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Bienvenue sur le site de l’association MORIAL

Notre objectif : sauvegarder et transmettre la mémoire culturelle et traditionnelle des Juifs d'Algérie. Vous pouvez nous adresser des témoignages vidéo et audio, des photos, des documents, des souvenirs, des récits, etc...  Notre adresse

 e-mail : morechet@morial.fr -  lescollecteursdememoire@morial.fr

L’ensemble de la base de données que nous constituons sera  régulièrement enrichie par ce travail continu de collecte auquel, nous espérons, vous participerez activement.  L'intégralité du site de Morial sera déposée au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) à Paris, pour une conservation pérenne .

Tlemcen, le kiosque à musique au centre ville
Médéa : rue Gambetta (1945)
Alger : rue d'Isly (1930)
Une oasis à Ouargla (Territoire du Sud algérien)
La Grande Poste d'Alger (Photo J.P. Stora)
Square Bresson
Lycée E.-F. GAUTIER D'ALGER
Service Alger - Bouzareah
Alger : le marché de la place de Chartres
MEDEA - Le Café de la Bourse
Guyotville - La Plage

LA RESISTANCE JUIVE ALGERIENNE

La défaite de Juin 1940 accable la France ; c'est l'écroulement, le naufrage.

Dès son offensive, le 10 Mai 1940, l'avance de la Wehrmacht fut foudroyante. La Hollande et la Belgique furent envahies en quelques jours. L'armée hollandaise capitula le 15 Mai, l'année belge le 25 Mai. Le corps de bataille français dépassé, encerclé, disloqué, ne put livrer que des combats sans autre issue que sa destruction.

Début Juin, la bataille était perdue. Le 10 Juin, l'Italie fasciste de Mussolini qui s'était abstenue de s'engager dans le conflit, déclare la guerre à la France et à l'Angleterre et attaque sur tout le front sud-est français. Le gouvernement de la France présidé par Paul Reynaud s'était replié à Bordeaux le 14 juin, apis la formation, le 6 juin, du dernier gouvernement avec le Maréchal Pétain âgé de 84 ans, comme Vice-président du Conseil et Ministre d'État.

Les Britanniques achevaient le rapatriement de leurs troupes et les quatre dernières
divisions anglaises se dirigeaient en toute hâte vers les ports pour regagner la Grande- Bretagne.

L'Empire français et la flotte française intacte auraient pu donner à la France la possibilité de continuer le combat aux côtés des Anglais. Hélas, le gouvernement choisit la capitulation, répondant en cela aux vœux d'une bonne partie de la population,

Le 17 Juin 1940, le Maréchal l'étain à qui avait été confié la constitution d'un nouveau
cabinet, s'adressait aux Français en ces termes: "C'est le cœur serré que je vous dis aujourd'hui qu'il faut cesser le combat, je me suis adressé cette nuit à l'adversaire pour lui demander s'il est prêt à rechercher avec moi, après la lutte et dans l'honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités."

Le lendemain, 18 Juin 1940, le Général de Gaulle lançait de Londres son premier appel à la radio, message d'espérance pour tous ceux qui n'acceptaient pas la capitulation et plus particulièrement pour les Juifs.

Les conditions imposées par l'Allemagne dans le fameux wagon de 1918, au Carrefour de Rethondes, étaient écrasantes pour la France. En présence d'Hitler, le Général Keitel donna lecture de ces conditions : la France sera séparée en deux zones.

L'une représentant les deux tiers du pays, sera occupée par l'Allemagne ; l'autre zone, dite zone non occupée, au sud de la Loire comprendra le Massif Central et le Midi. Des commissions d'armistice veilleront à l'application de toutes les clauses imposées par le vainqueur.

On est à remarquer que les Allemands ne demandaient pas que la flotte leur soit livrée, mais désarmée, de même que l'aviation. 11 est certain que si l'Allemagne avait exigé leur livraison, cela aurait pu pousser certains équipages à continuer le combat outre-mer.

Cette tolérance ne fut donc pas un geste généreux, mais une manœuvre calculée, Comment ont été ressentis ces événements en Afrique du Nord ?

A Alger, Tunis, Rabat, les élus et une partie de la population n'envisageaient pas d'autre possibilité que la poursuite de la lutte. Par l'intermédiaire de leurs consulats, les Anglais demandèrent aux trois Gouverneurs Généraux ou Résidents de continuer le combat aux côtés de l'Empire Britannique.

