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Afin de pallier la morosité ambiante, nous vous proposons trois fois par semaine : lundi, mercredi et vendredi (sauf Yom Tov), des extraits du dernier ouvrage de notre Président d’honneur, Didier Nebot. A travers cette fable fantastique, bientôt en librairie,  vous pourrez vous évader du contexte anxiogène actuel.
Episode 7 : "TOSHABIM et MEGOURASHIM"

David s’installa à Fès. Ce qu’il avait subi jusqu’alors s’effaça de sa mémoire, il ne garda en souvenir qu’une curiosité sympathique envers les Arabes du sud, si différents de ceux qu’il côtoyait maintenant, et le bracelet d’argent qu’il portait au poignet. Il oublia même la chaleur brûlante du désert. Il était David Benavista, né en Espagne, victime, comme tous ceux de sa famille, de l’intolérance d’Isabelle la Catholique et de Ferdinand d’Aragon.

 Il ne se posait plus de questions sur son appartenance. Seuls comptaient l’avenir et Léa. La douce Léa, gentille, un peu effacée. « Si tu savais combien elle ressemble à ma mère, aimait à répéter Myriam, la même tendresse, le même air timide, rougissant au moindre compliment. »

 

David avait appris à connaître Abraham, bien plus par sa tante que par sa propre relation avec lui. Il parlait si peu. Et pourtant, sans sa présence silencieuse, Myriam ne serait plus la reine éclatante du logis. Abraham accepta ce « neveu prodigue » sans aucune exigence. Ce fut David lui-même qui dut, quelques jours après son arrivée, réclamer de l’ouvrage.

« Tu ne peux t’offrir un employé, mon oncle ; c’est pourquoi je voudrais te décharger de ton surplus de travail, je t’en prie, donne-moi tes consignes. »

Il s’agissait de livrer, dans tout le Mellah, des pièces de tissu, afin de subvenir aux besoins de la famille agrandie. Plein de bonne volonté, bouillant d’énergie, ravi de se rendre utile, David s’acquitta de cette tâche à merveille. Son histoire avait fait le tour du quartier et les gens des ruelles alentour étaient curieux de le voir. Les savetiers, les tisserands, les oiseleurs l’arrêtaient et lui demandaient sans cesse de raconter son histoire. Ils compatissaient à son sort, prenaient le Ciel à témoin, proclamaient qu’il était un élu que Dieu avait sauvé de situations impossibles. David accompagnait parfois le marchand d’eau qui faisait la navette dans le quartier. Il ne manqua pas de rendre visite aux Botbol, qui insistaient chaque fois pour le convier à leur table. C’est dans cette ambiance chaleureuse qu’il fit l’apprentissage de la couture. Il se familiarisa avec les ciseaux, différents pour la soie, le lin, la laine ; avec les aiguilles fines, ou courtes et trapues capables de traverser les épaisseurs de drap ; les longues règles de bois dont on se sert pour établir les gabarits. Il se découvrit méticuleux, travailleur, guère inventif mais soigneux ; de plus, les services, qu’il rendait à chaque livraison, ajoutaient à sa popularité. Les affaires d’Abraham, pour le coup, se développèrent et Myriam put enfin dépenser un peu plus que le strict nécessaire. La richesse, dans le Mellah, n’existait pas, mais manger à sa faim tous les jours constituait un luxe auquel beaucoup n’avaient pas droit.

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C’est au moment où David croyait trouver le bonheur qu’une nouvelle tomba, dissonante dans ce quotidien souriant. Une phrase anodine, lancée avec rondeur par Myriam :
– Tiens, regarde qui arrive, David ! C’est Bouzid, avec son jeune frère Azri ! Bouzid Oufrani, tu ne connais pas encore le petit fiancé de Léa ? Il revient de Safi, il était parti le jour de ton arrivée, cela fait presque un mois aujourd’hui. Je suis persuadée que vous vous entendrez fort bien.
David ne pouvait pas connaître le « petit fiancé de Léa », car il était le fiancé de Léa. C’était si évident qu’il ne l’avait jamais formulé, et lorsqu’il entendit ces mots, il regarda Myriam, interloqué, blessé. Mais elle ne remarqua rien, tout à son innocente satisfaction.

