Je suis né à Alger à la maternité de l’hôpital Mustapha le 21 juillet 1935.
Six mois après ma naissance, dans les bras de mes parents à bord du Ville d’Alger, je voguais vers la France, la métropole où mes parents avaient décidé de s’installer.
C’est dans la ville de Montrouge commune séparée de Paris par le boulevard des maréchaux (le périphérique commencera sa construction en 1956.) que j’habiterais avec ma famille pendant vingt-sept ans. J’ai grandi et fréquenté la maternelle puis l’école de garçons de la rue Racine comme un petit parisien parmi mes camarades du primaire et du secondaire.
Je me sentais pareil à mes copains d’école et à ceux des activités sportives que je pratiquais avec enthousiasme. Certes, j’étais un vrai parisien, pourtant bien souvent à la maison j’entendais mes parents parler de l’Algérie. Ils évoquaient leur jeunesse, la famille, mon grand père, les oncles et les tantes et aussi les cousins dont j’apprenais les noms sans les connaître. Presque tous vivaient à Alger et pour moi déjà curieux et impatient d’en savoir plus sur ce pays, je découvrais sur mon atlas géographique l’Afrique, et dans mon esprit d’enfant, pour moi l’Afrique et l’Algérie ne faisaient qu’un seul pays.
Alors influencé par les illustrés et les films de l’époque, j’imaginais la jungle de Tarzan avec les animaux sauvages et une population curieusement vêtue, vivant dans un environnement exotique et dangereux. J’avoue que dès mon plus jeune âge mon imagination accompagnait souvent la perception de ce que j’apprenais et découvrais dans les livres, les films et les histoires que j’écoutais à la radio. C’était ainsi que j’imaginais ce pays où dès que l’on s’éloignait de la ville, on pouvait rencontrer des lions et des girafes.
Il était merveilleux mon pays natal, longtemps j’en ai rêvé de cette Algérie.
Cette période fut de courte durée, je viens d’avoir cinq ans quand la guerre arrive. Mon père mobilisé part combattre dans l’est, puis nous apprenons qu’il est prisonnier et envoyé en Allemagne dans un stalag près de Berlin, il y restera pendant trois ans et demi.
Durant cette période jusqu’à la fin de la guerre, avec ma mère, mon frère et ma sœur nous avons commencé notre errance à travers la France pour fuir les arrestations de la gestapo. J’ai écrit le récit de mon parcours en compagnie de ma mère de mon frère et de ma sœur. (Il fait l’objet d’une autre publication.)
A la fin de la guerre, de retour à Montrouge, dans la paix retrouvée l’évocation de l’Algérie a repris sa place dans les discutions familiales. J’avais dix ans à la fin de la guerre, et ma curiosité n’avait de cesse pour savoir, tout savoir sur ce pays, l’Algérie avait toujours un aspect un peu mystérieux. Alors mon père et ma mère me racontaient leur enfance, leur jeunesse laborieuse mais heureuse. Ils avaient vécu parmi une population multi nationale où se côtoyaient : arabes, kabyles, espagnols, italiens, corses et bretons. Ils m’expliquaient que cette mixité se passait dans un climat de bonne entente, avec le respect des coutumes et des traditions de chacune de ces communautés. Je me souviens que mes parents parlaient l’arabe et le kabyle et aussi un peu des autres langues de leurs voisins de quartier.
Après la réparation des blessures de la guerre, vint la restauration du moral de la famille et le bonheur de recommencer à travailler et retrouver des conditions de vie normales.
Dès que cela fut possible économiquement, mes parents décidèrent de faire découvrir Alger à leurs enfants. C’était pour les vacances au mois d’Août 1948, nous avons embarqué à Port Vendre à bord d’un cargo qui prenait aussi des voyageurs. La traversée fut mouvementée car les mouvements du bateau nous rendaient malade. Nous avons voyagé sur le pont car cela coûtait moins cher, allongés sur des transats, la nuit nous regardions le ciel constellé d’étoiles. Après trente sept heures de navigation nous sommes arrivés à Alger par une matinée ensoleillée.
C’était mon deuxième rendez-vous avec l’Algérie, je venais d’avoir treize ans, mon frère onze et ma sœur six.
