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Bienvenue sur le site de l’association MORIAL

Notre objectif : sauvegarder et transmettre la mémoire culturelle et traditionnelle des Juifs d'Algérie. Vous pouvez nous adresser des témoignages vidéo et audio, des photos, des documents, des souvenirs, des récits, etc...  Notre adresse

 e-mail : morechet@morial.fr -  lescollecteursdememoire@morial.fr

L’ensemble de la base de données que nous constituons sera  régulièrement enrichie par ce travail continu de collecte auquel, nous espérons, vous participerez activement.  L'intégralité du site de Morial sera déposée au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) à Paris, pour une conservation pérenne .

Tlemcen, le kiosque à musique au centre ville
Médéa : rue Gambetta (1945)
Alger : rue d'Isly (1930)
Une oasis à Ouargla (Territoire du Sud algérien)
La Grande Poste d'Alger (Photo J.P. Stora)
Square Bresson
Lycée E.-F. GAUTIER D'ALGER
Service Alger - Bouzareah
Alger : le marché de la place de Chartres
MEDEA - Le Café de la Bourse
Guyotville - La Plage

Mon école au pluriel. Oujda, Taza, Oran, Constantine 1939- 1941 

  

 

 J'ai l’impression d’avoir toujours vécu en dehors de l’Histoire, mais lors de la Seconde guerre mondiale et surtout lors de la Guerre d’Algérie, elle a fait irruption avec violence dans notre quotidien

 

La France de Vichy : la « Révolution Nationale »

 

Je n’avais pas 6 ans lors de la déclaration de guerre en Septembre 1939. Nous vivions encore au Maroc, à Oujda où je suis née, puis à Taza, une trouée dans les montagnes du Moyen Atlas.

 

Je me souviens  du voyage en train d’Oujda à Taza. En abordant la trouée de Taza, entre le Rif et l’Atlas, la pente devenait plus escarpée, le train ralentissait et nous traversions une série de tunnels, dont nous sortions nauséeux, enfumés, noirs de charbon, les cheveux pleins d’escarbilles. J’en ai définitivement perdu le goût des voyages en train même électrifié.

Mobilisation ! Guerre ! Ces mots qui affolaient les adultes n’avaient aucune signification pour moi.

Mais j’ai vu mon père, amusé de ma perplexité, entortiller ses mollets dans de curieuses bandes molletières et, dans un costume de zouave, avec une chéchia rouge sur la tête, partir pour le "dépôt  de Zouaves" no 21, un fort à Taza.

 

Nous avons beaucoup grimpé sur des sentiers de l’Atlas, pour lui  rendre visite à mi-chemin de cette caserne, puis dormi dans un abri de fortune, une sorte de dépendance de ferme ou d’écurie, Josiane sur deux sièges assemblés. A Casablanca, où mon père avait été muté du 10 juin 1940 au 27 juillet 1940, nous sommes aussi allées le voir. Le 17 juin 1940 Pétain demandait l’armistice. Il faisait très chaud. Mon père, toujours en tenue de zouave, avec une chéchia rouge sur la tête, nous a rejointes dans un jardin public.

                                        

Sur la photo qui a fixé ce moment, nous sommes assis tous les quatre sur une pelouse, Josiane et moi en maillots de bain avec de grands chapeaux. Mon père nous a apporté le  chocolat de sa ration militaire. Ce gros chocolat noir m’a rendue si malade que pendant des décades, je n’ai plus mangé aucun chocolat.

 

 

Le soir, nous avons déambulé dans la ville, ma mère trainant ses deux petites filles à la recherche d’un hôtel. En vain. La réquisition, l’afflux et la débandade après l’effondrement du 18 Juin !

 

 

La nuit tombait quand une femme âgée qui vivait avec sa fille, remarqua notre manège de son balcon,  nous envoya chercher et nous invita à dormir chez elle avec une telle gentillesse que j’en garde encore  un souvenir ému. J’étais si fatiguée de marcher !

