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Hommage à Jacques Lazarus par Albert Bensoussan

 

 

À jamais dans notre cœur : Jacques Lazarus

Hommage à Jacques Lazarus

Par Albert Bensoussan

Mon cœur se brise. De ce qui restait de ma vieille Algérie, ce manteau déchiré, ces lambeaux de mémoire, voilà que s’arrache l’ultime effiloche. Jacques Lazarus, le capitaine Jacquel, le grand résistant, le responsable le plus éminent du judaïsme nord-africain au temps des Indépendances, le guide, le mentor, n’est plus. Il nous a quittés ce jour dans sa quatre-vingt-dix-huitième année.

C’était peu d’années après le débarquement des Alliés sur la plage de Sidi-Ferruch, qui avait précédé de trois ans la fin de la 2nde guerre mondiale. Toute une jeunesse juive, frondeuse et résistante, y avait pris une part déterminante. Consciente que notre survie se jouait là. Et la plus grande artère de la ville s’ornait des drapeaux et des prospectus attractifs de Russes et Américains, et nos bras étaient lourds d’images et de belles promesses. Alger était la capitale de la France Libre Le cinéma nous livra enfin les images de ce qui s’était passé. Mon père ne manqua jamais d’emmener avec lui son petit dernier pour applaudir à l’effort de guerre américain, aux exploits maritimes, ou aux déboires des premiers colons de Palestine.

À la faveur d’un de ces films qui retraçaient l’épopée de la Libération — c’était au cinéma « le Paris », dans cette ruelle qui donnait rue d’Isly —, un débat fut ce jour-là organisé et un héros enfin exhibé à notre curiosité et à notre admiration. J’avais une dizaine d’années, et cet homme de taille moyenne, mince, élancé, effacé, aux cheveux noirs ondulés et au regard aigu, qui s’exprimait d’un ton sec, d’une voix de gorge, énergique, sombre, volontiers cassante, avec de surcroît ce timbre français qui jurait avec notre détestable accent local, et ajoutait encore au prestige de l’orateur, cet homme qui s’exprimait à l’invitation de la communauté juive, et qui montrait à l’évidence qu’il en serait bientôt un leader, une voix autorisée, un héraut, cet homme s’appelait Jacques Lazarus. Mais nous le connûmes d’abord sous son nom de Résistance : le capitaine Jacquel.

Et bientôt, aussi, par cette œuvre qui recense son action dans la Résistance : Juifs au combat, Éditions du Centre de Documentation Juive Contemporaine, 1947.

Qui était-il ? Un Juif alsacien, né au sein d’une famille qui avait gardé cette tradition patriotique qui remontait à Alfred Dreyfus, et même avant : le garçon de la famille, l’aîné, irait forcément à l’École de Guerre de Strasbourg et serait officier de l’armée française. Jacques Lazarus y fit, donc, ses classes d’élève-officier, mais les lois raciales de Vichy l’en expulsèrent , le précipitant aussitôt au maquis, dont il fut un membre actif : il participa aux activités naissantes de l’AJ — Armée Juive —, élément essentiel de la Résistance juive en 1942, et mit sur pied, plus tard, le Service Central des Déportés Israélites – SCDI, et il fut un chef de maquis efficace et respecté, un de ces héros que Jean-Pierre Melville (alias Grumbach) saurait, en 1969, mettre enfin en images dans le plus beau film français consacré à cette épopée, L’armée des ombres. Ce combat comportait d’immenses risques et Jacques Lazarus les affronta tous, au point d’être arrêté – sur dénonciation – par les nazis et déporté l’été 1944. Il fit partie de ce « Dernier Wagon » de la déportation, dont on a su fort bien parler Jean-François Chaigneau (Le dernier wagon, Julliard, 1981), où l’on trouvera un émouvant portrait du jeune Lazarus et le récit de son épopée héroïque ; et il partagea, dans ce convoi de la déportation, le destin de quelques personnages qui firent, plus tard, parler d’eux, comme Marcel Bloch-Dassault. C’était peu avant l’effondrement de l’Axe, mais rebelle et résistant à tout crin, Jacques Lazarus n’allait pas accepter ce destin moutonnier : avec quelques compagnons d’infortune, en découpant une trappe dans le sol en bois du wagon, il réussit à s’échapper, avec quelques autres, et à rejoindre son réseau du maquis. Mais plus tard il n’en parlait guère, car il était, comme les vrais héros, profondément modeste et avait, chevillée au corps, cette dignité apprise au combat clandestin, qui le fit à tout jamais détester la gloriole, les honneurs, le récit légendaire, la mise en avant d’un moi vaniteux, toutes ces faiblesses humaines qu’il ne cessa de railler ou de clouer au pilori quand il prit, enfin, la parole dans les colonnes du journal qu’il allait fonder en 1948, sous l’égide du Comité juif algérien d’études sociales (plus tard qualifié par lui de « CRIF algérien »).