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Dans sa lettre du 18 Juin à Pétain, le Générai Noguès, Commandant en Chef le théâtre d'opération en Afrique du Nord concluait : "Permettre à l'Afrique du Nord de se défendre, c'est entreprendre dès maintenant, le redressement de la France".

De Gaulle, de Londres, fit des offres de service à Noguès. Celui-ci ne répondit pas.

Au fil des jours, cependant, le doute commence à s'insinuer dans les esprits. A Tunis, l'Amiral Estera tourne casaque. Le ministre de l'intérieur de Pétain ordonne que les agents consulaires de Grande Bretagne soient "mis dans l'impossibilité de faire de l'agitation et du recrutement."

Le 22 Juin 1940, sous la pression de Laval, la soumission totale à l'Allemagne était accomplie.

Cependant, en Angleterre et dans l'Empire Britannique, la détermination de combattre demeurait absolue. Craignant que la flotte française ne tombe aux mains des Allemands, une flotte anglaise commandée par l'Amiral Sommerville se présentait, le 3 Juillet à l'aube, devant la rade de Mers-el-Kebir près d'Oran en Algérie. C'est dans cette base navale qu'une grande partie de la flotte française était venue mouiller pour y désarmer.

Après le rejet par l'Amiral Gensoul des quatre solutions proposées par les Anglais pour mettre les navires français hors de portée de l'Allemagne, l'escadre britannique ouvrit le feu et envoya par le fond la plupart des bâtirent. Seul le cuirassé Strasbourg réussit à s'échapper, Après cette opération qui fit 1.300 morts et 340 blessés parmi les marins français, le Maréchal Pétain rompit officiellement, le 4 Juillet, les relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne. Dès lors, le fossé se creusa rapidement entre les deux pays.

Les réfugiés politiques, les Juifs allemands furent traqués sans pitié et livrés aux autorités allemandes sur l'ordre du 7 Juillet de Laval.

Le 11 Juillet, à Vichy, étaient proclamés les articles donnant naissance au nouvel Etat Français, calqué sur les états d'Allemagne et d'Italie. Les nouveaux actes constitutionnels faisaient de Pétain le chef de l'état. Pierre Laval était officiellement désigné comme son successeur, Tout était en place pour ce qu'il fut convenu d'appeler "La Révolution Nationale". 

Cette rapide reconstitution des évènements m'a paru nécessaire pour la compréhension de la situation à laquelle se trouvaient confrontés les Juifs, en Algérie notamment. Le territoire algérien n'était pas occupé par les Allemands, mais des commissions d'armistice allemande et italienne siégeaient en permanence à Alger,

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EN ALGERIE

Dès l'armistice de Juin 1940, les populations d'Afrique du Nord furent prises en main par le gouvernement de Vichy. Après l'acceptation morose de la défaite et la soumission aux vainqueurs, le culte du Maréchal s'était instauré et le nouveau mode de vie reçu avec ferveur. L'Amiral Abrial, mis à la tête de l'Algérie au nom du Maréchal, met sur pied la Légion des Combattants, unique association d'anciens combattants et instrument de diffusion de la "mystique maréchaliste". Les Juifs, bien sûr, en sont exclus.

Dès les premières semaines qui ont suivi sa création, la Légion s'est vu confirmer une mission : surveiller les adversaires du régime.

En Octobre 1940, le Général Weygand est nommé Délégué Général pour l' Afrique Française par le Maréchal Pétain. Peu après son arrivée à Alger, les premières lois raciales sont promulguées.

- le 3 Octobre 1940: Publication du Statut des Juifs.
- le 7 Octobre 1940: Abrogation du décret Crémieux, signée par le Maréchal Pétain.

Il faut rappeler que le décret Crémieux, promulgué en Octobre 1870, avait attribué la
citoyenneté française à tous les Juifs algériens.

Il est à noter que les mesures anti-juives françaises furent prises par le gouvernement de Vichy en dehors de toute contrainte. Les autorités françaises allant, comme en d'autres tragiques circonstances, au-devant et au-delà de ce que les Allemands auraient pu souhaiter.

