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Bienvenue sur le site de l’association MORIAL

Notre objectif : sauvegarder et transmettre la mémoire culturelle et traditionnelle des Juifs d'Algérie. Vous pouvez nous adresser des témoignages vidéo et audio, des photos, des documents, des souvenirs, des récits, etc...  Notre adresse

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L’ensemble de la base de données que nous constituons sera  régulièrement enrichie par ce travail continu de collecte auquel, nous espérons, vous participerez activement.  L'intégralité du site de Morial sera déposée au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) à Paris, pour une conservation pérenne .

Tlemcen, le kiosque à musique au centre ville
Médéa : rue Gambetta (1945)
Alger : rue d'Isly (1930)
Une oasis à Ouargla (Territoire du Sud algérien)
La Grande Poste d'Alger (Photo J.P. Stora)
Square Bresson
Lycée E.-F. GAUTIER D'ALGER
Service Alger - Bouzareah
Alger : le marché de la place de Chartres
MEDEA - Le Café de la Bourse
Guyotville - La Plage

 

Par ALBERT BENSOUSSAN

 

La famille c'est important pour nous, dans le judaïsme c'est le lien de vie, ainsi que l'a représenté Élie Sarfati (je ne me lasserai jamais de le citer) en peignant cette chaîne recouvrant ce linge bleu et blanc, le drapeaud'Israël.

Nous sommes une immense famille dispersée qui se regroupe, quand elle le peut ou le veut. Je viens de perdre un ami, un ami juif d'Alger, mon voisin de rue, Robert Bentolila זיכרונו לברכה. Un bout de la chaîne a cassé et la famille a le coeur brisé.

Nous habitions rue Danton, au pied du Telemly, lui rue Valentin, au bas de ma rue. J'en ai tant écrit sur mon quartier, pourtant il ne se lassait jamais de  lire mes chroniques et de s'attendrir. Alors je déchire une page du carnet de ma mémoire, et cette feuille volante je la lance vers lui, dans le ciel de sa nuit :

Voilà que, dans l'aube tiède et parfumée de cet automne 42, juste après le débarquement des Alliés dans le port d'Alger où, au-dessus des croiseurs, paradaient et se balançaient ces gros ballons gonflés qu'on appelait des saucisses, et qui espionnaient le ciel avant toute descente en piqué des stukas nazis – sifflement horrifiant –, ma sœur Estelle et moi, les deux petits, nous nous dirigions vers l'Entraide féminine laïque, au n°7 de la rue Valentin,  une grande salle qui deviendra plus tard, dans la paix revenue, un dancing du dimanche.

Pour l'heure, dans l'immense salle au rez-de-chaussée et en contrebas de la rue, on a dressé de grandes cuves fumantes : les Américains ont apporté du lait en poudre, et voilà que, mélangé à l'eau, on nous sert un magnifique bol de lait chaud que nous devons boire – et avec quel plaisir – parce que la guerre nous a longtemps privés de lait (c'est pourquoi ma sœur et moi n'avons pas de très bonnes dents) et de l'indispensable calcium.

Moi je suis le plus petit de la famille, il me manque quelques centimètres pour avoir la taille de mes frères et de mon père. Robert, lui, était plus grand que moi parce qu'il avait tété plus tôt, plus âgé donc de quelques années, il avait de solides dents blanches. Et voilà qu'il est mort, mon voisin de la rue Valentin. Mais il fut heureux, avec sa femme, au milieu d'enfants et de petits-enfants, et sa vie fut pleine et entière. Sauf qu'à la fin il faut toujours que le fil casse, et voilà.

Sur la petite placette à l'entrée de la rue se trouvait le boulanger Moran. Tous les boulangers étaient espagnols (Ferrer, Fuster, Ors, etc.). Tata Julie, la plus jeune du côté de mon père, avait coutume de faire les pains tressés du Chabbat. Tous les vendredis matin, ellle portait sur sa tête un grand plateau en fer recouvert d'un linge blanc ; dessous, la pâte qu'elle avait pétrie en patience, sans jamais oublier de prélever la hala (cette dîme qui, dans les temps bibliques, revenait aux prêtres), et c'est pourquoi ces pains de Chabbat sont appelés halot.

