétrissait la pate du pain. 

Elles faisaient aussi les petites couronnes, les "makrout", les cigares, elles badigeonnaient les gâteaux au jaune d’œuf qu’il fallait porter au four au coin de la rue Thiers sur de grands plateaux très lourds de tôle noire.

Elle cuisinait les plats traditionnels au moment des fêtes religieuses mais faisait très bien la cuisine française et le repas du dimanche s’achevait invariablement par sa célèbre tarte au citron. J’ai compris bien plus tard que ces femmes avaient porté la vie communautaire en préparant les plats qui accompagnaient toutes les fêtes religieuses du quartier.

La cuisine avait été le lien de transmission de la religion

Ainsi se renforçait le cercle élargi de la famille comme fondement de la transmission des coutumes où l’identité juive s’inscrit d’abord par la mère, gardienne de la vie.

Pour ma mère, on était Juif de naissance, de milieu et de façon totalement évidente. Les femmes du quartier veillaient à l’enseignement religieux de leurs jeunes fils en les conduisant le jeudi et le dimanche au Talmud Torah (textes fondamentaux du judaïsme rabbinique) pour apprendre l’hébreu et les préparer à leur Bar-Mitzvah.

Ce rite par lequel le jeune garçon juif marque sa majorité à 13 ans, demandait beaucoup de préparation ; aucune erreur n’était permise ce jour là dans la lecture du texte hébreu de la Torah. Ainsi, les garçons n’avaient pour ainsi dire aucun jour de vacances ; ils suivaient le jeudi, le dimanche et les grandes vacances l’enseignement au Talmud et le reste de la semaine, ils se rendaient à l’école de la République y compris le samedi (jour sacré du shabbat).

Les lois de la laïcité de Jules Ferry adoptées en 1881-1882 étaient sacrées pour les Juifs d’Algérie qui fréquentaient majoritairement l’école publique. Sous Vichy, cette même école avait exclu les enfants juifs en promulguant des lois antisémites.

Je n’ai pas appris à cuisiner à Constantine les plats difficiles de ma mère et je ne sais pas faire de la pâtisserie orientale

En cherchant les connexions cachées transmises par l’héritage maternel, je me rends compte que j’ai refusé, perpétué et transformé l’adage de ma mère où le "on s’aide" est devenu à Paris "on lutte" pour demander plus d’égalité dans le mouvement d’émancipation des femmes dans le sillage du combat féministe de la génération de mai 1968.

J’ai choisi pour creuser cette histoire des femmes Michelle Perrot comme professeur de thèse, spécialiste du XIXe siècle et qui fut à l’Université de Paris VII pionnière de "l’Histoire des femmes et du genre". Ma mère et mes tantes Hélène et Clémence, les filles Zaoui étaient là le jour de ma soutenance et m’apportèrent pour le rituel pot de thèse les gâteaux de Constantine. "On s’aide", disaient-elles.

TRANSMISSION PATERNELLE

"Ma fille, tu écriras"

La société méditerranéenne est représentée et vécue comme une société patriarcale où domine dans l’imagerie traditionnelle la figure toute puissante du Pater Familias dont l’autorité n’est pas ou peu contestée. Désobéir au père était le plus grand péché possible et les filles bien plus que les garçons obéissaient à leur père et faisaient partie du genre humain à surveiller.

Mon père ne correspond pas dans mon souvenir de petite fille et d’adolescente à la figure tyrannique du père tout puissant. C’est lui qui m’a permis de me soustraire aux tâches ménagères que devait accomplir une jeune fille de Constantine avec son injonction "Lis" suivi de "Ma fille, un jour ma fille, tu écriras".

Elie Stora était un républicain libéral, membre de la SFIO (Section française de l’Internationale Socialiste) ouvert à la modernité. Il avait été l’ami du peintre Jean Atlan (1913-1963), résistant qui étudia la philosophie à la Sorbonne et découvrit la peinture à l’occasion de son internement à Paris à l’asile Sainte Anne où il s’était réfugié pour échapper à la police allemande.

Elie Stora était né en 1909 à Khenchela, commune de l’Est algérien. Petit commerçant, il gagnait sa vie en vendant de la semoule et de la farine à Constantine qui était un grand marché de commerce des grains et le premier centre minotier en Algérie. Ce centre s’était étendu du côté de la plaine du Hamma où s’étaient installés des minotiers profitant de ses sources d’eau. Son père Benjamin Stora fut d’ailleurs minotier et il revint de la Grande Guerre amputé du bras droit, ce qui contribua à sa ruine financière, n’étant plus, selon ses fils Charles et Elie, le même homme.

