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Tlemcen, le kiosque à musique au centre ville
Médéa : rue Gambetta (1945)
Alger : rue d'Isly (1930)
Une oasis à Ouargla (Territoire du Sud algérien)
La Grande Poste d'Alger (Photo J.P. Stora)
Square Bresson
Lycée E.-F. GAUTIER D'ALGER
Service Alger - Bouzareah
Alger : le marché de la place de Chartres
MEDEA - Le Café de la Bourse
Guyotville - La Plage

Cela faisait plusieurs jours que je sillonnais la ville de Constantine, avec l'espoir de retrouver au hasard de mes promenades, quelques éléments qui m'étaient familiers.

Comme quinze ans s'étaient écoulés depuis notre départ, j'avais totalement renoncé à l'idée de croiser un parent, un ami proche, ou à défaut une de mes connaissances. Mais, ce n'est pas là mon propos, et je raconterai ailleurs comment cela finit par advenir de façon fort surprenante, sous une des formes les plus inattendues.

Essayons de nous limiter ici à deux éléments faisant l'objet de mes recherches, qui comme assez souvent avec moi, deviennent vite quasi obsessionnelles.

En premier lieu, il me fallait à tout prix, trouver une assiette de Gnaouias.

Les Gnaouias sont ces légumes que ma mère inscrivait au menu du jour ; et quand elle le faisait, c'était comme un repas de fête, car elle savait donner à ce plat une saveur telle que nous nous en raffolions tous. Dire que ce sont des sortes de gombos donne une piètre idée de ce qu'ils représentent dans mon album de souvenirs. Je n'aurais jamais osé contester à mon grand-père Henri la première place parmi les adeptes de Gnaouias, mais depuis qu'il n'était plus de ce monde, cette place de choix me revenait tout naturellement.

Aucune de mes recherches pour m'en procurer n'aboutissait, et pourtant je ne me décourageais pas. Les personnes que j'interrogeais me conseillaient d'attendre que le ramadan débute, car en cette occasion on verrait apparaître toutes sortes de plats absents le reste de l'année.

Un jour dans un restaurant, une fausse joie s'empara de mois. Lorsque je demandais, dans un arabe approximatif, au serveur s'il y avait au menu des Gnaouias, il répondit par l'affirmative. Je me léchais déjà les babines pensant que j'allais à nouveau pouvoir déguster ce plat qui avait dans mon enfance rempli mon palais de plaisirs si difficiles à retrouver par la suite. Quelle ne fut pas ma déception de voir arriver un plat de viande qu'aucun légume n'accompagnait. J'appelais le garçon qui ne comprenait pas mes réclamations car pour lui j'avais commandé de la Guenouna ; il était donc normal que l'on m'ait servit un plat de lapine.

Ce quiproquo me donna l'occasion de raconter cette petite histoire au patron de l'hôtel où je logeais, sans autre intention que de partager avec lui ce genre de mésaventures qui ne porte pas à conséquences. Et c'est avec une joie mêlée de surprise, que j'entendis deux jours plus tard frapper à ma porte. Comme elle n'était pas fermée, je dis tout simplement : Entrez ! La porte s'ouvrit et je vis passer le seuil un énorme plateau où trônait un plat de Gnaouias et sous lui mon hôtelier .

Nous nous assîmes tous les deux face à face ; des sirènes avaient à l'instant même annoncé la rupture du jeûne, mais je fus le seul à me délecter car on me fit bien comprendre que la nourriture offerte était à moi seul destinée.

Le deuxième motif de mes recherches était encore plus introuvable. Il s'agissait d'un jeu d'échec, ou plus exactement d'un adversaire avec qui j'aurais pu jouer à ce jeu, jeu pour lequel j'avais encore à l'époque un faible fortement prononcé. J'aurais aimé trouvé un alter ego, quelqu'un ni trop fort ni trop faible pour moi, une personne avec qui j'aurais pu tester l'une ou l'autre des ouvertures que je maîtrisais alors à merveille. A vrai dire, comme personne ne se présentait, n'importe qui aurait fait l'affaire. Ah, si j'avais eu un penchant pour les dominos ou le jacquet, je n'aurais eu que l'embarras du choix. On ne voyait pas de femmes mais des hommes attablés sur les terrasses des cafés ou le perron des magasins, uniquement des hommes qui enchainaient partie de dominos sur partie de dominos. Un bruit sec le plus souvent accompagné d'un cri triomphal. C'est ainsi que chaque joueur abattait ses pièces sur la table. Tout était fait pour attirer l'attention du passant. Mais je les laissais à leur occupation interminable et poursuivais ma marche, sans jamais m'attarder à jeter un regard même distrait sur le jeu des uns ou celui des autres.

