René-Samuel Sirat par Michel Rothé janvier 2019
Chers amis,
Je voudrais apporter mon témoignage de lycéen juif algérien vivant à Bône, élève au Lycée Saint Augustin sous le régime de Vichy :
J'ai fait partie d'un groupe de 3 ou 4 enfants juifs algériens Bônois, qui ont été maintenus élèves au Lycée Saint Augustin à Bône, alors que tous leurs condisciples avaient été chassés des écoles laïques et du Lycée pour le crime d'être nés enfants juifs.
Mes amis et moi-même avons joui de ce privilège parce que nos pères respectifs avaient combattu à l'appel de la France, durant la première guerre 1914-1918 à Verdun, sous l'autorité de Pétain.
Un jour d'octobre 1942, le surveillant général du Lycée entre dans ma classe : tous les élèves se lèvent, et attendent pour se rasseoir que l'ordre en soit donné par le visiteur. Avant de nous demander de nous rasseoir, le surveillant général, me pointant du doigt, me dit :
"Toi, Sirat, tu ne lèveras pas le drapeau de France lundi.
nous n'avons pas besoin d'un sale juif pour lever "les trois couleurs"...
En effet, chaque lundi, le premier élève de la classe, 6ème1, 6ème2, 6ème3, 5ème1, 5ème 2, 5ème 3, 4ème 1, 4ème 2, 4ème 3... levait le drapeau, et tous les élèves chantaient à l'unisson l'hymne "Maréchal nous voilà", le chant du départ, et la Marseillaise...
Le tour de ma classe était arrivé, mais le surveillant général ne voulait pas qu'un juif soit désigné pour lever le drapeau français...
- J'ai répondu au surveillant général :
"Monsieur le surveillant général, je ne viendrai pas lundi matin à l'école".
- Réplique :
"C'est très bien ! nous pourrons ainsi te renvoyer du lycée pour absence injustifiée"!!!
- "Alors, que dois-je faire ?"
- "Tu viendras 5 minutes avant, et tu resteras dans la classe pendant l'appel au drapeau".
Fou de rage, je suis rentré chez moi en préparant le discours que j'allais tenir à mon père pour lui expliquer que je ne voulais plus me rendre au Lycée Saint Augustin.
Arrivé à la maison, très énervé, je dis à mon père : "j'ai besoin de te parler"
- "Assieds-toi"
- "Je ne veux plus étudier dans cette école antisémite"... et je lui ai raconté l'incident. (J'avais préparé dans ma tête toute une argumentation pour expliquer que je ne voulais plus fréquenter ce lycée...)
Mon père, à mon grand étonnement, m'a dit d'une façon très calme :
"Tu ne veux plus aller au lycée ? et bien n'y va plus !"
Un grand silence s'établit.
et je repris : "mais alors, papa, que dois-je faire ?"...
- "Si tu veux mon conseil, alors travaille bien au prochain trimestre, et tu auras le privilège de lever le drapeau français..."
Le trimestre suivant, la question ne se posait plus : un groupe de jeunes juifs courageux avait pris le pouvoir à Alger le 8 novembre 1942, avant de le transmettre aux armées américaine et anglaise qui venaient de débarquer à Alger...
Vous vous demanderez peut-être quel fut le châtiment appliqué au surveillant général : il est resté à sa place, et a continué à occuper ses fonctions...
La nationalité française, dont avaient été privés les juifs algériens en 1940, ne leur a été restituée que bien des mois après, grâce à l'action du Garde des Sceaux, Monsieur René Cassin, futur Président de l'Alliance Israélite Universelle.
Le 24.4.2018
Grand Rabbin de France émérite
Commentaires
La question du "rétablissement " des Juifs dans la nationalité française n'est pas aussi simple que cela et mérite une recherche approfondie. CF article de Shmuel Trigano dans "Les Juifs d'Algérie"page 53
S’abonner au flux RSS pour les commentaires de cet article.