 

De "l’Internationale" à "Maréchal nous voilà !" en attendant le "Chant des partisans"

 

Après la défaite et l’armistice de Juin 1940, j’ai vu mon père démobilisé brûler des papiers dans le haut poêle à bois de la salle de bains de notre maison de village à Taza. Il militait à la S.F.I.O (Section Française de l’Internationale Ouvrière), m’emmenait, le Dimanche, à Oujda, aux meetings à la « Casa d’España », probablement salle de réunion des Républicains espagnols exilés, où j’ai appris à  entonner l’Internationale en levant mon petit poing.


Avec la tournure que prenait la « Révolution Nationale » de Vichy et le train de mesures dont allaient être victimes les juifs d’Algérie, mon père jugeait à juste titre ses documents compromettants pour un juif militant de gauche de surcroît.
L’idéologie du nouveau régime fit adopter, dès 1940, le vieux slogan : « la France aux Français » et commença dès lors la chasse à « l’Anti-France ». Furent exclus de la « Vraie France » tous les «  ennemis intérieurs », les communistes, les « forces judéo-maçonniques » excellents boucs émissaires pour expliquer la défaite.


Les parents chuchotaient. Ils taisaient les souffrances morales et matérielles que leur imposaient le « statut des juifs » du 3 octobre 1940 qui excluait  les juifs du corps de la nation et l’abolition du décret Crémieux le 8 octobre1940.
Une loi du 7 octobre signée Maréchal Pétain et Raphael Alibert, garde des Sceaux, abrogeait ce décret qui avait fait de nous, juifs indigènes d’Algérie, des Français, 70 ans plus tôt. Nous n’étions plus citoyens français et mon père fut rayé des cadres de la Fonction Publique.

 

Oran, Constantine


Nous avons alors quitté Taza pour Oran, sans que j’aie bien compris pourquoi mon père abandonnait son guichet à la Poste pour cette boutique où il vendait, avec ma mère, du lait et du son contre des tickets de rationnement. Pourquoi nous avions quitté notre appartement chez Mme Icare à Oujda, puis notre maison de village à Taza, pour une chambre d’hôtel à Oran où le piano de ma mère n’avait pas sa place ni les livres de la bibliothèque de mon père.


Mon père ne s’occupait plus de sa collection de timbres et surtout, il ne jouait plus du violon, accompagné de maman au piano, le soir, après son travail. Ma sœur Josiane, trop petite, avait été confiée à mes grands-parents maternels à Constantine où les privations se faisaient moins sentir. A partir de la défaite de 1940, l’Algérie, largement tributaire de la Métropole pour la plupart des produits, s’enfonça, en effet, peu à  peu dans la pénurie. 


J’avais des robes trop courtes et des pulls tricotés « maison » trop petits. Cela est visible sur la dernière photo de classe datée 1941 avant le renvoi en Octobre 1941, mais cela ne me gênait pas outre mesure.  Le bouleversement de notre vie ne me rendait pas malheureuse puisque j’étais avec mon père et ma mère.

 

Les enfants ont une incroyable  faculté  d’adaptation

 

J’étais juste triste d’être séparée de ma petite sœur et jalouse de son costume marin avec une jupe plissée que ma grand’mère Clara lui avait acheté à Constantine. Costume marin indémodable depuis la reine Victoria qui s’était piqué, afin d’exalter la puissance de sa nation, de vêtir ses enfants de costumes marins miniatures.

 

Nous avions reçu une photo de Josiane avec ce costume. Elle était vraiment mignonne et j’aurais bien échangé, parfois, ma place contre la sienne. Elle pouvait manger les poivrons et tomates séchés au soleil sur la terrasse à Constantine et conservés dans l’huile pour l’hiver. Et le beurre ! Il y avait donc du beurre à Constantine ! Je ne saurai que plus tard que c’était du « smen » ! Mais ma nouvelle vie m’offrait des moments excitants aussi. J’étais beaucoup livrée à moi-même.