Les Juifs d'Algérie ont alors l'obligation de se déclarer comme Juifs. La mention "Juif Indigène" est apposée sur leur carte d'identité. Ils ne peuvent plus être fonctionnaire de l'Etat; l'exercice de la plupart des professions leur est interdit; des administrateurs sont nommés à la tête de leurs entreprises et leurs biens; un numérus clausus très strict limite le nombre des élèves juifs dans les écoles, les lycées et les facultés. Plusieurs sont arrêtés et internés aux camps de concentration de Bossuet, Boghari, Berrouaghia, Djenien-Bou- Rezg, Méchéria, etc.

Les détenus sont livrés à des tortionnaires et beaucoup succombent aux sévices qui leur sont infligés. Les vitrines des magasins appartenant à des Juifs sont brisées la nuit, à coups de pavés. Ceux qui viennent encore s'asseoir aux terrasses des cafés sont parfois insultés, giflés, chassés, les patrons des brasseries mis en demeure de refuser de les servir.

Vichy avait rabaissé les Juifs d'Algérie à une condition inférieure à celle d'avant 1830.

Habitués de longue date au climat antisémite qui les environnait depuis 1884, les Juifs d'Algérie sentent que cette fois, c'est plus grave car ils ne peuvent compter sur un soutien minimum des autorités. Cependant, contrairement à ce que l'on pourrait croire, la population musulmane s'est montrée en l'occurrence moins hostile que certains Français d'Algérie. Il est bon de rappeler qu'un général français, le général François, avait contacté des truands musulmans et leur avait proposé "trois jours francs de meurtre et de pillage", mais la réponse arabe cingla le général François : "Si vous avez une mauvaise action à commettre, faites-la vous-mêmes".

"Mis à la porte de leur nation, 130.000 Juifs algériens campent désormais dans leur pays" comme a pu l'écrire notre cher et regretté ami Henri Chemouilli dans son livre "Une diaspora méconnue". Des milliers de personnes perdent leurs moyens d'existence, les enfants sont renvoyés des écoles et jetés à la rue. Discriminés, menacés pour leur vie et pour leurs biens, que pouvaient-ils faire ?

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Quelques uns parmi les jeunes pensent à partir, à quitter le pays pour Gibraltar, s'engager dans les Forces Françaises Libres pour continuer le combat. C'est une voie qui m'a tentée et avec quelques camarades, dont le fils du général Tubert et deux élèves de l'école de navigation d'Alger, nous avons commencé à préparer notre évasion. Nous voulions utiliser pour cela un bateau que mon père possédait et qui était ancré au Club Nautique du port d'Alger. Mais son moteur avait dû être démonté car aucun bateau particulier n'était autorisé à sortir du port avec son moteur.

Seuls les bateaux de pêche pouvaient le faire. Le but de la manœuvre était donc de faire sortir le bateau du port, à la voile et de rejoindre un petit cabanon que nous possédions à la Pointe Pesade, sur la côte, à une douzaine de kilomètres à l'ouest d'Alger. Là étaient stockés le moteur et des vivres. Malheureusement,
dénoncés aux autorités, nous avons été arrêtés par l'inspecteur principal Bègue, envoyé spécialement de Vichy avec son équipe, pour lutter contre les velléités de résistance à Alger. Grâce aux précautions que nous avions prises, nous avons été relâchés, faute de preuves, 48 heures après, mais cela mit un point final à notre projet de rejoindre Gibraltar.

Ce n'est que plusieurs semaines plus tard que, contacté par des amis qui eux aussi étaient obsédés par le désir de "faire quelque chose", j'ai pu m'associer à un autre projet qui devait prendre corps pour aboutir plus tard à la participation active au débarquement allié du 8 novembre 1942 en Afrique du Nord.

LA SALLE GÉO GRAS

Début 1941, deux amis demandent à nous parler, à mon père et à moi. Ils viennent nous voir aux bureaux de notre entreprise, rue Jenina à Alger. Ce sont deux anciens de la L.I.C.A. officiellement dissoute par le Gouvernement de Vichy, deux amis de longue date, depuis les terrains de football où jouait l'E.S.A., l'Etoile Sportive Algéroise, une équipe juive dont mon père était le vice-président, et les bagarres qui nous avaient opposés à la bande antisémite d'Henri Coston. André Temime et Emile Atlan, puisqu'il s'agit d'eux, nous font savoir qu'ils ont l'intention de créer une salle de sport à Alger et nous demandent ni nous voulons participer avec eux à cette création.

