Témoignage de Claude DAYAN
En 1940, je vivais avec ma mère, mon frère Roland et ma sœur Monique à Montrouge. Mon père était prisonnier de guerre en Allemagne au Stalag 11A.
Notre mère n’avait pas voulu déclarer la confession juive de notre famille, malgré l’obligation formelle ordonnée par les autorités, et nous n’avons pas porté l’étoile jaune sur nos vêtements. Notre mère avait appris que des membres de notre famille, des oncles, tantes ainsi que des cousins qui portaient l’étoile avaient été déportés, ils ne sont malheureusement jamais revenus des camps où ils avaient été internés.
J’avais six ans, mon frère Roland quatre et ma sœur était un bébé d’un an.
Notre mère décédée aujourd’hui, m’avait expliqué qu’elle avait appris par des voisins amis que nous avions été dénoncés par des personnes de notre voisinage de notre identité juive à l’administration chargée de ce recensement. Pour éviter d’être arrêtés, notre mère a décidé de partir rapidement vers la province.
Nous avons alors commencé un long voyage qui nous a conduits par de multiples étapes vers le département du Loir-et-Cher (41) afin de chercher un endroit où nous serions en sécurité. Après plusieurs tentatives nous nous sommes réfugiés dans la petite commune de Fresnes où notre mère a trouvé chez des agriculteurs du travail dans les champs et des tâches ménagères dans les maisons.
Nous sommes restés plusieurs mois dans cette commune, pensant être à l’abri des dénonciations, malheureusement les enquêtes de la gestapo sur les réfugiés sont devenues de plus en plus pressantes et devant le risque d’être arrêtés nous avons dû reprendre notre fuite et recommencer à nous déplacer comme on le pouvait, en car, camion, charrette à chevaux enfin tout ce que l’on trouvait et qui pouvait nous transporter. Ce n’était pas facile aussi nous devions bien souvent nous déplacer à pied le long des routes.
Avec notre courageuse mère et ses trois enfants nous avons erré pendant des jours et des mois à la recherche d’opportunités qui nous permettraient de pouvoir trouver un refuge à l’abri des arrestations et avec la possibilité d’assurer notre subsistance. Le hasard de notre cheminement nous a conduits à nous diriger vers l’est de la France et nous avons enfin trouvé un hébergement dans un village de Haute Saône du nom de Ternuay où d’autres réfugiés (pour d’autres raisons) avaient été aussi accueillis. Pour assurer notre sécurité dans ce village occupé par les troupes allemandes, notre mère nous a inscrits aux cours de catéchisme que nous avons suivi avec assiduité, ce qui nous a conduits mon frère et moi à devenir enfants de chœur et servir la messe avec application à toutes les cérémonies catholiques dans l’église du village pendant plus de deux ans.
Après le débarquement des troupes alliées et leur progression vers l’Est, nous avons pu continuer à cacher notre confession aux autorités françaises et allemandes qui poursuivaient toujours ensemble la traque des juifs dans la région.
Avant d’être libérés par les troupes des armées d’Afrique et d’Amérique, nous eûmes à subir la violente bataille qui eut lieu sur notre territoire âprement disputé proche de Belfort. Elle nous obligea à quitter notre logis. Nous avons dû nous réfugier pendant une dizaine de jours dans une cave, pratiquement sans nourriture, et attendre l’issue d’un combat acharné d’artillerie. Nous étions affaiblis, assourdis et prostrés sous cet incessant bombardement.
Enfin nous vîmes l’arrivée des premiers soldats libérateurs. Deux mois plus tard nous avons commencé à entreprendre notre retour vers Paris toujours par étapes dans les mêmes conditions que le voyage aller, la plupart du temps entassés parmi de la marchandise dans des camions. Ce fut long et fatiguant, mais durant ce parcours, l’angoisse et la peur commençaient à nous abandonner. A notre retour, nous avons retrouvé notre appartement vide, les meubles avaient disparu.
Il a fallu recommencer à nous meubler et nous équiper modestement, ensuite avec le temps nous avons progressivement appris à vivre normalement.