1943 → 1962 ma naissance → mon départ
1943 → 1954 ma naissance → les événements
Que me reste-t-il de l'Algérie, de ce pays d'Afrique du Nord où je suis née ?
Très peu de souvenirs de la petite enfance à part les récits familiaux.
Ensuite, les événements comme on disait qui vont rythmer une adolescence et une jeunesse volées.
Après le village de Fornaca (Oranie) où je suis née c'est Mostaganem qui accueille la famille Bellange, Nessim, sa femme Andrée née Moriousef et les filles Danielle et Lydia avant d'accueillir Francis et Jocelyne.
Mostaganem petite ville (70 000 habitants) construite sur un plateau est au bord de la mer dans la baie d'Arzew entre la Macta au nord et au sud la plaine du Chelif.
C'est près de Mosta que vient se jeter le plus grand des fleuves de l'Algérie .
Le Chelif (700 km) traverse les monts de Miliana, du Dahra et ceux de l'Ouarsenais.
Il coloriait la mer d'ocre quand les pluies diluviennes déferlaient en emportant la riche terre rouge du Dahra.
C’est du port de Mosta que partaient les pinardiers emportant dans leurs flancs les vins lourds et très titrés, les primeurs et les agrumes, produits de ce terroir.
L’irrigation due à Philippe Lamour (le même qui a irrigué le sud de la France)
a permis le développement de ces cultures.
La famille Bellange habitait rue Voltaire face à la Glacière Mostaganemoise - lettres noires sur toute la longueur d'un mur chaulé de blanc.
Ah ! la glacière, du haut de notre balcon on vivait à son rythme, à son bruit, à son animation, à ses odeurs.
Au fond, la machine à piler la glace qui mangeait goulûment ces longs pains de glace
posés sur un sac de jute sur l’épaule des hommes.
Au fur et à mesure les camionnettes, les charretiers prenaient leur cargaison et filaient en direction
du port pour maintenir au frais les arrivages de poisson car "Mosta" est aussi un port de pêche.
Je fréquentais l’école "ROSE" ça ne s'invente pas, elle était tout simplement peinte en rose.
Je n’ai pas de bons souvenirs de cette période scolaire.
Nous étions admis mais pas aimés. Nous étions socialement des petits.
Nous ne portions pas de cadeaux à nos maîtresses.
Je dois à Madame Becker d’avoir passé le concours d’entrée en sixième et le CEP (classe où j’avais été reléguée). Merci madame !
Mes parents travaillaient : mon père chez un patron juif qui ne lui faisait pas de cadeau. Ma mère était couturière. Nous étions toujours bien vêtues et ma mère fut sollicitée pour habiller les filles et les mamans, nos voisines. Une clientèle se constituait parmi la famille Evrard, mère et filles. Elles achetaient les tissus et patrons à Paris et revenaient avec les catalogues de mode. A la maison, c’était la ruche ; les essayages, les allées venues, l’atelier (une pièce de la maison) bruissait constamment. Souvent en rentrant du collège, une pièce m’attendait à surfiler, à ourler. Un dernier petit coup de fer ; la robe, le tailleur un manteau disparaissait dans une grande feuille de papier bleu. Ma mère épinglait l’enveloppe avec la petite note et je partais livrer avec les consignes d’usage si on me payait directement.
Déménagement rue Franklin pour un appartement plus spacieux dans l'immeuble Pineda comme il était d'usage à l’époque de donner le nom du maître d’œuvre.
Changement de cadre de vie. Nous sommes en ville nous dominons le parc, la mer, la caserne des tirailleurs. Nous sommes face à la "maison du Colon" près du Prisunic et du marché.
A chaque marché, nous revenions avec un morceau de Calandica (Socca à Nice) enveloppé dans du papier journal. C’était chaud, c’était gras, c’était bon.
Le dimanche on s’habillait chic, on mettait du Sent Bon comme disait mon père et direction les arcades.
L’endroit où l’on faisait le boulevard où tout le monde allait et venait.
Certains avec son paquet de chez "Lesauvage" célèbre pâtissier de Mosta.
Sur la grande place, l'immense église toute blanche trône, entourée d’arcades où se trouvent les cafés
Aknin et Hagay où les hommes se rassemblent. Parmi eux, mon grand-père Joseph Moriousef.
