Par Didier Nebot
Etrange histoire que celle de ce temple de Léontopolis. Voilà comment tout a commencé.
En -195 avant Jésus Christ, la Judée, jusque-là sous le contrôle des Ptolémés, passait aux mains des grecs séleucides, plus durs, plus violents, plus immoraux que les anciens occupants.
A la suite d’une série d’intrigues, en -175, Onias III, l’ancien grand Prêtre du Temple de Jérusalem, était assassiné par Andronicus, un des sbires des Grecs.
Il s’ensuivit une grave guerre civile en Judée entre factions juives. Les Séleucides, ne pouvant tolérer un tel désordre, réagirent alors violemment, ils interdirent purement et simplement la religion juive, le Temple de Jérusalem étant dorénavant consacré à Zeus, avec obligation pour les Juifs de sacrifier aux dieux grecs.
Onias IV, le fils du Grand Prêtre Onias III, se réfugia alors en Egypte auprès des bienveillants Ptolémés, opposants aux Séleucides de Judée, qui lui donnèrent l’autorisation de construire un nouveau temple consacré à Yahvé, à Léontopolis, près d’Héliopolis, sur le modèle de celui de Jérusalem.
Onias IV se fit octroyer le titre de généralissime par les autorités locales et reçut une région autonome dont il fit son quartier général et appelée « Onion »
Mais en -164 avant Jésus christ, après plusieurs années de lutte, sous la direction de la dynastie juive des Hasmonéens, le temple de Jérusalem était libéré et les idoles qui y avaient étaient introduites étaient détruites. Ce fut la fête des lumières, la fête de Hanoukka, encore fêtée aujourd’hui.
Pendant près de deux siècles, deux temples consacrés à Yahvé existèrent l’un à Jérusalem, l’autre à Léontopolis. Les Ptolémés voyaient d’un très bon œil ces nouveaux alliés qui allaient les servir et renforcer leur royaume. Il arrivait constamment des juifs en Egypte et en Cyrénaïque où ils faisaient bloc avec les autochtones païens libyens (ils seront appelés plus tard berbères, du nom donné par les romains : barbare) qui devinrent, eux aussi, adeptes du culte unique.
Comme il leur était difficile de se déplacer jusqu’au Temple de Léontopolis, ils priaient dans une multitude de Proseuques ou oratoires qui parsemaient tous le pays d’Egypte et de Cyrénaïque, qui formaient alors qu’une seule entité.
C’étaient des lieux de prières où on lisait et commentait la Loi. Les proseuques, très nombreux tant en Egypte qu’en Cyrénaïque, étaient souvent dans les campagnes, en plein air, ou dans les zones semi désertiques autour de rochers et de grottes. Ils étaient gérés par des prêtres ruraux. Il s’agit rarement de bâtiments en dur. On y faisait des prières individuelles plutôt que des prières collectives telles que celles faites plus tard dans les synagogues.
Ainsi se créa-t-il un syncrétisme juif, imbu de la conception universaliste des prophètes. D’abord tolérée par Jérusalem, le Temple d’Onias à Léontopolis devint un sanctuaire dissident. Ses Prêtres et ses lévites, pourtant originaires de Judée, furent exclus du service du temple de Jérusalem.
L’influence de la maison d’Onias, tant sur les communautés juives d’origine que sur les tribus païennes de la région était considérable. Elle explique que de nombreuses tribus acceptèrent ce monothéisme primitif teinté de judéité.
Voici ce que dit Strabon d’Amasée, au début de l’ère chrétienne, (Géographie, livre XVII, l’Egypte et la Lybie) : « L’Egypte et la Cyrénaïque, lorsqu’elles étaient assujetties à un même prince, de même que plusieurs autres nations, ont estimé les juifs au point d’embrasser leurs coutumes et d’observer les mêmes lois…
Ainsi cette nation s’est implantée en Egypte au point que les Egyptiens semblent les descendants des juifs, qu’aucune différence ne fasse sentir le passage de l’un à l’autre, de même qu’aucune différence ne sépare de l’Egypte la Cyrénaïque, qui non seulement en est voisine, mais encore en fait partie. »
Ce texte montre que la grande majorité des populations de ces régions, Grecs exceptés, judaïsaient. A la veille de la pénétration romaine en Cyrénaïque et avant même que le nom de berbère apparaisse, il y avait de nombreuses tribus juives ou païennes libyennes judaïsantes, autonomes, agricoles et surtout guerrières. En Cyrénaïque ce sont ces tribus turbulentes et rebelles qui plus tard se révolteront contre Rome et qui seront chassées dans les steppes présahariennes. Elles erreront durant des décennies, fusionneront, créant de véritables tribus judéo-berbères avant de s’opposer aux arabes, nous en reparlerons un peu plus loin.
L’utilisation d’un dialecte commun leur permirent d’être en contact étroit et constant avec leurs voisins africains des côtes tripolitaines situées plus à l’ouest, d’obédience punique ou autochtone libyenne, et cela jusqu’à Carthage.
Tous les historiens, depuis Hérodote, montrent qu’il existait entre les Cyrénéens et les habitants de la grande cité maritime de Carthage un contact se manifestant alternativement par des guerres et des alliances. À n’en pas douter, les juifs, donne importante des villes et de toute la Cyrénaïque, prirent vraisemblablement une part active à ces guerres et, pendant les périodes de paix, ils surent pratiquer les échanges commerciaux avec en particulier les tribus proches de leur lieu d’habitation. Il s’agit essentiellement des Louata, d’origine libyenne pure, des Houara et des Nefouça.