Elle les amenait au boulanger qui les enfournait sans demander son reste. Les Italiens amenaient là leurs pizzas, et les Juifs leur pâte tressée ; les Arabes leur gâteaux à la fleur d'oranger piqués d'une amande : galbe louze.

Nous vivions en communautés, séparées mais unies.

Après quoi Tata Julie – qui s'appelle Ma'ha en hébreu – allait faire la distributions et parcourait la ville pour servir notre nombreuse famille qui jamais ne manquerait de faire le motsi sur les bonnes miches. Tata Hebed – qui est Yokhebed יוכבד–, elle, sa spécialité c'était le harosset de Pessah : elle malaxait dattes et figues avec toutes sortes d'épices qui étaient son secret de famille, et elle faisait pareillement la distribution auprès de tous les nôtres aux quatre coins d'Alger.

C'était cela le lien de vie, la famille.

Et maintenant, une anecdote de l'autre guerre, celle qui a suivi, je veux parler de la guerre d'Algérie qui nous a chassés, Robert et moi, de nos rues d'Alger en ruinant nos traditions et nos coutumes (j'ai définitivement perdu le goût des halot de Julie et de l'harosset de Hebed). En ces temps terroristes, la nuit venue qui pouvait se risquer dans les rues ? Nous vivions sur les hauteurs et nos rues étaient étroites, avec beaucoup d'escaliers sombres où un mauvais coup était vite arrivé. Alors ma mère s'était érigée en gardienne des rues, mais aérienne, n'est-ce pas ? Ish maguen au féminin : femme bouclier et mère courage. Elle prenait position, la nuit venue, le dîner expédié, et papa déjà au lit (parce qu'il se levait à cinq heures pour mettre talith et téphilines), je la revois sur le balcon du quatrième qui dominait toutes les rues du quartier.

Elle se munissait d'un grand seau d'eau, d'un balai et d'une serpillière qu'elle accrochait en haut du balai. Ainsi guettait-elle l'arrivée de mon grand frère Lucien, qui était avocat et bavard, et s'attardait volontiers le soir, au lieu de regagner prudemment notre chez-nous après avoir expédié son dernier client. Mais non, il s'attardait, il n'avait pas peur, il défendait même des fellaghas, il était sur la liste noire de l'OAS, tout cela faisait beaucoup d'embûches, beaucoup d'effroi chez ma mère qui, le matin prenait des gouttes de solucamphre pour calmer les battements de son coeur (mais elle mourra quand même à quatre-vingt-quinze ans, presque à cet âge où les Juifs du Maghreb font youyou et sourient à la mort).

Comment s'expliquait sa mise en scène ? Voilà, disait-elle : si le terroriste suit mon fils – Lulu larziz -- et s'approche d'un œil menaçant (un dou-douk à la main) je sais ce que je dois faire : je pousse un cri, j'agite bien haut mon balai avec le torchon pour créer du mouvement et, en dernier, je jette du haut du balcon tout mon seau d'eau,  et je laisse ainsi, par l'effet de surprise, le temps à Lulu de pousser la porte de la rue en remettant la clé. Tonton Albert, un soir qu'il rentrait chez lui, avait été suivi par un fellagha couteau levé, mais ce grand sportif avait une foulée imbattable, il avait eu juste le temps d'ouvrir la porte et de la refermer tandis que l'autre enfonçait sa lame dans le bois. Ainsi vivions-nous quand l'oeil noir ombrageait la cité. 'Hamsa fé 'einek : 5 dans ton œil...

Mais aujourd'hui, par chance, nous avons quitté la cité dévastée, nous vivons au loin, heureux, unis, et la famille recomposée. Oui, jusqu'à la cassure de la corde et la chute de la poulie au fond du puits dont nous parle Qohélet (L'Ecclésiaste).

Mais la chaîne qu'a représentée Sarel restera solide sur son fond bleu et blanc – ciel d'azur et plume de colombe. Et je me dis que jamais nous ne périrons.

"Et pourquoi ולמהmourriez-vous תמותוmaison d'Israël   בית ישׂראל?" a clamé Ezéchiel, et le prophète visionnaire a séché nos larmes.

Albert Bensoussan

 

 

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