"Faire l’avenue", c’est une phrase que j’ai saisie récemment au cours d’une conversation.
Et comme il ne m’en faut pas beaucoup pour m’évaporer d’une compagnie parfois trop bavarde, je me suis vu ramené des années en arrière, avenue de la Bouzaréah à Alger, un des joyaux de Bab el Oued.
J’'ai dailleurs appris, il y a quelques années, qu'elle s'appelait désormais : "Boulevard Colonel Lofti", du nom d’un héros de la révolution algérienne.
Mais cela aurait pu être n'importe quelle autre avenue, boulevard ou rue d'Alger, dès lors qu'ils furent animés, bordés de cafés , de boutiques, de cinéma(s) ou de glaciers réputés.
"Faire l'avenue" consistait donc à déambuler, en marchant d'un pas nonchalant, faussement détaché et désintéressé, la plupart du temps, tout en ne perdant rien du spectacle de la rue. Le mieux c'était bien sûr de rythmer son allure, à deux ou trois copains, en ayant l'air d'avoir une conversation, de sourire ou surtout de rire bien sûr , assez fort, pour que l'on vous remarquât , pour qu' "elles" vous remarquent, lorsque vous arriviez à leur hauteur.
Car, ici sur l’avenue, la drague consistait à se montrer, à se faire remarquer. Les plus audacieux, le plus souvent encouragés par un regard allaient jusqu'à accoster la jolie demoiselle. Pour se sentir tout à fait à l'aise, être habillé à la mode était alors indispensable...l e pantalon bien "fuseau" c’est à dire les bas étroits à 15 ou 16 cm, coupé à l' "espagnole", la taille haute, large de 8 à 9 cm fermée par deux rangées verticales de boutons, une chemise ample, bouffante, col " 5 ème avenue" relevé , les pointes de col formant un angle presque plat, manches longues retroussées jusque sous le coude, chaussures italiennes pointues. J'oubliais... gomina ou brillantine pour les cheveux !
Quelques photographes vous tiraient le portrait et vous tendaient leur ticket que vous preniez d’un air faussement détaché, mais que vous conserviez précieusement surtout lorsque vous aviez l’impression d’avoir été pris à votre avantage lors de l’instantané.
Bien que l'avenue de la Bouzaréah fut assez longue, la promenade débutait généralement place des Trois Horloges, et se poursuivait sous les arcades de l'avenue de la Marne et même un peu au-delà. Pas trop loin ...car en revenant sur leurs pas, ils se donnaient une chance supplémentaire de recroiser la belle qui avait accroché leur regard...et ainsi de suite jusqu'à ce que les plus hardis ...se décident à mettre fin à ce défilé de séduction .
Faire l'avenue, ne se faisait pas à trois heures de l'après-midi, surtout durant les chaleurs, mais débutait en fin d'après-midi, à la sortie du cinéma, et ce va-et-vient s'achevait avant la nuit.
Presque tout le monde connaissait presque tout le monde, et se saluait, s'embrassait ou s'interpellait d'un trottoir à l'autre. Le Samedi et le dimanche la foule circulait ainsi dans les odeurs de grillades provenant des cafés enfumés, bondés de monde, à l'heure de l'apéritif et de la kémia. Les ding! ding! des trams et les klaxons des voitures s'ajoutaient au brouhaha de la rue en couvrant les musiques qui s'échappaient des cafés.
Et puis, petit à petit, la musique cessait, les cafés se vidaient, les boutiques s'éteignaient, la nuit revenait.
Auriel Guy Dahan
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