Je l’attendais avec angoisse à l’heure de mes devoirs craignant qu’il n’ait été assassiné dans sa boutique comme mon oncle Echoura

Mon père se proposait non seulement de m’aider à faire mes devoirs mais de me les faire. C’était un temps privilégié où il me parlait d’histoire, de politique ou de littérature. Oui, mais quelle Histoire ?

La transmission paternelle était marquée par un antisémitisme propre à l’Algérie. La relance de l’Affaire Dreyfus en 1897 et son développement politique firent dégénérer la situation. Au lendemain de la publication du "J’accuse" de Zola, des manifestations antijuives eurent lieu dans toute la France. En Algérie, les conséquences furent bien plus terribles. Dans la seconde quinzaine de janvier 1898, comme l’écrivit Georges Clémenceau dans l’Aurore, aux cris de "Vive la France" et de "Vive l’Armée !" on a pillé, saccage, brûlé, massacré pour "La gloire de l’Evangile".

Max Régis et ses amis, groupés autour de l’Antijuif algérien et la Ligue antijuive d’Alger se déchaînèrent. Le pape de l’antisémitisme Edouard Drumont, décida de poser sa candidature à Alger. Venu en visite au début avril, il fut accueilli par une foule en liesse. Edouard Drumont, Emile Morinaud, Charles Marchal, Firmin Faure ont été tous les quatre élus sur un programme exclusivement antisémite.

"Candidats antijuifs", ils demandaient l’abrogation du décret Crémieux 

Ce décret d’octobre 1870 avait sorti les 35 000 juifs de l’indigénat et fait d’eux des citoyens, à égalité de droits avec les colons. Beaucoup redoutaient qu’il puisse servir d’exemple et permette un jour d’accorder aux Arabes des droits qui signifieraient la fin de la "France algérienne.

La guerre de 1914 a joué un grand rôle dans l’ardent patriotisme de mon père et il ne cessait de rappeler qu’il était français par l’impôt du sang payé par son père dont le bras avait été amputé. On sait par les travaux des historiens de la Grande Guerre que devenir de "vrais français", confirmer sa citoyenneté dans la participation aux combats de la génération de son père, montrer ses titres et décorations faisaient la preuve de la citoyenneté.

Pour ces juifs français qui préféraient alors se dénommer "israélites", la guerre a été le moment où ils ont pu se sentir pleinement français et donner sens à qu’on appelle "l’israélitisme" où s’est développé le républicanisme juif. Après la guerre, les Juifs d’Algérie comme ceux de France se sont sentis émancipés et agrégés à la nation. Sur le Monument aux morts de Constantine, on peut lire gravés les noms d’Emile Zerbib, soldat au troisième régiment des Zouaves et de Jacob Zaoui, adjudant au premier régiment des Zouaves, membres de notre famille et morts sur les champs de bataille.

Dans Le livre d’or du judaïsme algérien (exposé au Musée) figurent également le nom ces deux oncles de notre famille 

Henri Aboulker (1876-1957) et ses compagnons d’armes ont justifié leur initiative d’éditer ce livre au nom de leurs morts et de leurs décorés : "L’union sacrée ne survivra pas malheureusement à la guerre ; la lutte des races reprendra fatalement. Il serait bon d’être armés contre nos détracteurs et de prouver par des documents officiels et authentiques l’inanité de leurs accusations".

Le fils d’Henri Aboulker, José Aboulker, (Alger 1920-Manosque 2009), qui fut fait Compagnon de la Libération, poursuivra le combat de son père cette fois dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale en fondant dès 1940 un réseau de résistance à Alger. Dans la nuit précédant le débarquement allié en Afrique du Nord qui eut lieu le 8 novembre 1942 (opération Torch), José Aboulker et ses compagnons déclenchèrent l’occupation d’Alger avec 400 résistants pour la plupart juifs, en occupant les points stratégiques d’Alger.

Pourquoi mon père ne m’a-t-il jamais parlé de sa dénaturalisation qui l’avait renvoyé au statut "d’indigène" ?

Pourquoi un tel amour de la République et sur quoi le fondait-il alors que la loi du 27 octobre 1940 portant sur le statut des juifs lui avait enlevé la nationalité française ? Pourquoi n’a-t-il jamais mentionné l’aryanisation des biens de son père ordonné par l’arrêté du 14 août 1941 ?