Information Juive, le titre dit tout à la fois cette modestie et l’efficacité voulue par le personnage. Jacques Lazarus, envoyé à Alger dès la fin de la guerre afin d’y créer la première école professionnelle de l’ORT, prit aussitôt l’initiative de doter la communauté juive du pays d’un organe de presse. C’était une double grande feuille, d’un format qui resta longtemps le même, sans illustration, en petits caractères, austère donc, mais au message décisif, dont il assura la direction, la rédaction, et même l’impression (plus tard, à Paris où il poursuivit la publication de son périodique, que de fois, lorsqu’on cherchait à le joindre, s’entendait-on répondre : Monsieur Lazarus est à l’imprimerie, et alors, s’il y avait, urgence, il fallait se rendre chez Gelbard où il se tenait invariablement au marbre, veillant avec le plus grand soin à l’impeccable édition de son mensuel). Le siège, à Alger, en était rue Mahon, une venelle de basse Casbah aujourd’hui disparue, en face, presque, de l’Alliance Israélite, rue Bab-el-Oued où nous apprenions l’hébreu et les rudiments de la religion (comment oublier mes maîtres, les rabbins Cohen-Solal l’Algérois et Fergane le Marocain ?). La vieille bâtisse de la rue Mahon abritait le siège du Congrès Juif Mondial, dont Jacques Lazarus fut nommé représentant pour l’Afrique du Nord, ainsi que de la Commission Culturelle Juive d’Algérie qui avait à son actif, outre la publication du journal, la responsabilité d’une émission juive hebdomadaire – talentueusement orchestrée par son beau-frère Hayem Cherki, z’l, car Jacques avait épousé Jeanine, l’aînée du patriarche vénéré Aïzer Cherki -, l’organisation d’une importante bibliothèque juive (où j’ai, un temps, secondé Suzy-Sonia, sa belle-sœur, que la maladie foudroya à l’âge de 20 ans, alors même que je caressais l’espoir, dans ma jeunesse turbulente, de devenir le beau-frère du grand Jacques), et enfin la tenue de conférences régulières qui faisaient intervenir sur notre sol « colonial » des personnalités métropolitaines comme Jules Isaac, Arnold Mandel ou Rabi. Jacques Lazarus n’était certes pas un homme de cabinet et ses fonctions de responsabilité au sein du CJM l’entraînèrent à de constants déplacements, à Alger, à Oran, et dans toute l’Afrique du Nord, où il se saisissait des problèmes de la communauté juive, qui étaient nombreux non seulement dans la réorganisation de la vie juive après la Libération, mais aussi et surtout à partir de 1954, quand débuta la guerre d’Algérie. On se rappellera ses éditoriaux – qui mériteraient assurément d’être réédités -, ainsi que toute son œuvre de journaliste engagé dans cette histoire, et notamment la fin de non-recevoir apportée à l’« Appel de la Soummam », du FLN, invitant la population juive d’Algérie à rallier son combat pour l’Indépendance. Durant ces sept années dramatiques et tragiques, la position de Jacques Lazarus ne varia jamais : les Juifs d’Algérie étaient français de droit, des Français comme les autres, ordinaires et variés dans leurs opinions, et leur voix n’avait pas à s’exprimer sur ce problème avec une singularité particulière. Il était bien fini le temps, pourtant récent, ou le général Giraud refusait d’abroger l’infâme loi de Vichy qui avait collectivement ramené les Juifs d’Algérie à l’indigénat, en s’écriant « Les Juifs à l’échoppe ! », et où il fallut attendre l’arrivée à Alger de son rival londonien, de Gaulle, en 1943, pour recouvrer la citoyenneté légitimement accordée par le décret d’Adolphe (qui portait bien son vrai prénom de Moïse) Crémieux. Jacques Lazarus s’était, entre-temps, totalement, passionnément, identifié à ce judaïsme algérien, lui qui écrivait, dans le basculement historique de février 1961 : « Jamais autant qu’aujourd’hui nous n’avons aussi intensément aimé ce pays ». Aussi en 1962, tout le monde se retrouva-t-il sur le même bateau du « rapatriement ».