 

Je traînais devant la boutique de mes parents et découvrais la rue et de nouveaux amis. Mon rêve aurait été d’avoir des patins à roulettes, ces magnifiques  patins en bois, à défaut d’un vélo. Et j’allais encore à l’école ! J’ai eu juste le temps, à Oran, de boire de l’huile de foie de morue à la cuillère, et d’assister, le matin, en silence, au « lever des couleurs », puis d’entonner la Marseillaise et « Maréchal, nous voilà ! », puis minute de silence, avant qu’on ne me signifie que je n’étais pas assez française et que je n’avais aucune légitimité à rester à l’Ecole de la République.

                                

 

Le « numerus clausus » : "C’est le renvoi !"

 

 

La loi du 21 juin1941, promulguée en Algérie le 23 Août, exclut 19.484 élèves juifs des écoles publiques. Elle interdit aux élèves juifs des écoles privées de se présenter aux concours et examens d’un niveau supérieur au Certificat d’Etudes. 


Quand, en Octobre 1941, on m’a renvoyée de l’école, j’ai entendu que c’était parce que j’étais juive. Je ne savais pas exactement ce que juif signifiait, ou en avais une très confuse idée. Mon père était athée et refusait de se plier au rituel des fêtes juives. Il voulait "dépouiller le vieil homme". Je savais juste que je ne ferais pas une communion solennelle, en robe de petite mariée, à l’église, comme mes camarades de classe. Dommage ! 

 

J’ai compris alors qu’il n’était pas bon "être juif" et qu’il valait mieux ne pas en parler

 

 

Je n’éprouvais aucune humiliation, mais peu à peu, parfois un fugitif sentiment diffus de culpabilité ! C’était peut-être un grave défaut, une tare même, puisque nous étions rejetés, réduits à une vie de parias ! Ma mère pleurait. A Constantine, c’est la jeune institutrice du Jardin d’enfants, payant, du Lycée Laveran qui, prenant Josiane, 5 ans, désormais exclue, dans ses bras, pleurait en lui rendant  son petit tablier et le panier d’osier tressé  brodé de fils de laine multicolores dans lequel elle transportait d’ordinaire son goûter. Josiane, me raconte-t-elle, ne comprenait pas pourquoi sa "maitresse" pleurait.

 

 Georges, 20 ans, renvoyé de la Faculté de Médecine d’Alger, voulait aller crier son mépris et son indignation au Lycée Laveran. Grand-père ne l’a pas convaincu mais a réussi à le retenir. J’ai vu Georges furieux, mais je l’ai vu pleurer aussi ! Une scène reste gravée dans ma mémoire. Dans la salle à manger, chez mes grands- parents, à Constantine, 4 étudiants juifs en médecine et pharmacie  exclus de la faculté d’Alger, en plein désarroi,  réunis.

 

Ils ont pleuré, bu, et tout à coup, se sont mis à entonner à tue-tête en arabe sur l’air de la prière finale de Kippour, accompagnés au piano par le cousin Eugène S., étudiant en pharmacie, "ils ne nous aiment pas, et ne nous aimeront jamais, nous, les juifs !" : "Me habonech, ihoudiyim, me habonech abedem".


Ses compagnons d’infortune partis, Georges passa la fin de la journée à vomir ! Ce fut une vraie catharsis ! Immédiatement après, il se remit à travailler, apprit la comptabilité en trois mois et "quickness" (son nom de scout), recommença à foncer, comme il le fera plus tard  sur le champ de bataille, confiant dans la vie.


On raconte qu’à Alger, un étudiant en pharmacie à l’appel de son nom, s’est levé en criant : "Alors, Jésus Christ aussi vous l’auriez mis dehors !"