Les deux garçons se regardèrent en silence. Bouzid observa attentivement cet étranger dont on lui avait tant parlé depuis son retour, il était presque venu exprès pour le voir. Pas très grand, nerveux, les joues rouges, l’air gêné, présentant en somme bien peu d’intérêt.
– Léa est là ? Questionna-t-il.
– Oui, tu peux entrer, répondit Myriam. Ton voyage s’est bien passé ? Comment vont tes parents ?
David était pétrifié. Ce jeune homme à la peau mate, si peu gracieux, s’intéressait donc à Léa? Et Myriam, inconsciente du mal qu’elle faisait, accueillait l’intrus comme un hôte privilégié ! Il se décomposa, l’air hagard. Nerveuse elle aussi, puis rougissante, Léa insista pour faire les présentations. David réagit enfin, modela un sourire forcé et s’approcha.
– C’est mon cousin. Maman en est si fière, tu te rends compte, il a traversé tout le pays pour nous retrouver. Je l’adore, je suis contente que vous vous rencontriez.
David bredouilla quelques mots incompréhensibles puis tourna le dos. Il allégua l’urgence d’une livraison et sortit.

Un piège ! C’était un piège. Même Léa ne se rendait compte de rien. Décidément, tout allait à l’envers dans cette ville ! En Espagne, aucun fils de bonne famille n’aurait osé faire une cour, aussi discrète fût-elle, à une jeune fille, sans avoir auparavant fait connaître clairement ses intentions aux parents. Ici, les bonnes manières s’étaient perdues, les conventions n’existaient plus. Sans doute Léa avait-elle fait la connaissance de ce garçon dans les ruelles du Mellah, et c’est en plaisantant que l’on avait dû l’appeler un jour son « amoureux ». Mais avec le temps, ce mot s’était imposé à tous, et ce qui n’était au départ qu’un jeu d’adolescents était devenu une réalité. David était malheureux, et son cœur saignait tandis qu’il parcourait les ruelles encombrées. Des marchands l’interpelèrent, attendant des reparties joyeuses, mais il passa son chemin sans répondre.
Léa s’interrogeait. Ce cousin, dont elle était si fière, ressentait-il pour elle autre chose que de l’affection ? Son regard était tellement désespéré. Tout à coup plus femme qu’enfant, elle se sentit désorientée et dépassée. Sa mère, pourtant si perspicace, n’avait rien remarqué. Bouzid se pencha sur son oreille et lui murmura une chanson. Elle lui adressa un pâle sourire, haussa une épaule et fit son premier mensonge de femme : « Ne m’en veux pas, je suis un peu fatiguée... »

Par Myriam, David apprit que la famille de Bouzid faisait partie des juifs de Fès depuis des générations, des « indigènes » que l’arrivée de leurs frères espagnols avait surpris, puis ragaillardis. Les parents du jeune homme étaient satisfaits de voir leur fils fréquenter la boutique d’Abraham, en dépit des réflexions désobligeantes de leur entourage. La plupart des juifs autochtones, les toshabim, ne supportaient pas en effet les nouveaux arrivants, les megourashim. Ces derniers avaient une haute idée de leur culture, pétrie d’influences occidentales. Leurs sciences, leurs rituels, leur liturgie empruntaient largement aux Livres sacrés. La foi devait élever l’âme, pensaient-ils, et le savoir conduire l’homme au progrès et à la tolérance.

Pour eux, les toshabim étaient frustes et ignares, leurs connaissances religieuses s’enlisaient dans des superstitions ridicules, qui devaient beaucoup aux coutumes locales. Il n’y avait qu’à penser au statut de la femme. Les toshabim pouvaient en avoir plusieurs, comme les musulmans, ce que n’acceptaient pas les juifs espagnols. Dans ces conditions, les heurts étaient fréquents et les deux communautés cohabitaient sans échanges réels. Chacune d’elles avait ses institutions, sa langue ; le Mellah formait une véritable tour de Babel, où l’on entendait aussi bien l’espagnol que le portugais, le berbère, l’arabe, ou l’hébreu. De groupe en groupe, une hiérarchie s’était donc constituée, et les Espagnols trônaient en haut de l’échelle. Toutefois, la peste et l’incendie avaient rendu solidaires les deux communautés et les différences commençaient à s’estomper. Les autochtones étaient contraints d’admettre les connaissances étendues des nouveaux arrivants, mais ils ressentaient au fond une certaine amertume.

De leur côté, les toshabim possédaient cet esprit débrouillard qui manquait à leurs frères espagnols. L’âme et les subterfuges des Arabes n’avaient aucun secret pour eux, qui savaient les prévoir et les déjouer. Ils pouvaient d’un simple regard différencier celui qui leur causerait du tort de l’inoffensif indifférent, et cela s’avérait précieux lorsqu’on quittait le Mellah pour entrer dans la ville. Combien de megourashim avaient été bastonnés parce qu’ils n’avaient pas baissé les yeux assez vite, pour un geste mal interprété ou une parole malheureuse ! Et peu à peu, souvent à coups de trique, les émigrés s’étaient faits à ce nouvel ordre.

"A suivre"

         

 

             Didier Nebot

 
 
 
 

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