Témoignage de Roger Bensadoun
Mon père, Henri Bensadoun, Français Israélite Officier d’active dans l’armée de l’Air.
Certains passages du texte ci-dessous sont extraits du livre de Roger Bensadoun « Les Juifs de la République en Algérie et au Maroc » paru en 2003, référencé par le comité d’organisation de l’exposition des Juifs d’Algérie au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme.
Officier d’active dans l’armée de l’Air française avec le grade de lieutenant, mon père reçut, dès la parution au Journal Officiel de la loi du 3 octobre 1940, l’ordre de renoncer à porter tout signe extérieur réservé aux seuls citoyens français. Il fut mis dans l’obligation de quitter son uniforme d’officier, en vertu du 5ème alinéa de l‘Article 2 du statut des juifs, ainsi que les décorations obtenues sous les drapeaux sous peine de sanction allant jusqu’à l’emprisonnement. En réalité, il venait d’être renvoyé de l’armée sans autre forme de procès ni indemnité. Déclaré « apatride », il reçut peu après une nouvelle carte d’identité avec la mention « Juif » inscrite à l’encre rouge.
Né et élevé à Sidi-Bel-Abbès au début du siècle dernier, il ne fait aucun doute que mon père aura été fortement influencé par la présence de la Légion étrangère dans cette ville de garnison la plus connue en France et dans les colonies.
Forte de près de 10.000 membres, la communauté juive vivait comme tous les Bel-Abbèsiens à l'heure de la Légion et de ses cérémonies patriotiques toujours émouvantes. Sa vie quotidienne était rythmée par les sonneries de clairon des trois casernes Viénot, Prudon et Yusuf installées en plein centre, du lever des couleurs le matin, à l'extinction des feux le soir.
Il avait à peine 18 ans quand mon père s’engagea dans l’armée quelques mois après l’armistice de 1918. Affecté d’abord à Toulouse dans un régiment d’infanterie où il fit ses classes, il se retrouvera plus tard à Versailles au 503ème régiment de chars de combat. Promu sous-lieutenant, il demandera à servir au 2ème groupe d’aviation d’Afrique. Il intégrera l’armée de l’Air en 1934, l’année de sa création.
Alors qu’il avait été affecté en juin 1940 à l’Etat-Major de l’Air au Maroc, le général François d’Astier de la Vigerie, commandant les forces aériennes du Maroc, prévenu de l’arrivée à Casablanca du « Massilia », paquebot dans lequel avaient embraqués à Bordeaux un certain nombre de parlementaires, chargea mon père de recevoir au port de Casablanca Pierre Mendès France qui se trouvait à bord. Ce dernier avait profité de ce transport inattendu non pas comme député, mais comme lieutenant de réserve de l’armée de l’Air pour rejoindre son unité, l’école des observateurs de l’Air qui s’était repliée au Maroc. C’est ainsi que mon père se lia d’amitié avec l’ancien Sous-secrétaire d’Etat au Trésor. Lorsque parut l’instruction ministérielle de libérer les officiers de réserve, il lui transmit l’information et lui proposa de le domicilier chez nous à Rabat, pour lui éviter de retourner à Paris, son lieu d’appel sous les drapeaux où il aurait été arrêté. Il accepta d’autant plus cette offre qu’elle lui aurait permis de rejoindre le général de Gaulle à Londres, via Tanger et Gibraltar. Mais il ne put mettre à exécution ce projet. Il fut, en effet, arrêté par les autorités françaises au Maroc, incarcéré dans une prison militaire à Casablanca, transféré à Clermont-Ferrand où il fut jugé et condamné à six ans de prison.
Quant à mon père, il fut accusé de complicité de trahison et d’évasion pour « avoir favorisé la fuite d’un déserteur et traître ». Il fut retenu dans les locaux de la police française jusqu’au moment où ses amis de « La Fraternité du Maghreb », le premier mouvement de résistance au Maréchal Pétain en Afrique du Nord, l’en sortirent.