  
Ma mère, à Oran, avait fait une vaine tentative pour m’inscrire dans une école privée dirigée par des Religieuses. Bien sûr, ces dames acceptaient d’accueillir cette petite mignonne. Il suffisait de me convertir au christianisme !
On pouvait donc ne plus être juif ? Ma mère pleurait toujours, sur le trottoir, rue d’Arzew, devant l’école d’où on venait de nous éconduire. Tout cela me paraissait trop compliqué ! Au fond je n’étais pas mécontente d’être mise en vacances, sine die…

 

Comme avec mon désœuvrement, je devenais sûrement encombrante, on m’a expédiée à Constantine, en attendant des jours meilleurs. Nous nous sommes retrouvées, ma petite sœur et moi avec une telle joie chez mes grands-parents que nous avons failli tomber dans l’escalier en nous jetant dans les bras l’une de l’autre.

 

Certains de mes amis d’enfance de Constantine ont échappé à l’exclusion parce que leur père était un blessé de la guerre 1914, décoré. A l’école Diderot, où ils n’étaient que trois juifs, Mr M.., le Directeur et instituteur de Jean –Pierre A. qui venait d’obtenir 10/10 en rédaction, s’adressant à la classe, s’exclama : «  Si ce n’est pas malheureux ! Un juif qui vous apprend à parler et écrire en Français ! ». Le même, plus tard, s’adressant à un enfant juif qui se dandinait en récitant, comme le font souvent les petits écoliers : "Eh ! tu te crois à la synagogue !".

 

La parole antisémite était vraiment libérée mais les enfants blessés et humiliés s’en souviennent encore pour le raconter plus de 70 ans après. Et mon oncle Paul se souvient qu’au moment où on le faisait sortir au milieu d’un troupeau d’enfants juifs, exclus de l’école Diderot, regroupés après l’appel dans chaque classe, la cloche se mit à sonner sur l’air de :"ce n’est qu’un au revoir !". Compassion ? "Faut-il nous quitter sans espoir, sans espoir de retour ?» ou ironie ?cynisme ?

 

 La révolution Nationale,

"Philippe Pétain maître d’école", Périgny (Allier), octobre 1941  

 

Maréchal nous voilà !

1er couplet

 Une flamme sacrée
Monte du sol natal
Et la France enivrée
Te salue, Maréchal !
Tous les enfants qui t’aiment
Et vénèrent tes ans     (85 ans) 
A ton appel suprême
Ont répondu : "présents !"


Refrain :


Maréchal nous voilà
Devant toi, le sauveur de la France,
Nous jurons, nous tes gars, 
De servir et de suivre tes pas,
Maréchal nous voilà !
Tu nous as redonné l’espérance :
La patrie renaîtra.
Maréchal, Maréchal, nous voilà !

L’auteur, André Montagnard, avait déjà connu le succès avec "un pastis bien frais".   Chanté par Jean Dasary.

En Octobre 1941, la cérémonie du lever des couleurs fut instaurée par le Maréchal  Pétain. On hissait le drapeau tricolore. Puis le chant : "Maréchal, nous voilà !" Puis minute de silence.


Mon amie de pension à Tlemcen, M.D. qui fréquentait l’unique école primaire du petit village D’Ain-Kial (1500 h environ) n’avait pas été exclue, bien que juive, parce que son père, combattant blessé de la guerre 1914, était décoré.

 

Un matin, alors qu’elle s’avançait pour hisser le drapeau, elle fut arrêtée dans son élan par un brusque : "Ah ! Non! Surtout pas toi !"

 
Elle dit son mal - être, rejetée de ses ex-camarades exclues et des autres aussi. Ce "surtout pas toi !" m’a poursuivie toute ma vie, dit-elle. Pour faire contrepoint, j’ai le témoignage de mon amie Danièle G. scolarisée à Alger, à l’école de la rue de la Liberté, près de l’Hôtel Aletti. Elle raconte que Melle Ganté, la Directrice qui avait lu elle-même  dans chaque classe la liste des élèves exclues, était en larmes en accueillant les parents à la sortie.

