Par Didier NEBOT
a) Les émeutes de l'an 5151 (1391) en Espagne.
Dans la deuxième moitié du 14e siècle, il y eut en Castille une recrudescence d'incitations de l'Eglise catholique et de ses dirigeants à l'encontre des Juifs. Les conséquences douloureuses qui en découlèrent se concrétisèrent en l'an 1391, soit en 5151 de l'ère hébraïque. Le roi de Castille, Don Juan I venait de mourir en 1390 et le souverain qui lui succéda fut Enrique VII, âgé seulement de 11 ans. En conséquence, le pays de Castille fut gouverné par un conseil d'administrateurs, faibles et incapables de faire face au déchaînement des Chrétiens à l'encontre des Juifs qui augmentait de jour en jour.
Un moine de Séville, du nom de Fernando Martinez, fut, profitant de l'impuissance du gouvernement, à l'origine des premières incitations contre les Juifs. Il poussa le peuple au soulèvement et provoqua des émeutes graves contre eux. Fernando Martinez exigea et obtint que les émeutiers ne fussent pas punis. Ces instigations portèrent fruits et le premier Soulèvement eut lieu à Séville, un dimanche, roch hodech, le premier jour du mois de Tamouz d'après le calendrier hébraïque, c'est-à-dire le 4 juin 1391.
Après le sermon à l'église adressé à ses fidèles, ils se dirigèrent tous vers le quartier juif et provoquèrent des émeutes. Vingt-trois synagogues furent incendiées, mises à sac puis transformées en églises. Près de quatre mille Juifs furent massacrés et leurs biens pillés, à la vue de tous, tandis que les gouvernants se tenaient impuissants face à une foule déchaînée. De Séville, les émeutes s'étendirent à d'autres villes. Le 17 Tamouz, elles atteignirent Tolède, puis d'autres villes en Espagne où résidaient des communautés juives dans toute leur splendeur.
De Castille, les troubles et les émeutes se propagèrent dans les terres d'Aragon, de Catalogne et jusque dans l'île de Majorque. Les tentatives des gouvernements de ces pays ou régions susmentionnés qui essayaient d'enrayer la vague des foules délirantes échouèrent dans la plupart des cas. Soixante communautés juives furent presque entièrement détruites. Des milliers de Juifs se donnèrent la mort pour sanctifier le nom de D., d'autres se convertirent, reniant leur religion pour échapper à la mort et épargner leur famille. D'autres, encore, s'enfuirent d'Espagne par la mer en direction de l'Algérie.
b) Intégration des réfugiés de 5151 en Algérie
Le gouvernement algérien accueillit les Juifs à bras ouverts, sachant que ces derniers contribueraient au développement économique du pays. Ils s'installèrent sur le littoral d'ouest en est : à Hounian, Oran, Mostaganem, Ténès, Baréchek et Alger. De même dans les plaines intérieures à : Miliana, Médéa, Constantine, Bougie et Taraz. Dans toutes ces localités existait un peuplement juif, hormis Tlemcen, qui était, à l'époque, la capitale et où les Juifs, en raison de restrictions religieuses établies par les dirigeants musulmans, n'avaient pas le droit de résider. On raconte que c'est seulement grâce au rabbin Efraïm Encaoua, le saint juif bien connu, qu'on autorisa les Juifs à habiter à Tlemcen. Dans la plupart des villes, les Juifs venant d'Espagne s'intégraient bien au sein des communautés locales. Parmi les réfugiés qui arrivaient en Algérie, on comptait de nombreux savants et des gens aisés. Dans toutes les villes précédemment citées, les Juifs d'Espagne firent une forte impression. En effet, ils développèrent le pays du point de vue économique. Ils contribuèrent également au fleurissement spirituel de la communauté juive en Algérie.
Parmi les immigrants, les sages suivants connurent une grande renommée : Rabbi Itshak bar Chéchet, rabbi Chimeon ben Tsémah Duran et rabbi Efraïm Encaoua. Ils transformèrent l'Algérie en un centre important d'étude de la Torah aux XVe et XVIIe siècles. Ce qui motiva les réfugiés juifs à choisir l'Algérie comme abri fut sa proximité géographique par la mer, la stabilité de son régime et le fait qu'avant les émeutes, les Juifs d'Espagne avaient déjà établi des liens commerciaux avec l'Algérie.
Nous possédons certains témoignages décrivant les échanges commerciaux et culturels entre l'Espagne et l'Algérie et inversement, notamment celui du rabbin Astruk Hacohen qui arriva en Algérie avant 1391. Il faisait office de médecin personnel du roi, était commerçant et réputé en tant que décisionnaire (dayan) bénévole en Algérie. Dès l'arrivée des réfugiés érudits en Torah, ils furent nommés décisionnaires, en matière de droit rabbinique et on se soucia de leur obtenir un salaire en contrepartie.
Rabbi Chmouel Halawo épousa une jeune fille d'Algérie, puis le couple partit en Espagne. Cependant, après les émeutes de l'année 5151, il revint en Algérie avec un groupe de réfugiés et s'installa à Baréchek.
Il s'avère que la situation des Juifs du Maroc à cette même époque n'était pas très bonne puisque le rabbi Efraïm Encaoua partit à Marrakech pour approfondir ses études religieuses et fut, au bout de quelques mois, Obligé de revenir en Algérie. Nous comprenons à présent pourquoi, la plupart des réfugiés choisirent de s'installer en Algérie.