Ils nous disent qu'avec deux autres camarades, Jean Gozlan et Charles Bouchara (Mickey), ils disposent de l'ancien local des Auberges de Jeunesse, Place du Gouvernement et qu'après certains travaux d'aménagement, il serait possible d'en faire une belle salle d'entrainement pour la jeunesse juive d'Alger. Ils nous laissent sous-entendre que cette salle pourrait aussi devenir le centre de rassemblement de tous ceux qui, dans la communauté juive d'Alger, pensaient qu'il valaient mieux se battre le moment venu et peut-être mourir une arme à la main plutôt que de finir dans un camp d'extermination.

Nous acceptons avec enthousiasme et mon père, grand mutilé de la guerre 1914-1918, offre de prendre à sa charge tous les travaux nécessaires à la transformation du local. Ce sera notre contribution à l'œuvre commune.

Il nous fallait également trouver une "couverture"; en effet, une salle de sport dirigée par des Juifs aurait été extrêmement suspecte aux autorités vichystes.

André Temime connaissait un ancien boxeur, bon catholique, moniteur d'éducation physique et pompier auxiliaire, du nom de Géo Gras. Celui-ci, sans se douter de rien, accepte de prendre à son nom la direction sportive de la salle d'entrainement qui devint la "Salle GÉO GRAS".

Vaste, claire, bien aménagée avec un ring de boxe, des agrès de toutes sortes, la salle fût fréquentée par de nombreux athlètes de renom : Roland Coureau, ancien challenger de Marcel Cerdan, Albert. Ayoun ex-champion d'Algérie de boxe poids lourds, quelques boxeurs professionnels et amateurs s'y entrainèrent.

Une section d'escrime tut également créée, dont j'eus la responsable car, pratiquant ce sport depuis de longues années, j'avais remporté quelques compétitions au fleuret.

Un 'mitre d'armes, Maître Gomis donnait régulièrement ses leçons. L'entrainement était très assidu et la Salle Géo Gras put se payer le luxe d'avoir des finalistes en 2e et 3e position aux championnats d'Algérie d'escrime: Emile Bismuth à l'épée et Paul Sehaoun au fleuret. L'ambiance au cours de ces compétitions avait été très tendue.

Le milieu de l'escrime était profondément Pétainiste et antisémite, snob de surcroit. Voir deux Juifs, en pleine "Révolution Nationale", oser se présenter à ce championnat dans les salles de l'hôtel Aletti était un vrai scandale! Ce n'est que grâce à l'intervention de deux amis fidèles non-juifs, parmi les dirigeants de la Fédération d'Escrime que nous avons pu nous maintenir en compétition.

Cependant, l'ambiance générale de l'assistance était tellement haineuse que nous avons demandé à nos camarades de la Salle Géo Gras de venir
contrebalancer ce climat.

Les finales devaient se disputer dans l'après-midi. Vers 14 heures, on vit entrer en file indienne, une quinzaine de camarades dont l'allure athlétique et décidée ne laissait aucun doute sur l'attitude qu'ils sauraient avoir en cas de besoin, Cela suffit à calmer la galerie sans diminuer pour autant la hargne de nos adversaires sur la piste.

Seuls les tireurs italiens manifestèrent à notre égard un fair-play qui nous étonna. Tout ce mouvement contribuait efficacement au camouflage de nos activités secrètes. 

La salle Géo Gras devint rapidement le lieu de rendez-vous et de préparation des évènements à venir. Cependant, si nous savions pourquoi nous nous réunissions et entraînions la jeunesse juive à Alger, nous n'avions pas encore d'objectif bien précis.

Afin d'entretenir le moral des camarades, des équipes étaient désignées pour peindre la nuit des slogans gaullistes et des "V" avec Croix de Lorraine sur les murs de certains immeubles en ville. Nous étions organisés en petits groupes de quatre, déguisés en Arabes avec blouses grises et chéchias, circulant illégalement dans de vieilles autos appartenant un ami garagiste, solidement armés pour ne pas tomber vivants entre les mains de la police. Nous n' avions en effet aucun doute: en cas d'arrestation, c'était le camp de concentration de Djenien-Bou-Rezg ou Méchéfia.

