Par YOSSEF CHARVIT
A l'époque de l'Age d'Or du judaïsme espagnol, l'Afrique du Nord avait de grands poètes qui versifiaient dans le style de la poésie espagnole. Nous en avons pour preuve les échanges de poèmes entre poètes espagnols et dignitaires d'Afrique du Nord et même la pratique qui s'était maintenue de composer des poèmes en hébreu sur les deux rives de la Méditerranée.
Il reste très peu de choses de cette création poétique intense qui dans sa grande majorité s'est perdue ou a été assimilée à la poésie espagnole, car à l'époque on ne l'en distinguait pas.
Il reste donc beaucoup à faire pour parvenir à une description complète de la poésie et du piyout d'Afrique du Nord à l'époque contemporaine de l'Age d'Or espagnol et ultérieurement.
A titre d'exemple de poésie juive nord-africaine de cette époque, citons Yéhouda ben Shmouël Abas, auteur d'un piyout sur le thème du sacrifice d'Isaac ou "Aqueda" dénommé 'Et Shaarei Ratson, et Nahoum Ha-Maaravi. Ces deux poètes ont si bien composé dans le style espagnol qu'on ne peut pas différencier leurs poésies de celles des poètes espagnols.
A la veille de l'expulsion et même plus tôt, des Juifs espagnols viennent se réfugier en Afrique du Nord emmenant avec eux un peu de la production de leur pays et ils y deviennent des personnages de premier plan.
Rappelons le R. Itzhak Bar Sheshet, un très grand savant en Halakha et un dirigeant exceptionnel tant en Espagne qu'au lieu de son exil, en Algérie. Il nous enseigne quelque chose de particulièrement intéressant : écrire des poèmes était devenu un métier car tous les Sages et tous les hommes instruits éprouvaient le désir de se consacrer à cet art. En Afrique du Nord et surtout au Maroc on assistera encore bien davantage à l'épanouissement de cette vocation.
A cette époque le Rabbin Shimon ben Tzemah Duran, qui s'est enfui d'Espagne à la suite des décrets de 1391, arrive lui aussi à Alger.
La fin du judaïsme espagnol semblait proche et la nostalgie de la rédemption ne faisait que croître chez eux comme le montrent les oeuvres de ces deux Grands d'Israël. Le fait est que ces deux thèmes de la nostalgie pour Eretz-lsrael et de la soif de rédemption vont devenir plus tard les motifs dominants du piyout.
La faveur du public pour le genre de la "maquama" (récit en prose rythmée) aux XIIIe et XIVe siècles et l'influence directe de la poésie hébraïque à la fin de la période espagnole constituent la trame de fond qui permettra l'épanouissement de la poésie hébraïque au seizième siècle.
Les poètes du quatorzième et du quinzième siècle relient en quelque sorte la poésie espagnole et la poésie plus tardive comme nous le voyons dans les oeuvres de Nahoum Ha-Maaravi, Dapierra et Rabbi Saadia Ibn Danan. Et les poètes ultérieurs, à partir du seizième siècle puisèrent à pleines mains dans les motifs, la forme poétique et la langue de la poésie espagnole, sous l'influence directe des poètes qui les avaient précédés, et à travers eux, les poètes espagnols de la période classique
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