 

Danièle parle "d’un épisode douloureux de sa jeunesse" qui a fait encore l’objet d’un rêve récent : habillée d’un tailleur jaune (jaune comme la rouelle du Concile de Latran ou l’étoile jaune !) elle est l’objet du mépris d’une camarade de classe qui lui tourne le dos. J’en ai gardé, dit-elle, un sentiment d’injustice et d’humiliation car j’ignorais le motif de cette discrimination.

 

La plupart du temps la liste des élèves exclues était apportée par le « chaouch » souvent  un musulman : l’huissier, l’appariteur, le préposé  aux registres d’absences qui passait chaque jour dans les classes. C’est le cas de mon amie de pension Evelyne D. qui, à Beni-Saf, convoquée ensuite chez la Directrice  avec les autres élèves exclues, a gardé le souvenir d’avoir été poussée vers la sortie sans ménagement. Elle s’adressa ensuite au rabbin pour suivre les cours d’Hébreu, mais le rabbin n’acceptait que les garçons. Devant son insistance il  finit par céder. C’était trop de discrimination ! Vraiment !   

Lettre de l'Inspection Académique de Constantine refusant la réintegration de Jean Sonigo, beau-frère de l'auteur, au titre du numérus clausus

 

Constantine 1941:  "L’école juive" 

 

 


A Constantine, la ville aux 10 synagogues, J’ai oublié que j’étais juive parce que presque tout le monde l’était autour de nous, dans notre quartier et même à l’école. J’ai le vague souvenir d’avoir fréquenté, de façon éphémère, une «  école juive », peut-être  le cours mis en place dans une grande villa située dans le quartier excentré du plateau du Mansourah offerte par Mr E. Tenoudji.


Le 19. 12. 1940, 465 professeurs et instituteurs juifs avaient été révoqués. Des professeurs éminents comme Robert Brunschvicg ou André Lévi Valensi  ont dû abandonner leurs fonctions à l’Université d’Alger. Le tour des élèves allait suivre en Algérie. Fin 1941-42, 70 écoles juives primaires et 6 secondaires réparties sur l’ensemble du territoire algérien fonctionnaient difficilement. Et contrairement au Maroc, le réseau de l’Alliance israélite Universelle n’existait pas.

 

Classes ou petits cours improvisés la première année, mieux organisés la deuxième année  dans des locaux privés, appartements, villas où les cours étaient dispensés par des maîtres en blouse grise, étudiants volontaires, souvent bénévoles, juifs chassés de leurs emplois, interdits d’enseignement. Ces malheureux faisaient de leur mieux avec des classes ou petits groupes le plus souvent mixtes, des horaires très abrégés, aménagés pour accueillir tous les enfants et des écoliers de milieu, d’âge et de niveau si disparates.

 

Max M. raconte que, ne sachant plus comment occuper ses élèves, tous garçons, le maître les a emmenés, un jour, visiter une usine de tabac. Tous les élèves juifs n’ont  pas eu la chance de suivre les  leçons de français que Camus a données à Oran, à la demande de son ami le philosophe André Bénichou qui avait ouvert une école privée baptisée Cours Descartes. A la même époque Camus écrivait La Peste, métaphore aussi de la peste brune. 

  
De ce passé englouti, surnage un instantané

 

Josiane et moi, assises côte à côte, dans une grande pièce pleine d’enfants, un jour de rentrée dans une "école juive" à Constantine et moi lui chuchotant : "tu as un mouchoir dans ta poche, mouche toi, sinon on va encore nous renvoyer". Ce motif, en tout cas n’aurait pas été moins absurde.
Scolarité en pointillé qui ne semble pas m’avoir été d’un grand profit. Je m’installais au fond de la classe pour être tranquille. J’avais pris l’habitude de ne rien faire.
C’est seulement le 22 Octobre 1943, presque un an après le débarquement des Américains en Afrique du Nord, après des tergiversations sans fin des autorités que le décret Crémieux a été rétabli. Redevenus Français, nous avons pu réintégrer l’Ecole Publique après deux ans de vacances.