« C’est grâce au capitaine Bensadoun et à ceux qui travaillaient avec lui, que mon évasion fut préparée et réalisée en quelques jours. C’est à lui que je considère d’avoir pu échapper à la police de Vichy. J’ajoute qu’après mon arrivée en Angleterre je fus condamné à mort par contumace par le Tribunal militaire de Meknès (Maroc) ». L’auteur de ces lignes était Gilbert Mantout, ce lieutenant de l’armée de l’Air que l’on voit derrière le général de Gaulle sur toutes les photographies ou les vidéos, lors de ses déplacements en Angleterre ou en France, notamment lorsque le 26 août 1944 il descendit les Champs-Elysées précédé des chars de la 2ème DB.
Issu d’une famille juive originaire d’Alger, jeune lieutenant de réserve , Gilbert Mantout avait regagné, grâce au réseau auquel appartenait mon père, les forces aériennes de la France libre en 1942. A Londres comme en France le général de Gaulle l’avait pris avec lui pour être son officier d’ordonnance . Avocat à la cour d’Appel de Paris, il fut nommé à la Libération « Chef de l’organe de recherches des criminels de guerre ».
Dès son renvoi de l’armée, mon père avait été effectivement contacté par le « groupe des officiers gaullistes Air-Maroc ». Durant deux ans, ce groupe fera passer en Angleterre de nombreux pilotes et mécaniciens avion. A partir du mois de mai 1941, mon père intègrera les « Résistants unis des groupements indépendants républicains » pour préparer le débarquement des troupes alliées sur les côtes algéro-marocaines, en liaison avec le « Réseau Oran Républicain » et celui de « Karsenty-Médioni », réunis dans une sorte d’organisation L’Union africaine et la Raison réunies, dont 80% des membres étaient des Français israélites, en liaison avec La Fraternité du Maghreb à Rabat, dont plusieurs membres faisaient partie de la communauté juive originaire d’Algérie.
Le 8 novembre 1942
Représentant en Afrique du Nord les mouvements de résistance, tous devaient au jour J, participer activement à la réussite du plan mis au point pour soutenir les forces anglo-américaines, aussi bien à l’intérieur des terres que dans les villes: à Oran, à Sidi Ferruch, à Aïn Taya près d’Alger, et, au Maroc, à Port-Lyautey (Kénitra), à Fedala (El Jadida) près de Casablanca et, plus au sud à Safi.
Au Maroc, ce 8 novembre 1942, tous ceux qui, parmi la population principalement des quartiers juifs, souhaitaient en finir avec le régime de Vichy étaient descendus dans les rues ou étaient montés sur les terrasses de leur immeuble pour mieux voir arriver les libérateurs, un drapeau tricolore d’une main et une bouteille de champagne de l’autre. Les Vichystes, les fidèles du maréchal Pétain apeurés, restaient cloîtrés chez eux, se montraient timidement sur leur balcon ou étaient descendus dans la rue avec un fusil de chasse prêt à tirer sur les...avions alliés. Certains portaient un brassard estampillé des trois lettres S.O.L. (Service d’Ordre Légionnaire) de la milice collaborationniste intégrée dans la Légion française des combattants - ces demi-soldes de la défaite. Ils ne le gardèrent pas longtemps. En effet, les éléments de la résistance qui avaient préparé le débarquement, se mettaient en place aux points stratégiques dès les premières heures de la matinée. A 75%, ils étaient juifs. C’est ainsi que mon père avait rejoint son poste à Fedala, une ville balnéaire près de Casablanca dès le 6 novembre.
Cependant, en Algérie tout ne se passa pas comme prévu. Lors des premières attaques alliées, le jeune Jean Dreyfus avait investi la grande Poste d’Alger avec son groupe. Alors qu’il venait de s’entendre avec le chef d’une petite troupe de soldats français qui devait l’assiéger, il fut tué d’une balle dans le dos par le sous-officier avec lequel il venait de parlementer. Comme le rapporte la journaliste Renée Pierre-Gosset, son assassin, l’adjudant Constant, sera décoré de la Croix de guerre “pour ce bel exploit.”
A Oran, la situation se durcit au détriment des Américains. Trahis par la faute tactique d’un officier supérieur de l’armée française, ils devront en effet subir la canonnade des batteries côtières et les attaques des troupes au sol, sans que leurs alliés de l’intérieur puissent intervenir ou apporter leur soutien. Ils viendront à bout des derniers îlots de combattants militaires et civils dans un temps un peu plus long.
