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A l'aurore d'une journée radieuse du mois d'août, en l'an de grâce 1391, deux jeunes gens, nouveaux mariés, qui viennent à peine de quitter le dais nuptial, s'élancent dès l'apparition des premiers signes de la grande bourrasque espagnole, munis seulement de leur bâton d'exil, sur la grand'route de l'inconnu, triste route, inaugurée aux premières heures de la création par le fameux Juif errant.
"Dis-moi, chéri, dit la jeune femme, après une longue journée de marche, sais-tu, au moins, où nous allons ? Non, répond calmement le jeune époux.
Mais Dieu est avec nous, c'est Lui qui dirige nos pas, comme dit Rabbi Siméon Bar Johaï, auteur du célèbre Zohar ; ce sont les pieds de l'homme qui le conduisent vers sa destinée.
Nous avons beau être des savants, bourrés d'intelligence et gavés de savoir. Hélas, notre tête doit en fin de compte céder le pas à nos pieds... et nous devons nous résigner à cette modeste solution : nous laisser aller.
Nous avons cru un moment que notre avenir était tout fait, que nous n'avions qu'à nous croiser les bras et goûter les délices de l'héritage préparé par nos parents. Malheureusement, nous devons nous soumettre à la loi ancienne que doit subir la pauvre humanité : c'est avec la sueur de ton front que tu mangeras ton pain, ô fils de l'homme.
Prépare-toi pour un long voyage et pars en exil, car tu dois servir de guide averti et de source de vie pour la maison d'Israël.
Tel était l'ordre de l'Eternel au Prophète Ezechiel, qui est devenu la marque caractéristique d’un fils d'Israël de tous les siècles. Partir en exil, bon gré ou mal gré, changer constamment sa résidence, chercher et même créer de nouveaux moyens d'existence, servir de symbole, d'exemple, de souffre-douleur et de bouc émissaire pour les autres peuples.
Aussi, chère amie, ne sois pas étonnée en lisant notre grande et douloureuse histoire, de rencontrer très souvent des masses compactes de nos coreligionnaires ou bien des individus isolés, qui, traqués par l'adversité, poussés par un instinct inné, jalonnent les grandes artères de l'Univers en quête d'un gîte, d'un abri, d'une source de vie, traînant derrière eux leur misère et leur gloire. Admettez, cher penseur, si vous le voulez, que c'est un châtiment de Dieu. Décrétez, si cela vous plait, que c'est un principe de la nature. Ce qui est certain, c’est que nous ne pouvons pas et nous ne devons pas échapper à cette implacable malédiction antique, que des siècles de science et de progrès n'ont pas réussi à abolir. Economistes et sociologues ont bien échafaudé des théories et des thèses, instauré des systèmes et des régimes. Hélas ! ils n'ont apporté aucun remède à ce mal terrible qui ronge l'homme depuis sa naissance jusqu'à sa mort. Donc, chérie, en avant, marche."
Le voyage de noces continue, un voyage singulier.
Après une longue errance mouvementée à travers un monde hostile et en pleine effervescence, empruntant alternativement routes terrestres et maritimes, notre couple martyr finit par échouer dans un coin perdu du continent africain.
Un coin perdu, non, un coin choisi par Dieu pour y abriter deux êtres humains, deux souches exotiques arrachées et déracinées d'un sol devenu subitement ingrat, pour être transplantées dans cette terre bénie de l'Eternel, cette terre fertile de la vallée des Trara où va s'épanouir un jardin d'Eden.
C'est vendredi, Tou Beab, date célèbre dans l'histoire juive, date mémorable dans les annales du judaïsme tlemcénien. Le jour décline ; l'astre solaire, dans un geste d'adieu, tient à saluer nos deux pèlerins avant de céder sa place à son collègue nocturne.
"O Echet Hail ! femme vertueuse, dit l'homme à sa fidèle compagne, tout à l'heure la reine Sabbat va étendre son royaume sur la terre, et dans une harmonie divine les enfants d'Israël, ces princes des premiers âges, ensemble avec tes anges célestes, glorifieront ce grand jour de repos que le Créateur du monde a choisi pour Lui, Léha Dodi.
Est-ce que tout est prêt pour sa réception ? — Tout est prêt, mon bien aimé, répond-elle dignement.