Installé à Paris, Jacques Lazarus suivit « sa » communauté juive d’Algérie dans son errance et sa réinstallation. Il créa donc l’Organisation des Juifs Originaires d’Algérie et rétablit, dès 1963, la publication de son journal, qui en devint la voix officielle, Information juive – qui devait plus tard fusionner avec l’organe du Consistoire, Le journal des communautés. (Que de fois montai-je au 4ème étage du 17 rue Saint-Georges, dans le IXème, retrouver le Patron !).Le format était le même, l’esprit aussi, engagé dans la défense des intérêts du judaïsme franco-algérien, puis du judaïsme français tout court. Jacques Lazarus fut sur la brèche jusqu’à l’heure de la retraite — où nous le surprenions encore, de temps à autre, quand nous avions la nostalgie de sa voix, 4 square Auguste-Renoir, dans le XIVème à Paris, où Jeanine, son épouse, qui nous a quittés l’an dernier, l’entourait d’une tendresse et d’un amour qui n’avait jamais varié depuis le temps où le vieil Aïzer conduisit sa fille sous la houppa, à la synagogue des mariages, rue de Dijon, à Alger.

Grâce à lui, les grandes voix intellectuelles du judaïsme s’exprimèrent dans ses colonnes : Emile Touati, Arnold Mandel (qu’il aimait comme un frère et pour qui il avait une indulgente affection, car Arnold était lui aussi un rebelle alsacien), Vladimir Rabi, Claude Vigée dont il aimait tant la poésie qui faisait revivre le paysage de son enfance, tant de noms marquants, et hier encore, à Alger, celle d’Henri Chemouilli, autre rebelle affectionné. C’est lui qui, dès le départ, imposa dans son journal une double page consacrée à la recension des livres (ou des films), car cet homme qui a pu avouer humblement, et à tort, ne pas avoir la plume facile, avait une admiration sans borne pour la culture et l’écriture juive.

Bien entendu, il a été attaqué ici ou là, et une sourde hostilité a pu entourer sa personne, ce dont il a sans doute souffert, bien qu’il ait pu aussi la considérer comme un hommage à son infrangible intégrité. C’était un patron de presse comme on n’en fait plus. Autoritaire, ou plutôt exigeant, et juste, toujours dans le droit fil de la défense de la liberté d’expression et d’un judaïsme militant, original, rebelle – comme l’était toute sa personne —, il détestait certains mots comme « establishment », « arrivisme », « cérémonial», « influences ». Il n’aimait ni les honneurs ni les décorations. On peut justement appliquer à sa personne la phrase qu’il écrivit à propos d’Arnold Mandel : « Les hommages, ce n’était pas son genre ». Et je me dis : qu’aurait-il pensé de ces lignes, aujourd’hui ? Mais Jacques Lazarus, homme d’une infinie courtoisie, portait sur son visage franc, ouvert, souriant, la suprême distinction : c’était un Juste.

Pour moi qui l’ai connu dans ma jeunesse, associé pour ma modeste part aux travaux de « sa » Commission Culturelle Juive d’Algérie, et qu’il avait encouragé à écrire en guidant toujours mes pas vers la défense des valeurs juives (et c’est à lui que je dois de ne m’en être jamais détourné), Jacques Lazarus était « le gardien de l’héritage » (ainsi nommé dans ma dédicace de L’Échelle algérienne). Pour tous les Juifs de France, mais surtout pour nous, Juifs originaires d’Algérie, il reste la plus haute conscience morale. Pour moi, l’homme qui à mes yeux incarne le mieux cette époque algéroise et ces 26 années de mon existence passées au cœur d’Alger-la-dévastée, c’est, Jacques Lazarus. Il restera dans la mémoire juive immensément présent.


Fait en Janvier  2014 

Albert Bensoussan

 http://www.terredisrael.com/infos/albert-bensoussan-jamais-dans-notre-coeur-jacques-lazarus

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