Réintégré dans l’armée de l’Air en octobre 1943 sur ordre du général de Gaulle avec le grade de capitaine, d’abord au Maroc, puis à la Libération au ministère de l’Air à Paris, mon père fut envoyé en Algérie dès 1955, à la base aérienne d’Oran-La Sénia. Oran était une ville dans laquelle il avait de très nombreux amis. Le jour de Kippour ou lors des fêtes de Pessah (la Pâque juive). il ne manquait jamais de se rendre dans la grande synagogue, vêtu de son uniforme blanc d’officier supérieur de l’armée de l’Air. Tous se voulaient être son ami ou un proche parent ! Tous tenaient à l’embrasser ou à l’assurer de son affection. A tous il se montrait chaleureux, amical et fraternel. Il symbolisait en quelque sorte l’honneur retrouvé de tous ces fidèles qui, déchus de la nationalité française sous le régime de Pétain, avaient été outragés, humiliés et bafoués. Le sentiment d’orgueil de ceux qui se pressaient autour de sa personne lui semblait parfaitement justifié dans la mesure où seul parmi la foule d’anonymes, quelles que fussent leurs qualités, leurs mérites ou leur condition sociale, il représentait ostensiblement cette France laïque et républicaine à laquelle tous les membres de cette communauté oranaise qu’il connaissait bien, avaient adhéré spontanément, de père en fils, sans aucune réserve.
Enfin, après avoir été en poste à la base aérienne OTAN de Saint-Dizier, en Haute Marne, mon père terminera sa carrière militaire avec le grade de Colonel, à la base aérienne de Caen-Carpiquet, dans le Calvados, qu’il commandera en second de 1959 à 1962. Il prendra sa retraite en janvier 1963 à Caen où il sera élu Vice-Président de la Communauté juive de Caen.
Pendant son mandat, il prendra l’initiative de construire à Caen une synagogue qui sera inaugurée en mai 1966. Il décèdera le 20 octobbre 1968 à la Grande Synagogue de la Victoire à Paris, alors que Délégué de la Communauté de Caen, il défendait les Offciants venant du Maroc qui n’avaient pas encore de statut social puisque, en effet, ils n’avaient pas le diplôme exigé par le rabbinat.
Il était Officier de la Légion d’Honneur, titulaire de la Médaille de la Résistance et de la Valeur Militaire, Officier dans l’Ordre des Palmes académiques, Médaille d’Or d’Education Physique et de nombreuses autres décorations françaises et étrangères.
Addendum de l'auteur :
A vrai dire, quand les Anglo-américains ont débarqué en A.F.N j'habitais à Rabat avec mes parents et venais d'entrer au Lycée, en classe de 6ème. Mon père, qui avait été renvoyé de l'armée, après avoir été déchu de la nationalité française, a été d'une discrétion absolue en ce qui concerne ses activités dans la résistance.
Ce n'est que bien plus tard que j'ai fait le lien avec le débarquement quand il nous a fait part d'un déplacement qu'il devait faire à Casablanca (en réalité c'était à Fédala) 48 heures avant l'arrivée des Alliés. Mon père était un homme très discret, au point que peu de personnes, hors la communauté d'Oran et d'Oranie, connaissent son passé.
J'en ai parlé dans un livre que j'ai publié en 2003, qui est souvent cité dans des thèses présentées à la Sorbonne, mais j'en parle beaucoup plus dans celui à paraître, intitulé "Nul n'entre ici s'il n'est totalement Juif..." si toutefois l'éditeur consent à garder ce titre.
Commentaires
1. gozlan lucien Jeu 01 Nov 2012
Merci a vous, monsieur Roger BENSADOUN pour ce temoignage exceptionnel sur le parcours de votre pere, resistant contre l administration petainiste, ayant le statut d indigene, et pourtant combien amoureux de la patrie Ffrancaise si chere a des centaines de milliers de juifs d AFN.
L Hommage que nous voulons rendre a tous ces resitants dans l Operation TORCH, nous apaise et nous honnore egalement.
Commentaires
Je crois que votre papa était ami avec le mien Léon Benayoun né en 1916 , il habitait Kenitra, etait marié à Sylvie Laredo de Rabat ( soeur de Lucien mort en janvier 45)
Merci de me repondre
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