Pourquoi ne m’a-t-il jamais parlé des camps de la mort et de la déportation qui exterminait le monde juif ashkénaze pendant la Seconde Guerre mondiale où périt la sœur de sa mère à Auschwitz ? Je remarque que mon père s’intéressait surtout aux Juifs investis dans la République des Lettres et de la politique d’une forte charge symbolique qui était porteuse d’un message de Résistance, de Justice sociale et d’Universalisme.

Si les Juifs étaient vus du côté de la marge, ces hors centralité représentaient pour mon père la quintessence de la République morale. Léon Blum (1872-1950) et Pierre Mendès France (1907-1982) ces héros mythiques de la "République juive" selon la définition de l’historien Pierre Birnbaum, figuraient dans son panthéon politique. Il savait que Léon Blum cette grande figure du socialisme honnie de l’extrême droite, celle de Léon Daudet qui se déchaînait contre cet "hybride ethnique" dans l’Action Française du 2 septembre 1933, avait fondé l’Humanité en 1904 avec Jaurès et fut le premier à prendre des femmes au gouvernement à un moment où elles n’avaient pas le droit de vote. 

Surtout, Blum fut Président du Conseil des Ministres du Front Populaire en 1936 et avec Roger Salengro. Blum se prononça contre les pouvoirs du maréchal Pétain en Juillet 1940

Mon père parlait davantage de Léon Blum que de Mendès France sans doute à cause du projet de loi Blum-Violette (ancien gouverneur d’Algérie) qui proposait en 1936 un ensemble de dispositions visant à ce que 20 000 ou 25 000 musulmans puissent devenir citoyens français tout en gardant le statut personnel lié à la religion.

Pouvaient accéder à ce statut :

- Les indigènes ayant conquis un grade dans l’armée ou certaines distinctions au titre militaire ;

- les indigènes titulaires de certains diplômes d’enseignement secondaire et supérieur ;

- les indigènes ayant exercé un certain temps dans la fonction publique. Ce projet que mon père approuvait, ne vit jamais le jour. Ce projet représentait pour mon père l’idée du citoyen capacitaire chère à la France du XIXe siècle qui croyait en l’idée de l’évolution de l’Homme par l’éducation.

Les Juifs de France ou plutôt son élite morale et intellectuelle portaient au XIXe siècle ce même regard sur les Juifs d’Algérie. Cette élite juive réfléchissait à l’organisation des consistoires algériens qui devait nécessairement prendre selon eux la forme d’une occidentalisation pour les faire "évoluer".

Les juifs algériens étaient invités à s’habiller à l’européenne, à envoyer leurs enfants dans les écoles israélites françaises et à abandonner les rites religieux maghrébins. En terre algérienne, les consistoires furent donc une déclinaison appliquée au judaïsme, de la "mission civilisatrice" de la France dans sa colonie.

De même que l’intelligentsia française, François Guizot en tête, estimait que les musulmans ne pourraient entrer d’eux mêmes dans la modernité, mais seulement par une action civilisatrice imposée par la France conquérante, les juifs français considéraient alors que leurs coreligionnaires d’outre-Méditerranée n’étaient pas capables de se régénérer par eux-mêmes.

Cette idée perdura longtemps – même lorsque les juifs "indigènes" d’Algérie furent devenus français par le décret du 24 octobre 1870.

Mon père pensait que les Juifs étaient d’une certaine façon des citoyens capacitaires qui devaient toujours faire la preuve de leur citoyenneté française. Ce combat en citoyenneté passait par la lutte contre l’antisémitisme.

Pour mon père, rappeler la Révolution Française constituait une arme de combat contre l’extrême droite qui niait l’esprit des Lumières et considérait les Juifs comme des "forains" et des "nomades", pensée chère aux déracinés de Barrès, figure de proue du nationalisme français développée dans sa trilogie La terre et les morts, Les Déracinés et Le roman de l’énergie nationale.

La littérature était aussi pour mon père une arme contre l’antisémitisme. Il mobilisait à ce titre les écrivains juifs de culture française comme le romancier et essayiste Edmond Flegenheimer plus connu sous le nom d’Edmond Fleg (Genève 1874-Paris 1963). Il rappelait qu’Edmond Fleg avait été dreyfusard et avait combattu dans la Légion étrangère pendant la Première Guerre mondiale.

Fleg avait passé ensuite sa vie à approfondir ses connaissances du judaïsme et fut l’auteur d’une vaste fresque poétique en quatre volumes : "Ecoute Israël, l’Eternel est notre Dieu, l’Eternel est un et tu aimeras l’Eternel".