Voici notre dernière goutte d'huile pour la lampe sabbatique, voici les deux pains règlementaires (Zohor Vehamor) voici enfin le vin pour la bénédiction (Kidouche). Il ne nous manque que l'eau.
L'eau dit l'homme, quand on a Dieu pour berger, on ne manque de rien. Il nous fait reposer dans des prairies de verdure ; il nous désaltère avec de l'eau douce et pure".
Pendant qu'avec une ferveur mystique il psalmodie ces paroles immortelles du célèbre Roi-berger, il plante doucement son bâton d'exil dans une petite surélévation de terre qui surplombait sa couche champêtre.
Et voici, ô miracle ! qu'un jet d'eau claire et limpide s'élança horizontalement au-dessus d'eux : Une source est née, une source mystérieuse qui attendait le moment propice pour s'ouvrir et jaillir au toucher de ce nouveau Moïse.
Une source que la Providence a conservée intacte jusqu'à nos jours, malgré les cataclysmes des temps ct malgré tous les obstacles qni se sont posés sur son cours, une source qui, depuis plus de cinq siècles, est une véritable source de vie et de bonheur pour des milliers de pèlerins.
"Une source, s'écrie l'homme, une source divine, c'est un bon signe, car les sources ont toujours porté bonheur à nos ancêtres. Béni sois-tu, Dieu de nos aïeux, qui nous as choisi ce lieu merveilleux. Ici, ma bien-aimée, dit-il, Sabbat sera honoré dans toute sa majesté. Ici s'arrêtera notre longue route d'exil. Ici, nous allons construire notre foyer pour la vie. Ici reposeront nos restes quand nos âmes seront appelées au royaume céleste."
Quelque temps après, ce même bâton magique fera jaillir de la terre une autre source, une source intarissable, qui pendant des siècles étanchera la soif ardente de milliers de disciples qui, réunis autour de ce maître sublime, se délecteront de sa "Thora", cette loi divine qui, comme une fontaine de jouvence, coulera de sa bouche à flots ininterrompus.
En effet, le joyau le plus précieux du Rabb c'était son école, sa "jéchiba". Son unique ambition était de fournir au judaïsme un contingent de savants et de maîtres capables de guider leurs frères et de soutenir leur courage dans les moments de détresse et d'oppression, hélas ! très fréquents à cette époque d'ignorance, d'intolérance et de fanatisme.
"Que désirez-vous faire ici ?" demanda au jeune Rabb le chef de la vieille communauté juive d'Agadir, accouru en toute hâte à la rencontre de ces hôtes mystérieux. Notre désir le plus cher est de pouvoir rallumer en votre bonne cité la flamme sacrée de notre sainte "Thora", qui vacille et qui est prête à s'éteindre dans la péninsule ibérique, où pendant des siècles elle avait brillé d’un éclat extraordinaire.
La Thora, s'écrie le Rabb, est en danger. Ce livre immortel qui contient les doctrines, la culture et l'histoire d'un des peuples les plus anciens de la terre, qui est destiné à devenir un jour la charte de l'humanité tout entière, le guide infaillible sur la route de la vie, le phare lumineux pour éclairer tous ceux qui cherchent la vérité, cette œuvre immense dont dépend le salut du monde est en péril, et il est du devoir de chacun de nous de lutter corps et âme pour conserver ce bijou, offert par Dieu aux humains.
Ce n'est pas en vain qu'Israël a été choisi pour recevoir ce trésor sacré, car nul mieux que lui ne s'est montré digne de le garder. Si la "Thora" avait été donnée à un autre peuple de l'antiquité ; aux Moabites, aux Amonites, aux Edomites, ou aux Philistins, elle aurait subi le sort de ces peuples eux-mêmes, dont nous ne connaissons les traces que par elle.
Israël a maintenu ses vieilles lois immuables et éternelles au prix de persécutions, de souffrances de toutes sortes. Il s’est efforcé d'observer minutieusement et judicieusement ses prescriptions à travers le sombre Moyen-Age. Quarante siècles n'ont pas diminué sa valeur ni amoindri son autorité. Il méditait ses saintes Ecritures jour et nuit, comme le lui avait recommandé son auteur. Et ce n'est pas en vain qu'il a été appelé "le peuple du livre".