Nous avons poussé l'audace jusqu'à effectuer nos inscriptions sur les murs extérieurs de la Villa des Oliviers, résidence du Général Commandant en Chef les troupes d'A.F,N., gardée militairement,

Une autre de nos activités consistait en l'achat et le stockage d'armes et de munitions, Nous nous procurions ce matériel à des sources différentes : contrebandiers espagnols, petits trafiquants d'armes divers dont le risque était grand, ce qui évidemment influait sur les prix, Nous achetions tout ce qui se présentait: pistolets, revolvers, carabines, fusils de chasse, tout était bon. Pour stocker ce matériel, nous utilisions des caches aménagées dans les murs, les planchers, sous le ring de boxe, tout cela à l'insu de notre ami Géo Gras dont nous contrôlions soigneusement les heures de présence à la salle.

Le temps passait, rien ne survenait, sauf l'aggravation des lois racistes. Le gouvernement de Vichy réadaptait son système policier, reprenait l'armée en mains. Les troupes qui avaient combattu en Syrie contre les Anglo-Gaullistes étaient ramenées en Afrique du Nord.

Début 1942, le S.O.L. est créé, pâte reflet de la S.A. hitlérienne. Le RP.F, recrute des volontaires pour la Légion Tricolore sur le front russe et l'on prépare les étoiles jaunes pour les Juifs.

Pour varier les plaisirs, à la salle Géo Gras, je nie suis mis à la boxe avec mon ami Germain Libine, ancien boxeur professionnel.

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Il était venu nous rejoindre comme professeur de boxe et manager d'une petite équipe de la salle, couverture dont il avait besoin pour camoufler ses activités. Germain deviendra plus tard le garde du corps personnel du Général de Gaulle, avec le grade, de lieutenant.

Pour faire le point de la situation, nous nous réunissions tard le soir au bureau de la salle. Quelquefois, avec Emile Atlan et André Temime, nous nous rendions chez le docteur Raphaël Aboulker et son frère Stéphan, rue Bab Azoun à Alger. Le docteur Raphaël Aboulker et son frère Stéphan, en contact direct mais discret avec la salle Géo Gras, étaient le lien occulte avec l'état-major de la Résistance à Alger et surtout avec Henry d'Astier de la Vigerie.

Le 20 Octobre 1942, mon camarade Emile Atlan me dit: "Prépare-toi. Demain nous partons pour une mission aux environs d'Alger, au bord de. la mer. Amène avec toi un repas froid et ton pistolet." Je, pressentis qu'il se passait quelque chose, j'essayais d'avoir d'autres renseignements, rien à faire. Le lendemain, contre-ordre, nous ne partons plus.

Quelque temps plus tard, j'ai appris qu'il s'agissait de la protection des personnalités participant à la réunion de Cherchell du 22 Octobre au cours de laquelle le Général américain Clarck, venu secrètement, la nuit en sous-marin, avait rencontré les officiers supérieurs et résistants français.

Cette réunion avait pour objet la coordination de l'action des résistants de l'intérieur avec l'opération militaire alliée de débarquement sur les côtes d'Afrique du Nord, le 8 Novembre 1942.

DEBARQUEMENT ALLIÉ DU 8 NOVEMBRE 1942 EN AFRIQUE DU NORD

La date exacte du débarquement allié en A.F.N. n'a été connue qu'aux derniers jours d'Octobre. Robert Mui.phy, l'ambassadeur extraordinaire du Président Roosevelt à Alger, ne l'avait communiqué à personne auparavant.

Quoique représentant plus de 80% des effectifs pendant l'action, les Juifs algériens n'étaient pas seuls. Au plus haut niveau, le "Comité des Cinq", composé de: Henri d'Astier de la Vigerie, Lemaigre-Dubreuil, Rigault, Tarbé-de-Saint-Hardouin, Van-Hecke.

Henri d'Astier de la Vigerie était l'adjoint du chef des Chantiers de Jeunesse Van-Hecke.

Il fut le véritable fédérateur de tout l'appareil indispensable à l'action. Ce catholique, royaliste, avait pris contact à Oran avec Roger Carcassonne, un industriel juif de la ville.

Il s'était lié d'amitié avec lui et comprit qu'il pouvait compter sur lui. D'ailleurs Roger Carcassonne sera l'un des responsables de la résistance à Oran. Lorsque d'Astier fut muté à Alger, à l'état-major des Chantiers de Jeunesse, Roger Carcassonne lui présenta son cousin José Aboulker. José, fils du Professeur Henri Aboulker, avait déjà formé un petit groupe de resistants, avec pour adjoint son cousin Bernard Karsenty. H devint le bras droit de d'Astier.