Attestation du pricipal du Collège de Bougie concernant Micheline Sonigo, belle-soeur de l'auteur,précisant son exclusion scolaire en novembre 1941 et sa réintégration en octobre 1943, immédiatement après le rétablissement du décret Crémieux

 

Fin du "numerus clausus" :   Oran (1943-1944), l’hygiène d’abord !

 

 

Mon  retour à l’école eut lieu en 1943, à Oran, où revenues  chez nos parents, enfin correctement logés, nous avions vécu le débarquement américain, en novembre 1942.


J’avais à Oran en classe du cours moyen, une institutrice très petite, avec un chignon de cheveux déjà grisonnants, laineux et crépelus, qui avait deux petites filles de notre âge, mais qui me paraissait plutôt vieille et sans grâce.
Elle était sûrement une bonne enseignante, mais mon cerveau était resté trop longtemps en friche et, sans bases scolaires solides, j’avais une peur panique de la grammaire et des dictées quotidiennes.
Cette institutrice, très attachée à l’hygiène, nous exhortait à laver nous-mêmes, tous les soirs, les fonds de nos petites culottes. Les classes n’étaient pas mixtes, alors, ni les Ecoles : nous étions entre filles. 
Tous les matins, une règle dans chaque main, juste avant la leçon de morale, suivie par l’exercice de calcul mental sur nos ardoises cassables en vraie pierre de schiste, la « maîtresse » partait en guerre contre la crasse,  les poux, le typhus et la gale.
De table en table, elle nous inspectait, une à une, les mains et les ongles recto-verso, et, avec ses deux règles, elle trifouillait nos cheveux pour s’assurer que nous n’avions ni poux ni lentes. Sinon, c’était la Marie Rose ! En cas de récidive, les têtes étaient rasées pour plus d’efficacité du produit. Honte aux têtes rasées sous les carrés de coton qui dissimulaient parfois de vilaines croûtes de teigne !
Là, ma scolarité, déjà perturbée par des changements multiples, a un peu piétiné.

 Constantine 1944-1945 : Enfin au travail !

 

 C’est à Constantine que j’ai pris à cœur de réussir à l’école. La Directrice de l’Ecole Primaire  Ampère, rue Nationale, avait consenti à me réintégrer, en Octobre 1944, faute de place ailleurs, dans la classe du Cours Supérieur, réservée d’ordinaire aux élèves destinées à un cycle scolaire court. Mon oncle Maurice, reconnaissant, lui a offert un coupon de plusieurs mètres de percale blanche qui a peut-être fini de la convaincre que j’avais le niveau requis. Une rareté ! La guerre n’était pas finie et nous manquions de tout.

 

Fin du "numerus clausus" : Oran (943-1944), l’hygiène d’abord !


 Mon  retour à l’école eut lieu en 1943, à Oran, où revenues  chez nos parents, enfin correctement logés, nous avions vécu le débarquement américain, en novembre 1942.


J’avais à Oran en classe du cours moyen, une institutrice très petite, avec un chignon de cheveux déjà grisonnants, laineux et crépelus, qui avait deux petites filles de notre âge, mais qui me paraissait plutôt vieille et sans grâce.
Elle était sûrement une bonne enseignante, mais mon cerveau était resté trop longtemps en friche et, sans bases scolaires solides, j’avais une peur panique de la grammaire et des dictées quotidiennes.

 

Cette institutrice, très attachée à l’hygiène, nous exhortait à laver nous-mêmes, tous les soirs, les fonds de nos petites culottes. Les classes n’étaient pas mixtes, alors, ni les Ecoles : nous étions entre filles. 


Tous les matins, une règle dans chaque main, juste avant la leçon de morale, suivie par l’exercice de calcul mental sur nos ardoises cassables en vraie pierre de schiste, la « maîtresse » partait en guerre contre la crasse,  les poux, le typhus et la gale.
De table en table, elle nous inspectait, une à une, les mains et les ongles recto-verso, et, avec ses deux règles, elle trifouillait nos cheveux pour s’assurer que nous n’avions ni poux ni lentes. Sinon, c’était la Marie Rose ! En cas de récidive, les têtes étaient rasées pour plus d’efficacité du produit. Honte aux têtes rasées sous les carrés de coton qui dissimulaient parfois de vilaines croûtes de teigne !


