Par Didier Nebot
LA CARTHAGE PUNIQUE ET LES TRIBUS ISRAELITES DE DAN D’ASHER, DE NAPHTALI ET DE ZABULON
Les premiers habitants de l’Afrique du Nord furent les Libyens et les Gétules, c’est du moins ainsi qu’ils étaient appelés.
Plus tard les Libyens seront appelés barbares par les romains et ils deviendront les berbères. Ils vivaient en clans ou en tribus, dispersés dans toute la région, n’ayant souvent aucun contact les uns avec les autres.
Le pays, particulièrement inhospitalier (montagnes, steppes arides, désert de sable), et la difficulté de se déplacer ne permettaient que peu d’échanges. Il s’agissait selon Salluste "d’êtres grossiers, incultes, se nourrissant de la chair des bêtes sauvages et de l’herbe des prés". Les Libyens étaient plutôt sédentaires, alors que les Gétules étaient des nomades vivant dans le Sud marocain, les steppes tunisiennes et les régions entourant les montagnes de l’Aurès. Plus au sud, dans le désert saharien, se trouvaient d’autres peuplades nomades, tels les Nasamons de Tripolitaine ou les Garamantes du Fezzan.
Des historiens ont supposé que ces populations venaient d’Europe, d’Asie, du Moyen-Orient, mais rien ne permet de l’affirmer. Initialement, à une époque fort lointaine (plusieurs milliers d’années av. J.-C.), leur langage aurait été chamitique, et, selon certains, identique pour tous. Ce que retinrent de cette époque les auteurs anciens dans leurs écrits, et qui demeurera une constante dans l’histoire de ces régions, c’est « la division fondamentale de la population nord-africaine entre sédentaires et nomades».
Plus tard, vers le XIe siècle av. J.-C., arrivèrent les Phéniciens, qui bouleversèrent la destinée de la région. Leur habitat d’origine se situait dans le sud du Liban actuel, dans la ville de Sidon, puis à Tyr, leur capitale. Infatigables commerçants sillonnant les mers, ils créèrent des comptoirs sur tout le pourtour méditerranéen, et en particulier en Afrique. Il s’agissait de multiples établissements provisoires ou précaires, situés près des côtes, principalement sur le territoire de la Tunisie actuelle, et permettant que les échanges commerciaux avec les autochtones se déroulent dans de très bonnes conditions. Les Phéniciens retournaient ensuite dans leurs villes d’origine, ce que l’on appelait les cités-états à peu près dans la zone du Liban actuel, où ils étaient enterrés.
« Cette saine collaboration et ces relations pacifiques» avec les Libyens et les Gétules durèrent plusieurs siècles. Puis, au VIIIe siècle av. J.-C., les Tyriens fondèrent Carthage, qui « prit vite un grand développement et devint l’appui et l’honneur de la mer patrie», comme le dit l’auteur latin Salluste dans la Guerre de Jugurtha.
Mais lorsque Nabuchodonosor prit possession de Tyr, il chassa les Phéniciens qui durent se replier en Afrique sur leurs différents comptoirs ; ainsi Carthage devint-elle leur nouvelle patrie. Tout leur capital ethnique se trouva alors concentré en Afrique du Nord. Ils furent facilement acceptés par les autochtones libyens et gétules, auprès desquels ils cohabitaient depuis si longtemps. Les tribus locales adoptèrent les us et coutumes des nouveaux maîtres du pays, raisonnant et agissant comme eux. La symbiose fut totale entre ces deux peuples, à la culture et au sang mêlé. « Carthage n’était plus une cité phénicienne en Afrique, mais une cité africaine dont la culture se caractérise par sa dominante phénicienne. » Aux Libyens autochtones, certes majoritaires, se mélangèrent des individus d’origine sémitique assez nombreux, et cet ensemble forma le peuple berbère, Les Romains, qui plus tard occupèrent le pays, considéraient les habitants de l’Afrique du Nord comme des Barbares, et c’est de ce nom que découlera l’appellation « Berbère » qui remplacera celui de libyen. Il est à noter qu’à même si, à un moment donné de leur histoire, les autochtones fondèrent des royaumes indépendants qui s’opposèrent aux Carthaginois. Ce furent essentiellement le royaume masaesyle de Syphax, le royaume massyle de Massinissa, celui de Jugurtha, etc.
Un fait troublant, et qui n’a pas été suffisamment traité, concerne plusieurs tribus israélites vivant en Palestine avant la destruction du premier temple de Jérusalem, qui ont dû faire partie dans des proportions non négligeable des Phéniciens. Il s’agit des tribus de Dan, d’Asher, de Naphtali et de Zabulon, résidant dans le nord d’Israël. Comme le dit la Bible, ce sont des tribus « filles de concubines », c’est-à-dire de race mixte, toutes à vocation maritime, vivant en étroite harmonie avec les Phéniciens et sur le même territoire qu’eux. Hiram, roi des Phéniciens, et Salomon, roi des Hébreux, étaient de grands amis et leurs peuples collaboraient activement. La princesse Jézabel épousa Achab, roi d’Israël. Dans la Genèse (49, 13), il est fait mention des Zabulonites qui pratiquaient activement les voyages en mer, et dans le Deutéronome (33, 18-19) on les montre participer aux courses maritimes avec leurs voisins les Sidoniens. À cette époque, Phéniciens et Israélites avaient des rites communs (circoncision, interdiction de manger du porc) ; surtout, ces derniers, tout en acceptant la prééminence de Yahweh, vénéraient, comme leurs voisins phéniciens, le Veau d’or, le sanguinaire dieu Melquart, et le Baal égyptien. C’est plus tard que seul le culte de Yahweh devint licite. Ainsi la frontière est-elle faible entre le monothéisme naissant et le polythéisme environnant.
Lorsque le royaume d’Israël fut détruit, en 721 av. J.-C., par les Assyriens et que l’on perdit la trace des dix tribus d’Israël, il est probable que celles du Nord se sont mêlées, au moins partiellement, aux Phéniciens et se sont retrouvées à Carthage – fondée peu auparavant, en – 821 – où l’on parlait la même langue et où l’on vénérait les mêmes divinités. Avec le temps, ils s’assimilèrent aux Phéniciens, oubliant leurs origines hébraïques.
Carthage imposa sa langue à toutes les populations d’Afrique du Nord. Langue du commerce, de la science et des échanges, le punique influença celle initialement parlée par les Libyens et les Gétules, qui avait déjà donné naissance à une multitude de dialectes, plus ou moins proches, et qui devint ce que l’on appelle aujourd’hui le chamito-sémitique et qui n’est autre que le berbère.
Les berbérophones modernes contestent cet apport phénicien important, arguant du fait que, du point de vue linguistique, le punique a disparu mais pas le berbère. Ce qui, selon eux, serait dû à un très faible apport ethnique. En outre, un certain nombre d’auteurs ont raisonné comme si, après la destruction de Carthage par Rome, ses habitants eux-mêmes avaient disparu ; or il n’en fut rien : la puissance et l’État phénicien furent anéantis, non les hommes, qui se fondirent parmi les Libyens avec lesquels ils cohabitaient depuis des siècles.