Enfin je découvrais le pays de ma naissance, c’était beau, c’était tout blanc, je trouvais que la ville était belle, elle méritait bien qu’on la nomme, Alger la blanche, mais elle n’était pas aussi exotique que mes rêves d’enfant l’avaient imaginée. Je rencontrais mes oncles, tantes et cousins. Cette première journée fut surtout pour mes parents celle des retrouvailles. Mais ce furent les jours suivants que je découvrais vraiment ce qu’il y avait d’Algérie dans cette ville qui avait donné son nom au pays.
Alors j’ai voulu tout voir, tout sentir, tout goûter, je regardais vivre cette population où se mêlaient des gens vêtus comme des européens et d’autres en habits traditionnels gandouras et turbans et aussi les silhouettes blanches des femmes voilées.
Chaque jour je découvrais de nouveaux quartiers de cette ville, le port ; la grande poste, puis le jardin d’essais, c’est ici au milieu de ces grands palmiers et de cette luxuriante végétation que je retrouvais l’Afrique de mes rêves d’enfant.
Pourtant l’étonnement, la surprise et le bonheur de la découverte se situaient à deux pas de l’immeuble où habitaient mes grands parents. Rue Montpensier, face à l’école c’était le dernier immeuble européen, il jouxtait la médina, une étroite ruelle pentue descendait des hauteurs de la ville et marquait le début de la ville arabe.
Cette voie était régulièrement empruntée par des bourricots chargés de toutes sortes d’objets, de marchandises et aussi d’ordures ménagères. Tout au long de la journée je regardais ces caravanes monter ou descendre cette rue qui se nommait je crois, rue des dattes. Outre l’activité qui régnait sur cette ruelle, elle m’attirait et je ne résistais pas longtemps à me perdre dans le dédale des chemins tortueux qui sefaufilaient entre des habitations aux formes étonnantes. Cette partie de la ville arabe fut durant une période de mes vacances, le terrain préféré de ma curiosité, et aussi celui de la découverte d’une culture, d’un mode de vie traditionnel qui m’ont étonné et enrichi. Non loin de ce quartier je visitais le marché de la Lyre puis celui de la rue Randon. Le dimanche nous allions en famille nous baigner sur la plage de la pointe Pescade. Ce fut pour moi à l’âge de l’adolescence des vacances merveilleuses,
L’été 1948 fut mon deuxième rendez-vous avec l’Algérie.
Depuis des années se sont écoulées. En novembre 1956 j’ai vingt ans, appelé au service militaire je suis mobilisé et envoyé à Trèves en Allemagne. Après mes classes, compte tenu de mes études et de mon bagage technique je suis désigné pour effectuer une formation d’artificier démineur et je dois rejoindre la caserne de la Citadelle à Lille pour commencer ma formation. Je ne suis pas très heureux d’aller manipuler des explosifs mais je n’ai pas le choix, alors je vais m’appliquer à ne pas faire d’erreurs.
Durant plus d’un mois j’apprends à confectionner des mines des pièges explosifs de toutes sortes, mais aussi à désamorcer des mines, des roquettes des grenades des munitions de toutes origines Après avoir obtenu mon brevet d’artificier je rejoints ma caserne du 6 éme régiment de cuirassiers à Sissonnes dans l’Aisne. Trois semaines plus tard notre régiment prend la direction de Marseille que nous rejoignons par le train, et nous embarquons le 14 Mars 1957 à bord de l’ ATHOS II en direction du port de Bône. Nous sommes trois mille soldats à bord de ce vieux bateau qui navigue à petite vitesse. La traversée dure trois jours dans une mer agitée. Durant le voyage on nous approvisionne en munitions, chargeurs et grenades et nous vérifions le fonctionnement des armes. Nous débarquons le 16 Mars 1957 dans le port de Bône.
C’est mon troisième rendez- vous avec l’Algérie.
Dès le lendemain nous partons en train en direction de ville de Tébéssa trois cents kilomètres au sud sur les hauts plateaux et les djebels des monts Némentcha.
( A partir de cette date je vais tenir un carnet de bord dans lequel je noterai chaque jour les évènements vécus et mes observations de ma vie de soldat et d’observateur attentif de cette période de la guerre d’Algérie jusqu'à l’arrivée du Général de Gaulle à Alger et Constantine)
De retour d’Algérie je reprends mon activité professionnelle et parallèlement un cycle d’études universitaires interrompu pendant ma mobilisation.
