(35) LA REGENCE D’ALGER SOUS L’EMPIRE OTTOMAN
Par
Didier NEBOT
Ahmed Bey (1786 - 1851), dernier bey de Constantine dans la régence d'Alger
La domination turque s’effritait imperceptiblement sur les terres algériennes. Seuls l’islam et une application féroce de la loi maintenaient un semblant d’unité. Le pays, appauvri par de lourds impôts, avait de plus en plus de mal à survivre. Et, par la logique absurde du parasite qui fait mourir la branche qui le nourrit, les collecteurs turcs réclamaient toujours plus à une population déjà saignée à blanc.
C’était l’époque des impôts. Bientôt, les percepteurs s’insinueraient tels des rats dans les greniers, furetant dans les coins et s’emparant de tout ce qui leur tomberait sous la main, laissant leur ombre de désolation réduire encore les misérables ressources quotidiennes. Même si, surtout en Kabylie, les émissaires du dey se montraient plus conciliants qu’ailleurs, se défaire de ce que la terre avait chichement produit rendait les villageois récalcitrants. Lorsque les collecteurs entraient dans les douars, les hommes les toisaient fièrement et payaient sans se plaindre. On offrait même le café, en égratignant au passage les Turcs, maîtres du pays.
A Alger, "la Course" n’était plus ce qu’elle était dans le temps. Les quelques raïs qui subsistaient ne possédaient plus de bateaux et cherchaient des embarquements à la petite semaine. Les puissances européennes avaient réagi à l’attaque quasi systématique de leurs navires en s’armant et en construisant plus grand. Les Turcs n’avaient même pas profité de cette trêve pour mettre le pays en valeur, la ville somnolait par désœuvrement et le port n’était plus animé du souffle des aventures de jadis.
MASCARA : juin 1830
C’est en 1701 que les Turcs avaient transféré à Mascara le siège du Beylik de l’Ouest. Etrange ville où les belles demeures côtoyaient les misérables habitations couvertes en terrasses, à la mode berbère. La ville comptait plusieurs écoles coraniques et mosquées, quant aumarché aux grains, cœur stratégique de la cité, il se tenait sur la place, face au bordj.
Les calicots divers et variés fleurissaient tout autour.
La ville n’était pas aussi bien développée que les ports d’Alger ou Oran et les juifs y étaient moins nombreux, mais ils étaient bien tolérés etpas trop malheureux. Bien sur ils ne devaient pas se faire remarquer et étaient toujours à la merci d’une de ces « juivades » qui atteignaient parfois leur communauté, de façon aussi subite qu’inexpliquée, à n’importe quel moment, selon l’humeur ou les caprices du maître des lieux ou même de la populace.
Il suffisait que le bey se lève d’un mauvais pied, qu’il ait appris une mauvaise nouvelle ou qu’il ait subi une simple contrariété pour que les juifs en soient les boucs émissaires. Alors gare à celui qui se trouvait sur le passage des janissaires prêts à en découdre avec cette race maudite.
On avait présent à l’esprit cette grande bastonnade qu’incompréhensiblement les juifs avaient subie dans les rues d’Alger en 1788 ou l’ordre qu’ils avaient tous reçu du pacha, en 1815, de protéger de leur corps, jour et nuit, les champs des plaines de la Mitidja pour faire fuir les millions de sauterelles qui venaient d’arriver dans la région.
Ce fut un moment épouvantable, il fallait se relayer jour et nuit dans les campagnes pour chasser, bien inutilement d’ailleurs tant ils étaient nombreux, les insectes affamés. Les janissaires surveillaient les malheureux juifs, n’hésitant pas à donner le coup de cravache à ceux qui, épuisés, ne s’acquittaient qu’imparfaitement de leur tâche.