Après une dernière anisette, il s’en va de son pas pressé descendre les monumentaux escaliers
qui mènent au quartier de l’Avenue Raynal, où vivent les familles Mamain-Medioni-Adida-Monsonego et Moriousef.
La maison des grands-parents maternels est en rez-de-chaussée, grande en forme de U,
avec une cour ouverte dans le fond.
Il y avait deux cuisines ; ce n’était pas de trop pour accueillir neuf enfants, gendres,
belles-filles et petits-enfants pour fêter autour du patriarche Roch Hachana, Yom Kippour, Pessah où les enfants bien repus dormaient pendant que les hommes lisaient la HAGADAH jusqu’au bout du bout,
Yom Kippour c’est l'heure tardive à laquelle arrivait le rabbin pour égorger nos volailles. Il faisait tournoyer les volatiles sur nos têtes avant de les tuer et les faire disparaître
sous la grande lessiveuse en zinc. Après son départ et quelques pièces (nos rabbins n’étaient pas riches) nous voici tous à plumer – nettoyer – vider – Yom Kippour ce n’était pas la fête !
La Hilloula ! Oui ! J'en garde un souvenir intact. Nous partions tous au cimetière qui dominait la ville. Un grand et beau cimetière. Le long des allées, des marchands qui vendaient du bazar. Nous avions droit une petite bague bleue. Nous descendions femmes et enfants à l’endroit où reposaient les "saints" sous la pierre chaulée de blanc. Et là, pieds nus, une bougie à la main et en arrière nous cheminions à travers ce sanctuaire avant d’allumer notre veilleuse. Place aux hommes qui à leur tour arrivaient. Ils étaient précédés d’un orchestre oriental. Ils dansaient, chantaient et nous arrosaient d'anisette.C’était une belle fête pour nous les enfants. Avec le recul c’était païen.
J'ai peu de souvenirs de la grande synagogue de Mosta édifiée en 1848, inaugurée en 1857.
Elle accueillit1 Napoléon III en 1865
Une anecdote circule dans la famille maternelle. Les SOUSSAN étaient orfèvres et auraient prêté leur argenterie pour recevoir dignement l’empereur…
Toutes les fêtes familiales se déroulaient dans les maisons et non pas la synagogue. xxx.
Les événements vont obliger la communauté à la fermer à cause de son emplacement dans le quartier musulman. La nouvelle synagogue est petite, moins solennelle, plus accueillante. Le rabbin MARCIANO la dirige et sa femme mène sa chorale vocale et instrumentale d'une main experte.
Nous chantions partout, à la synagogue pour les offices, dans les maisons pour les heureux événements.
J’étais soliste ce fut un épisode heureux de mon adolescence. Je me surprends à fredonner certains airs et pendant ces moments-là je suis là-bas chez moi. Nostalgie.
Maintenant les femmes ne peuvent pas chanter dans les synagogues.
Les temps changent pas toujours en bien.ooo
Il faisait chaud dans mon pays, très chaud. L'été pendant huit mois la famille Bellange s’installait à Petit Port station balnéaire dans le Dahra. Mon père suivait son nouveau patron et sa famille. Monsieur Evrard était Colon et conseiller général. Mon père était son chauffeur, son homme de confiance. Monsieur Evrard regagnait ses terres et ses vignes ; il était normal pour lui que nous le suivions.
Nous avions une villa prêtée par le patron entre mer et forêt. Tout un été de liberté, de baignades, de matchs de hand-ball, de siestes (soi-disant) sous les pilotis des cabanons, de pédalo, de périssoire, de hors-bord (celui du patron) et de pêche aux oursins sur la barre rocheuse.
La fête du village avec son mât de cocagne (bien savonné par mon père), son lâcher de canards et d'oies sur l'eau. Et moi serveuse chez PESSERAN (le café) et ma sœur serveuse chez Taquinelli (le deuxième café) pour prêter main forte. Les fêtes de village en Algérie, des moments forts, nous avons vu les grands orchestres comme Georges Jouvin – Ray Ventura, même Ray Charles à ses débuts.
De gros nuages viennent envahir notre vie et nous allons commencer à vivre avec la peur.