Là, ma scolarité, déjà perturbée par des changements multiples, a un peu piétiné.

Constantine 1944-1945 : Enfin au travail !

 

C’est à Constantine que j’ai pris à cœur de réussir à l’école. La Directrice de l’Ecole Primaire  Ampère, rue Nationale, avait consenti à me réintégrer, en Octobre 1944, faute de place ailleurs, dans la classe du Cours Supérieur, réservée d’ordinaire aux élèves destinées à un cycle scolaire court. Mon oncle Maurice, reconnaissant, lui a offert un coupon de plusieurs mètres de percale blanche qui a peut-être fini de la convaincre que j’avais le niveau requis. Une rareté ! La guerre n’était pas finie et nous manquions de tout.

 

L’ambiance chez mes grands- parents était sécurisante, notre vie bien réglée, aussi ai-je réussi coup sur coup, à l’examen de 6e, à la Bourse et au Certificat d’Etudes, en Juin 1945. Au Printemps 1945, je rabâchais, assise sur le bord du petit balcon qui surplombait le Rhumel, 44 rue Thiers, tous les départements français avec leurs chefs-lieux, toutes les colonies et comptoirs français d’Outre-Mer : Chandernagor,  Karikal et Mahé, etc. etc. Chandernagor, Karikal et Mahé étaient des comptoirs  français de l’Inde jusqu’en 1951 pour Chandernagor et 1954 pour les deux autres. Et toutes les colonies nombreuses encore sur tous les continents en 1945 et toutes les dates de l’histoire de France qu’il fallait savoir par cœur pour le Certificat d’Etudes. Je m’amusais  avec les ludiques problèmes de robinets qui fuient  et de trains décalés en retard mais j’avais toujours une peur panique de l’orthographe. Je redoutais ce couperet-là : 5 fautes= 0 ! Elimination !

 

On n’entrait en 6e au Lycée qu’après avoir passé un examen exigeant : Autre temps !


De cette année-là, j’ai gardé le souvenir d’une salle enfumée par le feu de bois d’un grand poêle que nous allumions nous-mêmes, d’engelures qui m’empêchaient d’écrire en arrivant de l’extérieur les jours de grand froid, d’une institutrice presque toujours assise qui gardait , le plus souvent, son chapeau sur la tête, du crissement insupportable de la craie sur le tableau noir, des plumes sergent Major avec leurs pleins et leurs déliés sur les cahiers quadrillés, des buvards maculés, de l’odeur sèche persistante de la craie, de celle âcre de l’encre violette dans les petits encriers de faïence blanche et les bouteilles à bec verseur, de la délectable odeur douceâtre  d’amande amère des petits pots métalliques de colle blanche avec leurs pinceaux et  des bouts de bougie avec lesquels nous cirions et lustrions avec énergie nos pupitres noirs tous les samedis après-midi  consacrés à des activités libres.

 

Rangement de nos casiers, nettoyage de la classe, tricotage, couture, lecture, essentiellement. Peu de dessins. Nous manquions de crayons de couleurs.

 

Nous apprenions à compter avec des  allumettes que nous gardions une à une après usage.

Puis ce fut le Lycée Laveran à Constantine de 1945 à 1948.Que dire ? J’y ai très bien travaillé et très bien réussi, avant le Collège de Slane à Tlemcen, de 1948 à 1952, et l’obtention du bac, puis le Lycée Bugeaud en Khagne et la Faculté d’Alger, puis la Sorbonne et l’Agrégation  de Lettres Classiques…  Et à nouveau des Lycées !

 Le Lycée Laveran de mon enfance

 

Distribution des prix 1951 Collège de Slane.Tlemcen.