Dans l'action également, André Achiary, commissaire à la D.S.T.6

Du côté des militaires, très peu s'étaient engagés, mais à défaut de la quantité, il y avait la qualité : Le chef de l'action du mouvement de libération, le Général de brigade Charles Malt, Commandant la division d'Alger et Commandant d'Armes de la place d'Alger.

Son adjoint dans le mouvement de libération : le Colonel Jeune, Major de la Garnison d'Alger. Voilà, en gros, comment était organisé l'Etat-major de la Résistance à Alger_ Quels étaient les buts de l’opération ?

Ceux-ci avaient été fixés lors de l'entrevue secrète qui s'était déroulée dans la nuit du 21 au 22 Octobre, près de Cherchell, dans une ferme, sur la côte, à 100 km. à l'ouest d'Alger.

Assistaient à cette entrevue les grands chefs américains, le Général Clarck, Adjoint du Général Eisenhower, le Général Lemnitzer et le Colonel Holmes, arrivés secrètement sous-marin, Robert Murphy, Ambassadeur extraordinaire du Président Roosevelt à Alger et Knight, Consul américain.

Du côté français, le Général Mast, le Colonel Jousse, Henri d' Astier de la Vigerie, le
Capitaine de Frégate Barjot, Van-Hecke et Bernard Karsenty, l'adjoint de notre camarade José Aboulker.

L'accord conclu à Cherchell prévoyait deux actions simultanées :
a) Les résistants s'engagent à assurer le moment venu, la rupture des communications, l'arrestation des principaux chefs vichystes, l'occupation des Etats-majors, la désorganisation de l'administration.

b) Les alliés s'engagent à débarquer des commandos, précédant le gros des troupes, pour relever les résistants avant la possibilité de représailles des Vichystes dont la supériorité en nombre est écrasante.

La date était fixée; elle serait indiquée ultérieurement. Avec quels effectifs la Résistance pouvait-elle réaliser une telle opération? Pour effectuer l'extraordinaire opération qui se précisait, il fallait impérieusement disposer à Alger de 800 volontaires. C'est ici qu'entrent en scène les garçons juifs d'Alger et particulièrement ceux de la Salle Géo Gras.

Sur les 800 volontaires convoqués par les différents groupes de résistance, 600 environ répondirent à l'appel, mais après plusieurs défections, ce sont seulement 377 d'entre eux, presque tous les Juifs, qui participèrent à l'action.

Ceux qui vinrent connaissaient l'enjeu de la partie et en acceptaient tous les risques. 132 d'entre eux venaient de la salle Géo Gras et constituaient le groupe B, le plus important numériquement.

Je ne puis malheureusement citer ici la liste complète de tous nos camarades. J'en évoquerai quelques-uns au cours du résumé de l'opération ci-dessous. Que ceux que je n'aurais pas cité ne m'en veuillent pas.

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"FRANKLIN ARRIVE"

L'après-midi du 7 novembre 1942, les radios anglaises lancent en clair, le message suivant: "Alio Robert, Franklin arrive!" : Franklin, c'est le Président Roosevelt; ce message, celui que nous attendions tous.

La convocation des volontaires ayant été effectuée, chaque combattant gagne le lieu de rassemblement de son groupe, à 21 heures. L'objectif : S'emparer de la ville d'Alger.

- Neutraliser tous tes points sensibles de manière que les forces Vichystes comprenant 1.000 soldats, 20.000 hommes du S.O.L. (Service d'Ordre Légionnaire) et les sections du P.P.F. de Doriot ne puissent s'opposer au débarquement allié.
- Arrêter tous les chefs civils et militaires de Vichy et les détenir jusqu'à l'arrivée des alliés.
- Couper toutes les communications téléphoniques.
- Désorganiser les services de police.

Je ne décrirai pas toutes les actions en détail, cela a été fait par des historiens de valeur. Je me contenterai de donner un résumé succinct de l'action.
Le Quartier Générai de la Résistance est réuni à sa permanence, chez le Professeur Henri Abouiker, 26 rue Michelet à Alger. C'est là que se retrouvent dans la journée du 7 Novembre les dirigeants de l'action pour les dernières mises au point.

Il y a là: le Colonel Jousse, José Aboulker, André Achiary, ancien chef de la D.S.T., Jean l'Hostis, etc... Les chefs de groupe s'y succèdent pour recevoir les dernières consignes.