En fin d'après-midi, alors que je regagnais ma chambre d'hôtel, en descendant comme d'habitude, la rue Clémenceau, que je m'entêtais toujours à appeler par son ancien nom la rue Nationale, j'eus le pressentiment que quelque chose d'inhabituel allait se produire. Et en effet, j'aperçus de loin deux enfants assis sur le pas de la porte d'entrée d'un immeuble autrefois cossu, à présent d'apparence rustique. M'approchant d'eux, je fus surpris de voir qu'ils jouaient aux échecs. Le plus jeune des deux, un petit brun à la tignasse drue, me parut assez vite être le plus fort des deux et cela ne déplaisait pas à un autre jeune homme qui de haut surveillait avec une attention soutenue chacun des coups joués. Je me tenais à ses côtés et bien que le voyant de biais, je compris assez vite quel lien de parenté le liait au champion en herbe. Ce petit bout d'homme montrait déjà tout ce qu'il maîtrisait dans sa façon de prendre le temps de la réflexion, et à son terme sa manière de déplacer les pièces en disait long sur son assurance. Néanmoins, à un moment clef de la partie, il ne vit pas le coup qui lui aurait permis d'arriver plus vite à la victoire. J'attendis la fin de la partie pour le lui faire remarquer. Ce qui l'amena tout naturellement à me proposer une confrontation.

Je ne sais s'il était fatigué, ou si mes remarques l'avaient impressionné, le fait est qu'au bout d'une dizaine de coups, il se retrouva dans une situation délicate, une de celles qu'il est difficile, voire impossible de retourner. Et cela ne fit qu'empirer pour lui, jusqu'au mat final. Au terme de cette partie, le grand frère me proposa de revenir le lendemain pour offrir à son cadet la possibilité d'une revanche. J'acceptai, tout en sachant que l'affrontement serait à nouveau déséquilibré, et risquait de provoquer chez mon jeune adversaire la répétition d'une déception.

Le lendemain, à l'heure dite, je me présentai devant leur domicile. Cette fois, on me pria d'entrer, ce que je fis sans craindre de les gêner à une heure si proche du déjeuner car je me doutais bien qu'ils respectaient le ramadan, et qu'en cette période de l'année, ils sautaient le repas de midi. Posé sur la table de la cuisine, il n'y avait d'ailleurs rien d'autre que le jeu d'échec. Comme promis, nous devions jouer. Le seul avantage que je concédais à mon jeune rival fut de lui céder les blancs, et donc à lui de commencer la partie. Comme il avait choisi une ouverture classique, les échanges furent brefs, et la partie se termina rapidement, à mon avantage.

Dès le mat prononcé, la porte de la cuisine s'ouvrit et je vis entrer une femme et une jeune fille, probablement la mère et la sœur des deux frères.

La première tenait au dessus de sa tête un plateau sur lequel étaient posés tous les ingrédients pour composer un couscous au beurre. La seconde m'apportait les couverts qui allaient me servir à le consommer. Et c'est au moment où j'observais leur marche gracieuse vers moi, que me vint l'idée de scruter au delà de leurs pieds nus avançant avec délicatesse sur le sol, le parterre lui-même et plus précisément, le carrelage dont il était revêtu.

Ce carrelage, comme dans un flash lumineux me rappela une image que j'avais enfant gravée dans ma mémoire. A l'âge de huit ans, âge où on a encore les yeux près du sol, mes parents m'avaient emmené avec eux chez ma grand tante, Gilette Guedj pour une visite de circonstance certainement malheureuse tant elle fut courte ; ce dont je me souviens soudain c'est de la forme et de la couleur de ces carrelages que j'avais regardés fixement vingt ans auparavant ne sachant pas quoi faire d'autre. Et l'échiquier que formaient ces carrelages était là maintenant, vingt ans après, devant mes yeux.

Madame Guendouz me confirma rapidement que l'immeuble qu'ils avaient transformé en hôtel et les quelques pièces attenantes où ils habitaient avaient bien appartenu à des gens nommés Maurice et Gilette Guedj.

Je ne lui demandais rien, mais elle crut utile de se justifier en affirmant que l'acquisition avait eu lieu en bonne et due forme, devant notaire, ce que me confirma ma tante Gilette à mon retour.

Je me dois de signaler aussi qu'à mon retour, je rendis visite à une des filles Guendouz hospitalisée à Paris. Je répondis également à la demande de mon hôtelier de lui envoyer quelques exemplaires du magazine Détective, censuré alors en Algérie.

Je n'ai jamais cherché à savoir si le plus jeune des Guendouz avait fait carrière dans le fameux club de joueurs d'échecs de Constantine, mais je me plais à croire qu'il a lui-aussi gardé un bon souvenir de notre rencontre, en août 1977.

 

El-Beze Marc Eliahou, le 24 août 2022, Avignon

 

Commentaires   

0 # Maugery 25-08-2022 20:08
Joli pèlerinage où les pensées les images et les sensations s’entremêlent…. comme des arabesques:
Le destin y a sa part puisque c’est l’une des passions de mon ami Marc,le jeu d’échec , qui va le conduire dans un appartement de son enfance …. De frêles chevilles de femmes vont conduire son regard et sa mémoire affective vers le carrelage dans un contraste d’émois érotiques,de reflets et de lumière
Le plat de gnaouias courtise bien nos sens, ma mère aussi les cuisinait admirablement ,
Je sens encore leur fumet ,leur couleur d’un vert sombre vernis, le léger picotements sous la langue…
Merci Marc
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