L’inquiétude est présente : mon père et son patron sont armés pendant leurs déplacements, ils sont visés ;
le patron est une "grosse légume" comme on disait FLN - OAS - l’escalade, les opérations, le maquis, le couvre-feu, les militaires (trois ans d’armée) tous dans le même sac. Pâtosses et pieds-noirs.
La rébellion, le putsch, les gardes mobiles, à nouveau l’escalade.
La vie est moche, il y a des morts et des blessés. Ce sont des attentats.
Tout un nouveau vocabulaire dans notre vie de jeunes.
Tout est danger, aller à l’école, aller travailler.
L’angoisse diminue le soir quand tout le monde est à la maison.
Tout est hermétiquement fermé (couvre-feu oblige à 18h).
Certains soirs une ou des explosions. Où ça ? Des fois dans notre rue ; pourquoi la blanchisserie ? L’immeuble en face ? Autant de questions sans réponse.
Certains soirs tout l'immeuble montait sur les terrasses et c’est tout Mostaganem qui raisonnait des bruits "Algérie française" que nous tapions en scandant sur nos couvercles de faitout.
On était content, on avait agi.
Mais dans le quartier arabe de TIGDITT les youyous nous répondaient…
Et la peur, présente, muette.
Et puis l’espoir De Gaulle arrive à Mostaganem des milliers de gens l'attendent tous mélangés sur l’esplanade somptueuse de la mairie, où trônait son monument aux morts "morts pour la France".
Il est là sur le balcon et il discourt longuement, la foule applaudit, hurle et quand nous l’entendons dire
L'ALGERIE RESTERA FRANCAISE c'est du délire.
Nous y étions avec nos drapeaux hurlant, chantant une marseillaise vibrante.
(en Algérie tout le monde chantait la marseillaise).
En rentrant à la maison nous avions changé, l'avenir avait changé, nous allons rester.
Le soir après avoir raccompagné son patron mon père dit à ma mère "Andrée nous allons partir c'est Mr EVRARD qui m'a dit "Mr BELLANGE préparez votre famille au départ".
Le 2 juin 1962, nous sommes à la SENIA aéroport d'ORAN, chacun avec un numéro ma mère ses 4 enfants ses parents quelques valises. Mon père reste encore.
Ce même jour, nous atterrissons à MARIGNANE aéroport de MARSEILLE FRANCE.
Secours catholique, sandwichs au fromage, les scouts nous dirigent vers la GARE SAINT CHARLES direction Montpellier. Il est minuit.
Deux taxis nous prennent en charge et nous tapis, au fond du véhicule nous traversons Montpellier, la place de l'OEUF avec son animation de sortie de cinémas. Et nous nous disons "Ils sont fous, c'est le couvre feu."
Nous arrivons, chez de la famille, rapatriée elle aussi, et qui ne nous attend pas.
Minuit le 3 juin 1962 une autre vie attend la famille BELLANGE.
Ma soeur aînée vit au CANADA depuis 1965.
La famille EVRARD quittera l'ALGERIE pour le BRESIL. MEKTOUB.
MEMOIRE SEPHARADE.
Pour écrire ces pages, je n'ai pas fouillé ma mémoire ; les souvenirs sont présents ils se dévident comme un cocon de soie.
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Lydia SABBAN née BELLANGE
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AVIGNON VAUCLUSE
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xx Exemple. En 1960, année de la bar-mitsva de mon frère, après la cérémonie, toute la famille se réunissait à la maison. On se casait comme on pouvait. Les repas étaient faits maison ; sœurs et belles-sœurs venaient prêter ma forte. Les feuilles de brick était fabriquées sur le cul de la bassine en cuivre. Les oranais les relizanais ceux qui venaient de loin était logés chez la famille proche ; les filles ensemble ; on dormait tête-bêche comme des sardines ; c’était la grande réunion familiale. On avait un pick-up et on chantait avec PAUL ANKA les PLATTERS, et nos chants de tradition avec ma grand-mère Diamante.
ooo C’est pendant cette époque là que les EI furent créés. Nous étions Danielle et moi éclaireuses, nous étions scouts avec toutes les activités inhérentes à ce mouvement. Buisson Ardent était notre chef régional. Ce fut bref mais bon.