A 18 heures, le Colonel Jousse donne le mot de passe qui nous servira entre nous et avec les troupes débarquées: Demande: Whisky, Réponse: Soda. Il remet les brassards destinés aux combattants, avec les initiales V.P. (Volontaires de Place). 11 débloque le stock d'armes, de vieux fusils Lebel soustraits aux commissions d'armistice et 25.000 cartouches. Un garage ami, les as. Lavasse, procure les voitures et camions nécessaires à l'opération. Les diplomates américains fournissent l'essence.

Notre camarade Colette Aboulker, soeur de José, s'occupe de tous les problèmes matériels, elle sera le seul élément féminin de l'action.

Le poste de Commandement Général est le Commissariat Central, Boulevard Baudin. A ce poste, José Aboulker remplace un colonel d'aviation qui ne vint pas.

Son groupe s'empare du Commissariat Central. Plusieurs agents de la police se joignent à lui. Il établit immédiatement la liaison avec tous les autres commissariats de la ville, occupés par d'autres groupes. Son équipe comprend environ 10 personnes dont Bernard Karsenty, Guy Cohen, Jean Athias, etc...

Les effectifs se constituèrent en cinq groupes, eux-mêmes divisés en sections. Le
démarrage de l'action fut fixé à 22 h. 30, le 7 Novembre.

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Le Groupe A.

Section A-1 Objectif: Prise de l'Etat-Major de la division d'Alger, Caserne Pelissier. Cef de section : Lieutenant Imbert
Adjoint: Aspirant Ouhayou

Section A-2 Objectif: Le Palais d'Hiver, siège de l'Etat-Major du Général
Commandant en Chef en A.F.N.
Chef de section : Sirot
Effectif: 17 volontaires
L'Etat-Major restera entre nos mains jusqu'à 6 h. 30 du matin.

Section A-3 Objectif: Occupation de l’Etat-Major de la Subdivision et isolement de l'Amirauté.
Chef de section; André Cohen
Adjoints: Lucien Loufrani, Marcel Habibou

C'est la section qui subit le plus grave échec de l'opération. En effet, dès l'aube, l'Amirauté appelle les marins aux postes de combat et encercle la section. Les hommes sont arrêtés et jetés en cellules. Quelques-uns plongent à la mer et réussissent à s'enfuir sous le tir des mitrailleuses.

Le Groupe B

Ce groupe comprend 132 hommes, des Juifs, presque tous appartenant à la salle Géo Gras.

Le nombre des défections y fut insignifiant. C'est le groupe le mieux structuré.
Ont été adjoints à ce groupe 12 volontaires non-juifs conduits par Marie Faivre, parmi lesquels se trouvent les 2 seuls musulmans ayant participé à l'action et 11 bretons conduits par l'adjudant Tilly.

Section B-1 : Objectif: Le X1Xème Corps d'Armée où loge le Général Koeltz, commandant ce Corps d'Armée, et le Central Mogador, Central téléphonique militaire, situés Place Bugeaud en plein coeur d'Alger.
Chef de section : Capitaine Pillafort
Adjoints : Lieutenant Jaïs (de réserve)
Germain Libine.
Flenri Mesguish
Mario Faivre
Lieutenant Darridan (de réserve)
André Temime
Roger Morali
Effectif: 58 volontaires

Le Capitaine Pillafort sera tué d'une balle dans l'abdomen vers 15 heures, devant le Commissariat Central.

La réussite de cette mission capitale a amené le contrôle de toutes les activités du Corps d'Armée et de ses transmissions.

Section B-2 Objectif : La Préfecture. Le Préfet Emmanuel Temple et sa famille y logent.
Chef de section : Jacques Zermati
Adjoints : Sallia Oued, André Lévy
Effectif : 27 volontaires

L'occupation s'effectue sans problème. Tout le personnel de la préfecture est arrêté. Vers 3 heures du matin, le Chef de la Légion des Combattants Breleux vient mettre ses troupes à la disposition du Préfet. Paul Sebaoun, de garde à la grande porte, le fait prisonnier.

Section B- 3 : Objectif : La Grande Poste

Chef de section: Jean Gozlan
Adjoint: Lieutenant Dreyfus
Effectif: 12 volontaires
L'occupation et la neutralisation du Central téléphonique s'effectue sans problème. Le matin du 8 Novembre, vers S heures, une compagnie du Sème Régiment d'Afrique encercle la Grande Poste. Un adjudant, revolver au poing, commande : "rendez-vous!" Le lieutenant Dreyfus répond: "Je veux parler à votre officier." L'adjudant tire et tue net notre camarade Dreyfus.