L'Espagne, qui a servi de refuge à la Loi divine pendant des générations et où furent écrites les plus belles œuvres de la littérature post-biblique, va céder sa place à ce coin béni d'Afrique d’où sortira la parole de l'Eternel. Votre modeste communauté portera haut le flambeau de la religion et de la morale ancestrale".
Comme il a dit, il a fait. La petite Kéhila d'Agadir, transférée plus tard à Tlemcen grâce à la générosité du Sultan Abou Tachfin, ne tarda pas à devenir un des centres d'études le plus important de l'époque. La Jéchiba, ou école du Rabb, a formé des savants qui pendant plusieurs générations ont rayonné à la tête des agglomérations échelonnées sur le bassin méditerranéen et même dans d'autres pays de la diaspora. Et la "Perle du Moghreb" est devenue ainsi la Jérusalem d'Afrique.
Le Rabb fit venir d'Espagne une grande partie de ceux qui firent la renommée de la Tolède juive au cours de deux siècles de sa splendeur : des exégètes bibliques, des talmudistes, des cabalistes, des médecins, des astronomes, des mathématiciens, des traducteurs et des interprètes de la philosophie grecque et arabe que le monde chrétien ne connut que par eux ; des industriels aux initiatives hardies, des hommes d' Etat, des commerçants et des voyageurs qui contribuèrent à la connaissance du monde.
Tlemcen est devenue un second haut lieu où la pensée juive s'élabora et où furent enseignées toutes les branches du savoir humain. D'ici rabbins et savants partirent pour apporter aux autres communautés le secours spirituel et les bienfaits de la science sacrée et profane ; ils fondèrent des écoles pour jeunes et vieux, et l'ignorance a complètement disparu des foyers juifs.
Ce fait unique peut être considéré comme le plus grand des miracles et des prodiges attribués au Rabb. Il est parvenu, lui seul, à sauver, en même temps, et la Thora et les maîtres d'élite. Il les a transplantés et enracinés sur ce nouveau sol, il a fait régner dans les deux populations une harmonie parfaite. Par sa haute érudition, par ses grandes actions et par sa vie intègre, le Rabb s'est taillé une personnalité unique. Il est le vrai père du judaïsme nord-africain, comme en témoignent ses propres collègues qui l'ont porté en triomphe, et les documents de l'époque. Aussi la prospérité lui a-t-elle voué un culte à l'égal d'une divinité et, malgré l'interdiction de la loi juive, des milliers de pèlerins se prosternent annuellement sur sa tombe, embrassent pieusement sa dalle sacrée.
Tombeau du RAB vénéré [Zal] EPHRAÏM ALN’KAOUA et des membres de sa famille.
(photo datant des années 50).
Échappé de TOLÈDE lors des persécutions, il est venu à TLEMCEN en 1391, où il est décédé en 1442, un Mardi, le 1er Kesliw.
Il a été le véritable Fondateur de la COMMUNAUTÉ ISRAÉLITE de TLEMCEN et a été de son temps [Or Israël] Lumière d’Israël.
Avant de quitter ce monde, (1 kisslev 1442), le Rabb réunit les notables de la ville et prononça ces paroles :
" Je vous laisse deux sources : la source d'eau pour fortifier votre corps et la source de la thora pour réconforter votre âme.
La source d'eau pour vous soutenir dans cette vie terrestre, et la source de la thora qui symbolise la vie éternelle.
La source d'eau offerte par la volonté de Dieu, et la source de la thora qui demande la bonne volonté de chacun de vous."
Achel HADAS-LEBEL, Directeur de l’Ecole du Rabb de l’Alliance Israélite
.Source de l’information
Le document-souvenir 1909, la carte, ont été conservés par la famille PINTO (d’Alger), ainsi que l’article publié, offert par le Rabbin Achel HADAS-LEBEL, ami de la famille.
Directeur de l'Ecole du Rabb de l'Alliance Israélite, Le Rabbin Achel HADAS - LEBEL (1905-1995), né en Autriche-Hongrie, vient vivre à Paris dans les années 30 suite aux discriminations raciales. Il exerce à Alger comme Rabbin et Professeur de Talmud Torah, puis vingt ans à Tlemcen, et revient à Alger (années 50).
En 1962, il quitte l'Algérie pour officier à Sélestat durant vingt ans.