 

Commentaires (6)
 

1. gozlan lucien Ven 20 Sept 2013

Il serait peut etre bon de placer votre recit sur l Operation TORCH dans la rubrique prevue et demander a monsieur Karoubi d ouvrir une nouvelle fenetre pour le debarquement a Oran pour recuperer peut etre d autres recits, cela serait pas mal et peut etre aussi pour le Maroc..

 
 

2. Roger Ouahnon (site web) Sam 03 Août 2013

Je suis ne a Oran en 1952 et j'avais donc 10 ans au moment du grand depart . Contrairement a beaucoup d'enfants de mon age je me rappelle de tout !. Ma mere qui avait donc 19 ans au moment de la repression contre les juifs a assistee hebahie et heureuse a ce debarquement providentiel . Exclue pendant 2 ans de ses etudes elle avait appris toute seule l'anglais ce qui lui permit de travailler chez les americains et aider sa famille epuisee et qui manquait de tout . Mon pere (qu'elle ne connaissait pas encore) remobilise dans son regiment de zoives deserta l'armee francaise et passa le reste de la guerre a contourner le marche noir en achetant dans des villages isoles les denrees de base et les vendre bien moins cher a la population . J'ai ete emu aux larmes de votre temoignage car il concorde tout a fait avec celui de mon pere et de ma mere ...Apres avoir survecu a cette guerre immonde , ils ne meritaient pas 20 ans plus tard a devoir se rapatrier . Mes grands parents paternels moururent quelques mois apres dans la plus grande detresse . Ma grand-mere maternelle sombra dans la folie chez son fils a Toulouse et mourut 6 mois plus tard . Je suis encore moi-meme traumatise par ce qui s'est passe dans ma tendre enfance ...

 
 

3. Danielle GRUAU-TEBOUL Lun 04 Mars 2013

Madame ,
Votre mémoire et sa mise en mots m'ont ému , tous ces instants qui ont jalonné votre petite enfance trouvent un écho fidèle en chacun de nous.
Merci pour votre style , et aussi pour les éléments précis sur les années 1939-1941. Nous habitions au dessus de la Place des Victoires au Quartier St Pierre , mes soeurs ont été renvoyées de l'Ecole Laurent Fouque , je n'étais pas encore scolarisée.
Je me souviens d'un Noël où les Américains avaient accueilli tous les enfants du quartier. C'était merveilleux , irréel .
Cordialement
Danielle Gruau-Teboul

 
 

4. gozlan lucien Mar 05 Fév 2013

Claude votre temoignage est remarquable. En Israel avec MORIEL nous assurons les te oignages sur l operation Torch a Alger , avec ses survivants de cette nuit du 7 au 8 novembre 1942 ainsi que les descendants en ligne directe qui pourraient detenir des documents de leur parents ou des souvenirs de cette fameuse operationTORCH.
ORAN ainsi que le MAROC etaient egalement les objectifs des allies pour prendre pieds en AFN
Il serait souhaitable de rechercher des documents officiels pour recomposer le puzzle de la resistance oranaise d apres les recits de la famille CARCASSONE et de tous leurs amis de l epoque et de connaitre d un peu plus pres les preparatifs qui avaient ete construits a l avance et qui a malheureusement foire 2 jours avant a cause de cet officier TOSTAIN qui avait cru bien faire d en informer son general commandant de la place a Oran.
Voyer avec monsieur KAROUBI si eventuellement vous pouvez disposer d une rubrique pour votre region oranaise
GOZLAN LUCIEN........pour MORIEL ....en Israel

 
 

5. Feldmann-Chekroun Colette Lun 04 Fév 2013

Merci pour ce témoignage.
Pour ma part j'ai été exclue de l'école maternelle où je ne suis allée qu'un seul jour...
Quelle chance nous avons eue!
Merci encore à nos amis américains.
Colette Feldmann

 
 

6. ariel carciente Ven 01 Fév 2013

Soyez benie du Ciel et toujours en bonne sante.
Merci pour ces temoignages et photos.

 
 

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