Section B-4 Objectif: Le poste émetteur de Radio-Alger.
Chef de section: Adjudant Tilly
Mission accomplie sans problème.

- Le Groupe C. Objectif : Le Palais d'Eté du Gouverneur Général de l'Algérie.

Chef de section: Maurice Ayoun
Adjoints : Raymond Abécassis, Aspirant Mucchieli
Effectif : 30 volontaires

Le Palais d'Eté fut occupé malgré la garde de Spahis et le détachement de Tirailleurs Sénégalais. Le Gouverneur Général Chatel était à Vichy. Son épouse et quelques hauts fonctionnaires furent gardés à vue par nos camarades.

A 12 heures 30, le 8 Novembre la mission du groupe C prenait fin.

- Le Groupe D - Objectif : Deuxième Central Téléphonique urbain à Belcourt
Foyer Civique du Champ de Manœuvre
Le Fort de Nouba
Chef de section: Paul Ruff
Adjoints : Dr Cviklinsky, Amyot
Effectif : 5 volontaires

Les défections ayant été nombreuses dans ce groupe, il lui a fallu se contenter d’occuper le Central Téléphonique.

A 23 heures 30, échange de coups de feu avec un groupe S.O.L.: 1 tué.

Le Groupe E - Section E-1 Objectif: La Villa des Oliviers, résidence du Général Juin, commandant- en-chef les troupes d'A.F.N.

Mission : Arrestation du Général Juin.
Chef de section: Armand Pauphilet

Au moment où la section E-1 prend la route de la Villa des Oliviers, Robert Murphy y arrive en compagnie du Colonel Chrétien. Il espère gagner Juin à la cause des alliés. Celui-ci refuse et demande à consulter l'amiral Darlan qui se trouve justement à Alger. On téléphone donc à Darlan qui se rend aussitôt à la Villa des Oliviers en voiture. Mis au courant de la situation par Murphy, Darlan se met en fureur. La section E-1 fait alors irruption et arrête le Général Juin et l'Amiral Darlan.

 

Ainsl, le 8 Novembre à 1 heure du matin, presque tous les objectifs sont atteints : la ville d'Alger, muette, a cessé d'obéir aux ordres du Gouvernement de Vichy.

Elle est passée aux mains des forces de la Résistance dont la grande majorité était des Juifs encore opprimés la veille.

La nuit s'achève, les Alliés ne sont pas encore là. L'angoisse commence à s'emparer des résistants. Et s'ils ne venaient pas ? Avant le lever du jour, le ciel, brusquement, s'illumine d'éclairs : des salves d'artillerie, de longues rafales de mitrailleuses. C'est Amirauté d'Alger, non investie cette nuit, qui effectue son baroud d'honneur avec l'énorme flotte alliée que l'on commence à deviner dans la pénombre.

En l'absence de Giraud, notre camarade Raphaël Aboulker prononce sur les ondes de Radio-Alger, alors entre nos mains, le discours que Giraud aurait dû faire. Le disque passera tous les quarts d'heure, entrecoupé par des marches militaires.

Que 377 hommes aient pu tenir pendant presque une journée tous les points stratégiques d'une grande ville comme Alger peut sembler incroyable. Il fallait pour se lancer dans une telle aventure une certaine dose d'inconscience et un courage certain.

Les jeunes Juifs d'Alger étaient le dos au mur. C'est un combat pour leur survie qu'ils ont mené. De cela, ils étaient pleinement conscients.

Il est indéniable que l'action de la résistance a permis aux troupes alliées d'entrer dans Alger sans combats d'envergure. D'énormes pertes en vies humaines ont été évitées de part et d'’autre.

Une opposition des forces de Pétain aurait certainement donné le temps à l'Allemagne, d'intervenir militairement en Algérie ; ce qu'elle a d'ailleurs fait en Tunisie, retardant considérablement la fin des hostilités.

A Alger, grâce à l'action de la résistance intérieure, les Alliés ont pu prendre pied en Afrique du Nord. Ils arrivèrent quelques jours plus tard à Oran et au Maroc.

La France put reprendre son rang parmi les nations libres et les Juifs d'Afrique du Nord étaient sauvés.

 

Paris, 1e 16 Mars 1983
Paul SEBAOUN

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