Mémoire religieuse

Qu’en est-il de la transmission religieuse du judaïsme de mon père ? Etre Juif ne signifiait pas seulement pour mon père se battre contre l’antisémitisme sous la pression de l’ennemi qu’il voyait dans l’extrême droite. Mon père se nourrissait d’une spiritualité et d’une mystique juive propre à lui et à sa communauté.

Il ne citait pas les noms des rabbins de l’Ecole rabbinique de Metz fondée en 1829 et qui formait des rabbins « modernes » pour la communauté juive d’Algérie. Il ne se sentait pas représenté par le grand rabbin Cahen qui vint à Constantine en 1865. Celui ci ne parlait pas langue du pays et considérait les Juifs de la ville comme les membres d’une "peuplade arriérée". Ces rabbins venus de France étaient travaillés par l’idée de « l’évolution », aussi les judaïcités algériennes souhaitaient-elles choisir leurs chefs spirituels et non se les faire imposer autoritairement.

Mon père aimait les rabbins de Constantine et me parlait avec respect du Grand rabbin de Constantine Fredj Halimi (ce prénom de Fredj signifie en français consolation). Ce rabbin, né en 1876, peu de temps après que l’Algérie ait reçu la nationalité française à la suite du décret Crémieux en 1870 fut le père spirituel des Juifs de sa ville où il avait exercé la fonction de rabbin pendant une soixantaine d’années.

Moshé ben Maïmon le "Séfarade" dit Maïmonide né 1135 à Cordoue dans l’Andalousie mauresque et auteur du Guide des égarés de Maïmonide faisait partie des références religieuses de mon père 

Ce livre fut traduit par le silésien Salomon Munk (1803-1867) qui occupait la chaire d’hébreu et d’araméen et se consacra à l’étude de la littérature judéo-arabe médiévale. J’ai lu Maïmonide bien des années plus tard au moment où je préparais "La République des faibles, les origines intellectuelles du droit républicain". Mon matériau d’archives consistait à lire les juristes de la Troisième République qui étaient des catholiques modernistes et libéraux. Ceux ci se retrouvaient dans une société savante nommée la Société Générale des Prisons (1873).

Ils y réfléchissaient aux fondements des lois portant sur la réforme pénitentiaire. Ces modernistes, profondément opposés au déterminisme racial des médecins tenant de l’anthropologie criminelle de l’époque, citaient Saint Thomas d’Aquin (1224-1225) considéré comme un grand maître de la théologie catholique.

Fidèle à la philosophie du maître, ces néo-thomistes voulaient répondre aux objections posées au christianisme par la modernité. Ce même défi se posait aux Juifs qui eux se référaient à Maïmonide, juriste et figure majeure du judaïsme rabbinique, apôtre d’un savoir juif épuré des superstitions entre inspiration prophétique et esprit rationnel.

Conclusion

Le "canoun" de grand mère Rina, son buffet Henri II reposant sur son tapis berbère rouge, les lampes arts déco, la cuisine française et la pâtisserie orientale, les meubles noirs cirés de grand-mère Julie, la musique de Raymond et de Charles Trenet ont constitué les ingrédients symboliques d’une transmission reçue et remaniée.

Ces ingrédients restent pour moi au fondement de "la synthèse républicaine", concept exotique qui pour lui donner sens, m’a demandé beaucoup de travail. Dans la recherche des connexions cachées de mon itinéraire, je ne vois plus de hasard à m’être engagée dans la recherche des origines intellectuelles du droit républicain.

J’ai voulu comprendre dans un ensemble de lois promulguées dans les années 1900 comment le législateur moral de la toute jeune Troisième République s’était attaqué à l’idée de déterminisme racial. Invitée par Aron Rodrigue, professeur en Histoire contemporaine à l’Université de Stanford (Californie) à présenter mon livre tiré de mon Habilitation à diriger les recherches, à mon grand étonnement, il me dit que j’avais choisi d’explorer un sujet « Juif ».

Mon livre touchait selon lui à l’idée de la Loi dans son rapport avec la Justice et la solidarité qui s’inscrivent au fondement de la philosophie juive. J’ai dédié mon livre "La République des faibles" à mon père qui croyait en la République et à la Loi.

Au nom de cette croyance, mon père chérissait l’œuvre des rebelles.

 

Commentaires   

0 # sam 18-02-2018 21:35
bonsoir madame.je compatit pour vous et votre famille.je suis français d'origine algérienne et je suis originaire de Constantine connais très bien cette ville,ma famille possède plusieurs bijouterie route de france.je vous souhaite beaucoups de courage et sachez que vous etes les bienvenue chez nous.
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