Au cours de ma carrière, j’ai été appelé à des fonctions de direction technique de plusieurs entreprises en France et à l’étranger. J’ai par ailleurs développé des technologies et déposé plusieurs brevets.
Directeur technique d’une entreprise de transformation des matières plastiques en Lorraine j’ai créé et développé un procédé nouveau à l’époque, dans le domaine des contenants des produits chimiquement agressifs.
Cette découverte est à l’origine de mon quatrième rendez-vous avec l’Algérie.
L’aventure débute ainsi :
Le commandant Jacques Yves Cousteau à bord de son navire la Calypso est en campagne d’exploration sur la flore et la faune de la Méditerranée.
Au cours de ses prélèvements avec son équipe, il constate avec étonnement l’absence totale de tout organisme vivant dans tous les prélèvements qu’il a relevés depuis plusieurs heures.
Poursuivant ses recherches dans une autre zone, les prélèvements sont identiques, absence totale de toute vie organique. Plus un poisson, plus de plancton, disparition de toute espèce végétale.
Devant ce constat surprenant le commandant décide d’explorer une zone plus large de ce secteur de la Méditerranée, mais les prélèvements donnent les mêmes résultats. Il n’y a plus d’organisme vivant dans cette partie de la mer. En examinant sur la carte marine l’endroit où la Calypso faisait ces prélèvements, le commandant constate qu’il se situe au large de la côte Est de l’Algérie face aux villes portuaires de Bône et de Philippeville devenues Annaba et Skikda.
Après avoir débarqué à Skikda, Cousteau visite l’usine pétrochimique qui traite le pétrole des gisements en provenance du Sahara. Poursuivant son investigation le commandant découvre une rivière qui déverse dans la mer des effluents issus du traitement de la raffinerie.
Après avoir interrogé les dirigeants de l’usine, Cousteau apprend que cette rivière se déverse dans la mer depuis des années.
Suite à cette découverte les autorités scientifiques du pays ont examiné sérieusement le problème et découvrent que les effluents rejetés en mer depuis des années par l’usine de Skikda sont composés à plus de quatre vingt dix pour cent, d’hypochlorite de soude.
Ce produit est très proche de la composition de l’eau de javel que paradoxalement l’Algérie importe en très grandes quantités depuis la France.
Par ailleurs, d’après les scientifiques, il faut savoir que si cette rivière d’hypochlorite de soude n’avait pas été stoppée, elle aurait pu à terme polluer presque toute la Méditerranée.
La suite de cette aventure : la diffusion des informations concernant l’évolution des technologies a contribué à faire connaître le résultat de mes recherches dans le domaine des contenants thermoplastiques. Et en particulier ceux compatibles avec le conditionnement de produits agressifs comme l’eau de javel.
C’est ainsi que j’ai été approché par les services techniques et l’administration Algérienne pour installer la ligne de fabrication nationale des doses de javel pour tout le pays.
Après avoir réglé les conditions et le planning de ma mission en Algérie, l’ambassade d’Algérie me délivre un visa et le 8 mars 1990 j’atterris à l’aéroport Houari Boumediene d’Alger.
Après une réception officielle je suis invitépar des membres d’un ministère dont je ne me souviens plus le nom, et après avoir rencontré encore plusieurs autres personnalités, j’ai été conduit à mon hôtel pour me reposer. J’avais un peu de temps avant de me préparer pour une invitation dans un grand restaurant de la ville.
Deux jours plus tard un vol intérieur me déposait à Bône et c’est par la route qu’une voiture m’a enfin conduit à Skikda sur le lieu de ma mission. Après la mise en route de la ligne de fabrication, je suis resté quelques jours supplémentaires pour former les ingénieurs et les cadres algériens au fonctionnement et au contrôle de l’ensemble des machines.
Je fus à cette époque très bien accueilli par les autorités nationales du pays à Alger ainsi qu’à Bône et Philippeville.
Ce fut en Mars 1990, peut-être pas, mon dernier rendez-vous avec mon pays natal.
Claude DAYAN
PARIS le 6 MARS 2022